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Voici à quoi ressemblera la quatrième révolution industrielle

Vous croyez que l'Internet des objets était la pire chose qui soit arrivée au monde physique ? Attendez l'Industrie 4.0.
Image : Usine Siemens à Amberg, en Allemagne.

Il est 7h du matin. Nous sommes le 29 décembre 2025. Votre montre connectée vous réveille d'un sommeil sans rêves. Tandis que vos objets domestiques commencent à s'animer autour de vous, vous vous redressez lentement sur votre lit. La lumière de la salle de bains s'allume elle-même, l'eau commence à couler dans la douche. Elle prend spontanément la température que vous aimez, et dans la cuisine, une odeur de café chaud se diffuse lentement dans l'atmosphère. Un peu plus tard, vous enfilez un T-shirt conçu pour s'adapter parfaitement à votre corps. Vous jetez un coup d'œil à votre téléphone, pour vous apercevoir que la batterie est sur le point d'expirer. Une notification apparait à l'écran et vous informe qu'une batterie de remplacement a déjà été expédiée et sera livrée prochainement. Dans le garage, le moteur de votre voiture vient de démarrer ; elle est prête à vous emmener à l'usine dont vous êtes le gestionnaire. Selon votre téléphone, une machine est tombée en panne. Il est désormais très rare que vous ayez à vous rendre sur le site : de nos jours, une usine se gère à peu près toute seule.

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« C'est chiant, putain » murmurez-vous tandis que votre voiture s'extrait du garage. « On est en 2025, merde, ce genre de trucs ne devrait plus arriver. »

Bienvenue dans un monde où la quatrième révolution industrielle a eu lieu. Aujourd'hui, tous les objets du quotidien ont été fabriqués sur mesure, et communiquent en permanence les uns avec les autres afin de vous faciliter la vie.

L'expression « révolution industrielle » vous rappelle sans doute quelques souvenirs flous de lycée, lorsque votre professeur d'histoire-géographie vous pointait une carte de la Wallonie en vous racontant d'assommantes histoires de charbon et de machines à vapeur. Au cours des deux siècles qui se sont écoulés depuis que James Watt a amorcé malgré lui la transition vers la production de masse, il y a eu deux autres révolutions : à la fin du 19e siècle, grâce à l'électrification et à la division du travail, puis à la fin du 20e siècle, grâce aux technologies de l'information.

Il y a 4 ans, les Allemands ont prédit l'imminence d'une quatrième révolution industrielle, qui promet de révolutionner l'organisation de notre lieu de travail et de notre environnement domestique, en faisant en sorte que vous soyez au centre d'un système solaire d'objets.

Image: German Research Center for Artificial Intelligence, translated by Industrie 4.0 Working Group

Un énième bouleversement

La quatrième révolution industrielle, plus connue sous le nom de « Industry 4.0 » tire son nom d'une convention établie en 2011 par des hommes d'affaires, des politiciens et des universitaires. Elle était alors décrite comme un moyen d'accroître la compétitivité des industries manufacturières allemandes grâce à l'intégration croissante de « systèmes cyber-physiques », ou CPS, au sein des processus industriels.

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CPS est un terme un peu snob pour parler de l'intégration d'appareils connectés à Internet au sein de l'écosystème du travail humain. Ici il ne s'agit plus de réimaginer la chaîne de montage, mais de créer un réseau de machines qui peuvent produire davantage en faisant moins d'erreurs, et surtout, qui sont capables de modifier leurs modes de production de manière entièrement autonome en conservant un haut degré d'efficacité.

En d'autres mots, le CPS est l'équivalent industriel de l'Internet des objets.

Selon un rapport de 2013 de l'Industrie 4.0 Working Group, un think tank regroupant des grandes figures de l'industrie, des experts d'Intelligence artificielle, des économistes et des universitaires, ce système constitue « une toute nouvelle approche de la production ».

Le gouvernement allemand est déjà emballé par l'idée, et envisage de mettre en place « une stratégie high tech » pour préparer le pays à son adoption.

Il n'y a pas qu'en Allemagne que l'approche a rencontré une certaine popularité. Les Etats-Unis, par exemple, ont rapidement embrayé le pas en créant un Industrial Internet Consortium en 2014, mené par des géants tels que General Electric, AT&T, IBM, et Intel.

De nombreuses usines gaspillent des quantités massives d'énergie lorsque la production est en pause, les week-ends ou les jours fériés, par exemple. Dans une usine intelligente, cela pourrait être facilement évité.

Malgré la hype amorcée par l'Allemagne concernant l'Industrie 4.0, le terme est encore extrêmement nébuleux et souffre de l'absence d'une définition claire et limpide.

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« Même s'il s'agit de l'un des sujets les plus discutés aujourd'hui, j'ai bien du mal à expliquer à mon fils de quoi il s'agit exactement », confesse un cadre d'Audi dans un rapport publié l'année dernière.

Qu'est-ce que l'industrie 4.0 exactement ?

L'un des aspects les plus tangibles de la quatrième révolution industrielle est l'idée de « conception orientée service ». « Cela peut décrire le fait que des clients utilisent des paramètres usine pour produire leurs propres produits, ou encore que des entreprises conçoivent des produits adaptés à des clients spécifiques ».

Les potentiels de ce mode de production sont énormes. Par exemple, la communication entre les appareils de l'Internet des objets et les machines intelligentes qui les fabriquent, formant un système baptisé « Internet industriel » pourrait permettre de surveiller l'usage et l'usure des produits afin de programmer leur remplacement, et d'améliorer chaque nouvelle série d'appareil produite.

Lorsque votre téléphone est si endommagé qu'il est sur le point de « mourir », il peut avertir l'usine qui utilisera les données reçues afin d'adapter la fabrication de la nouvelle série de téléphones, et de réduire le temps d'attente d'un nouveau téléphone au maximum.

Le nouvel objet arrivera chez vous pré-configuré avec vos paramètres préférés. Il sera donc rigoureusement identique à celui qui vient de vous lâcher. Cette procédure ne sera pas limitée à la fabrication de produits électroniques sophistiqués : le but est de l'appliquer au prêt-à-porter, en passant par les shampoings et les consommables en général. Les objets du quotidien seront adaptés à vous au sein strict. Vous n'aurez plus jamais à enfiler un pantalon qui baille dans le dos et tire au niveau des cuisses.

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Des machines automatisées pour d'autres sociétés, comme BMW et Bayer, seront fabriquées par des machines elles-mêmes entièrement automatisées.

Enfin, l'intégration croissante des usines intelligentes dans les infrastructures industrielles pourrait entraîner de fortes réductions des déchets énergétiques. Comme l'a noté le groupe de travail Industrie 4. 0 dans son rapport, de nombreuses usines gaspillent de grandes quantités d'énergie pendant les pauses de production, comme les week-ends ou les jours fériés, ce qui pourrait être évité dans l'usine intelligente.

Selon les partisans de ce mode de production totalement intégré, l'Industrie 4.0 a également le potentiel de changer la définition que nous donnons du travail humain. Puisque les machines sont capables d'effectuer des tâches répétitives et routinières avec beaucoup plus d'efficacité que leurs homologues humains, on espère que ces tâches seront de plus en plus souvent automatisées, libérant les travailleurs d'un environnement de travail physique fixe, et leur permettant de se consacrer à des activités plus créatives et plus intéressantes.

Vous avez déjà entendu cet argument quelque part. Vous l'entendez même partout, depuis quelques années. Pourquoi ?

On prend les mêmes et on recommence

Ceux qui défendent bec et ongles l'inéluctabilité et les bénéfices de cette quatrième révolution industrielle, comme Cisco, Siemens, ou ThyssenKrupp, affirme que l'implémentation du CPS est motivé par la demande populaire, et non par un agenda entrepreneurial soigneusement planifié.

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Pourtant, en dépit de la rhétorique bien huilée qui encadre les discours utopistes sur l'Industrie 4.0 (et vu le désastre de l'Internet des Objets, elle a plutôt intérêt à être au point), la principale raison qui motive l'Allemagne à se tourner vers le CPS n'est pas le bien-être du consommateur, mais bien les bénéfices que pourraient réaliser les industriels allemands en l'adoptant avant les entreprises étrangères.

La quatrième révolution industrielle promet de placer l'Allemagne à la tête d'une restructuration industrielle de grande ampleur. Comme l'indique le groupe de travail dans son rapport, l'avenir même de l'industrie allemande pourrait dépendre de son rôle de leader dans cette restructuration. « Si l'industrie allemande veut survivre et prospérer, elle devra jouer un rôle actif dans l'amorce de la quatrième révolution industrielle », précise le rapport.

L'industrie allemande investira chaque année 40 milliards d'euros en infrastructures Internet industrielles d'ici 2020, selon un rapport du cabinet de conseil Strategy&. Cela représente une part importante de l'investissement européen dans la quatrième révolution industrielle, qui devrait atteindre 140 milliards d'euros par an. En raison de l'incertitude relative aux délais évoqués et à la méthodologie à appliquer, en plus de la nécessité d'améliorer les technologies existantes, on ne sait pas à quel point l'Allemagne bénéficiera financièrement de l'adoption généralisée de la soi-disant « usine intelligente ».

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Toujours selon le rapport du groupe de travail, sur les 278 entreprises allemandes interrogées, 131 ont déclaré « avoir déjà un pied dans l'Industrie 4. 0 ».

L'engagement de l'immense majorité de ces entreprises consiste en fait à « obtenir des informations » sur la quatrième révolution industrielle. Parmi elles, seule une entreprise sur cinq a effectivement adopté des composants CPS au sein de ses usines. On peut citer Wittenstein (moteurs électriques), Bosch (équipement hydraulique) et BASF SE, qui a lancé des shampooings et des savons entièrement personnalisables dans le cadre d'un essai du Centre de recherche allemand en Intelligence artificielle.

Il faut tout de même citer le cas de Siemens AG, la plus grande entreprise d'ingénierie d'Europe, qui a fait un usage plutôt audacieux de composants CPS dans son usine d'Amberg. Là-bas, on trouve des machines automatisées elles-mêmes produites par des machines automatisées pour le compte de BMW ou Bayer.

Obstacles et inconvénients

De fait, la quatrième révolution industrielle pose tout un tas de problèmes techniques et sociaux.

Elle exige tout d'abord d'établir une coopération sans faille avec des entités qui dépassent largement les frontières de l'entreprise. Si un produit non fini est analysé par une machine qui est incapable de lire sa puce RFID parce qu'elle a été programmée à une fréquence différente, le processus de fabrication sera arrêté net. Ainsi, la standardisation de plates-formes et de langages communs permettant aux machines de dialoguer entre elles constituera l'un des principaux obstacles à l'adoption généralisée de systèmes cyber-physiques.

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Cependant, une trop grande homogénéité constituerait également une menace. Google est utilisé pour 97% des recherches Internet en Allemagne, par exemple, et certains dirigeants craignent qu'une poignée d'entreprises influentes aient déjà une avance démesurée sur les autres en ce qui concerne l'industrie de demain.

« Les big data nécessaires à l'Industrie 4. 0 ne sont pas collectées par des entreprises allemandes, mais par quatre grandes entreprises de la Silicon Valley », a déclaré le ministre allemand de l'économie, Sigmar Gabriel, lors d'un débat public avec Eric Schmidt de Google, il y a deux ans. « C'est ce qui nous inquiète le plus. »

L'autre obstacle essentiel concerne la sécurité du système : la création de réseaux bien sécurisés est une tâche difficile, très difficile, et connecter des systèmes physiques à Internet les rend extrêmement vulnérables au piratage. Si l'idée de l'Industrie 4. 0 se matérialise vraiment, les processus de production pourront être contrôlés à distance, modifiés, paralysés. Comme l'a fait remarquer l'Institut Fraunhofer, un organisme allemand de recherche sur les systèmes physiques, il existe déjà des malwares capables de mettre à mal des systèmes de production. Plus les usines intelligentes seront courantes, plus elles seront vulnérables. Et pour le moment, nous n'avons aucun moyen d'assurer leur sécurité.

Que feront les employés qui perdront leur travail suite à l'automatisation ?

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Sur le plan social, les « futuristes » débattent depuis longtemps déjà de la nature redondante du travail humain et des conséquences de l'automatisation sur l'emploi. Leurs craintes sont loin d'être injustifiées ; certaines estimations prévoient que d'ici 20 ans, 47% des emplois américains auront été éliminés par l'automatisation.

Cependant, le problème des machines qui nous piquent nos emplois appartient plutôt à la troisième révolution industrielle. La quatrième révolution industrielle ambitionne quant à elle de fabriquer ces machines sans la moindre contribution humaine. L'usine de Siemens emploie toujours plus de 1000 personnes dont la tâche est de surveiller la bonne marche des machines industrielles sur les ordinateurs. Ces 1000 personnes, l'Industrie 4.0 veut s'en débarrasser.

Le problème, c'est que l'Industrie 4.0 permettra aux entreprises d'étendre considérablement le spectre de leurs opérations sans nécessairement créer de nouveaux emplois, ce qui pourrait très bien se transformer en problème démographique de masse à terme.

Le problème des machines qui nous piquent nos emplois appartient à la troisième révolution industrielle. La quatrième révolution industrielle ambitionne quant à elle de fabriquer ces machines sans la moindre contribution humaine.

Cette tendance pourrait causer des dommages importants aux pays en développement. Il n'est pas surprenant que l'un des principaux moteurs de l'élan vers la quatrième révolution industrielle soit le désir d'endiguer l'externalisation de la production vers les pays en développement. L'implémentation de systèmes cyber-physiques à grande échelle en Occident pourrait permettre d'inverser cette tendance, mettant en difficulté l'économie des pays en développement qui sont de plus en plus tributaires de ces emplois à bas coût.

Cependant, cette hypothèse reste extrêmement spéculative et peu de recherches ont été menées sur les effets de la mise en œuvre de l'Industrie 4.0 dans les pays occidentaux.

Pourtant, en dépit de la promesse d'une prolifération croissante des consommables, du déclin des emplois aliénants en usine et des milliards de dollars injectés dans l'économie en cours de réindustrialisation, à un moment donné il faut ben payer les coûts de fonctionnement des machines. Si le travail humain continue d'être remplacé contre le travail des machines, peu importe les volumes d'objets produits : personne ne pourra s'offrir ces belles machines entièrement automatisées. Peut-être que la quatrième révolution industrielle nous permettra effectivement de nous débarrasser du travail ennuyeux et répétitif à tout jamais. Ou peut-être que nous allons finir par brader notre salaire, et à inventer des postes encore plus absurdes, faisant tourner nos usines intelligentes grâce à des vélos électriques, façon Black Mirror.

Une chose est sûre, cependant : le spectre de l'Industrie 4.0 est déjà sur nous, et tout indique que nous allons plonger tête baissée dans l'âge de l'environnement intelligent, qui doit soi-disant nous faciliter la vie. Heureusement, les machines communiquent à voix basse.