Sa cellule, qui ressemblait en tout point à un donjon, était dépourvue de fenêtres. Seule une petite fente dans le mur en hauteur laissait échapper quelques rayons de soleil. La prison était tellement surpeuplée que techniquement, chaque prisonnier disposait de moins d'un mètre carré pour s'asseoir ou même, se tenir debout. Les détenus étaient contraints de dormir à tour de rôle, sans matelas, et ne pouvaient se « promener » dans la cellule en même temps sans se rentrer inévitablement dedans. Il y faisait un froid glacial l'hiver et une chaleur humide et suffocante l'été.« La nourriture… La nourriture était tout simplement abominable ! Dit-il aujourd'hui en riant. C'était tout simplement immangeable. »Les prisonniers pouvaient profiter des visites hebdomadaires pour donner une liste de courses à leurs proches. Mahmoud, un ami qui prenait soin des requêtes d'Ahmed et de ses codétenus, me lit un de ces bouts de papier : « Des pâtes, des nouilles, des Oreos, des biscuits anglais, des Twinkies, des chips, des barres de céréales, du fromage, des fruits et du thon. » Il se rappelle qu'il avait l'habitude de demander à la petite assemblée composée d'une vingtaine de détenus qui se réunissait à l'occasion de la visite, la chose suivante : « Vous êtes sûrs qu'il ne manque rien ? Vous pensez que le zabadi pourrait tourner ? » (Le zabadi est la version égyptienne du tzatziki grec).EN VIDÉO : Nourriture et religion : La nourriture Halal
« On n'avait pas de frigo, explique Ahmed. Donc les premières semaines, on a dû expérimenter et s'adapter aux conditions. On a dû réfléchir à ce qui était le plus utile de demander à nos proches et à ce que nous serions en mesure de mieux conserver. »Pour faire entrer la nourriture en prison, il fallait recourir à quelques astuces ingénieuses et complexes. La complicité d'un des gardiens — pour qui la corruption n'était visiblement pas un problème — a beaucoup facilité les choses. Mahmoud est devenu un maître en matière de trafic clandestin ; il a même dissimulé des parts de gâteau pour les anniversaires des détenus : « Ils me font parvenir une demande et je me débrouille pour qu'ils aient ce dont ils ont besoin. »Mahmoud est devenu un maître en matière de trafic clandestin ; il a même dissimulé des parts de gâteau pour les anniversaires des détenus
Pour le ramadan, c'était exactement la même chose. « Les autorités carcérales nous ont traitées de la même façon que les autres mois, il n'y a eu aucune différence », raconte Ahmed. Pour le déjeuner, ils ont eu droit aux éternels morceaux de viande bouillie, avec des œufs ou des petits morceaux d'os de poulet froids et dont la consistance faisait étrangement penser à des cailloux, accompagnés de riz blanc gluant et d'une soupe essentiellement composée d'eau et de quelques légumes fatigués flottant à la surface. Le ful, le plat égyptien traditionnel à base de haricots, d'huile végétale et de cumin, était servi au dîner avec du pain rassis.Quant à ceux qui faisaient le ramadan, ils devaient laisser la nourriture sur le sol des cellules surchauffées pendant des heures, sans protection aucune contre les cafards et autres insectes, en attendant la rupture du jeûne.
« Notre plus gros problème, c'était l'eau », poursuit-il. Généralement, les détenus n'avaient accès à de l'eau courante que quinze minutes avant les cinq prières quotidiennes obligatoires. C'était leurs seules occasions de se laver, de faire leur ablution (la purification rituelle) et de remplir leurs bouteilles d'eau. Et l'été, les conduites d'eau étaient tellement brûlantes que seule de l'eau chaude sortait des robinets.« Au début du ramadan, l'administration de la prison nous a promis qu'elle nous donnerait un peu de glace, se souvient-il. Quand le ramadan a commencé, on a en fait été forcé d'acheter de la glace que l'on monnayait auprès des gardiens contre des cigarettes ou le peu d'argent de poche que nos familles nous donnaient. »Après avoir rompu le jeûne, les détenus assoiffés écrasaient la glace et remplissaient leurs tasses d'eau avec. C'était pour eux l'un des meilleurs moments de la journée.« À la toute fin du ramadan, le 26e ou le 27e jour, un des prisonniers d'une cellule voisine s'est mis à rire en nous voyant faire notre rituel de glace quotidien. Il s'est foutu de notre gueule et a sorti des trucs du genre « Les prisonniers politiques… pfft ! On doit tout vous apprendre », ou « Vous ne savez pas ce que c'est d'être en prison ». Ce type était un assassin, et il était là depuis de nombreuses années. »Il s'est foutu de notre gueule et a sorti des trucs du genre « Les prisonniers politiques… pfft ! On doit tout vous apprendre », ou « Vous ne savez pas ce que c'est d'être en prison ». Ce type était un assassin, et il était là depuis de nombreuses années.
« Ouais, on a bu de l'eau des égouts pendant tout un mois et il ne nous l'a dit qu'à la fin. Et le pire dans tout ça, c'est qu'on a payé pour avoir cette glace. »Les relations entre les prisonniers politiques et les criminels « ordinaires » étaient pour la plupart du temps cordiales, mais ceux qui étaient là depuis longtemps avaient une drôle de façon d'enseigner aux nouveaux arrivés comment survivre en prison. Il n'était pas rare qu'ils profitent de leur manque d'expérience.Quand le ramadan a débuté, quelques prisonniers ont reçu des ballons de leur famille ou de leurs amis pour égayer leur cellule. Ces décorations, que l'on peut voir dans les rues, les cafés, dans les maisons et même sur les lieux de travail, font partie intégrante des festivités liées à cette fête sacrée.En voyant ces ornements colorés, les autres prisonniers de la cellule voisine se sont approchés : « Cette fois, ils nous ont demandés s'ils pouvaient avoir quelques ballons et on était content de leur en donner. On savait qu'ils ne faisaient ni le jeûne ni ne fêtaient le ramadan, mais on espérait au fond que ces ballons leur inculqueraient un peu l'esprit de la fête », explique Ahmed.Quelques jours plus tard, ils ont même demandé des ballons supplémentaires. Ensuite, Ahmed et ses amis ont remarqué qu'aucun ballon n'était suspendu dans la cellule voisine. « L'un d'eux avait mis la main sur de la weed et était occupé à fumer un joint et à recracher la fumée dans le ballon qui passait de main en main, comme ça tout le monde pouvait en profiter », raconte Ahmed en riant.« Finalement, passer le ramadan dans une prison a ses avantages… On ne voit pas le soleil et rien ne vient troubler notre retraite, dit Ahmed sans une pointe d'ironie. Il suffit de s'habituer à la chaleur étouffante et à partager une cellule de 24 mètres carrés avec une vingtaine de personnes, au moins. »Ahmed est aujourd'hui libre et consacre désormais une grande partie de son temps à s'occuper de sa mère, à domicile. Il ne sort que très rarement dans les rues. Faire le trajet pour aller travailler ou bien pour rendre visite à ses amis avant le sahur — le dernier repas pris la nuit — est un véritable cauchemar. « Je peux être arrêté à tout moment quand je passe les points de contrôle et jeté en prison, parce que les charges contre moi n'ont jamais été officiellement abandonnées », explique Ahmed, visiblement encore très préoccupé.* Les noms des personnes mentionnées dans cet article ont été changés afin de protéger leur identité.L'un d'eux avait mis la main sur de la weed et était occupé à fumer un joint et à recracher la fumée dans le ballon qui passait de main en main, comme ça tout le monde pouvait en profiter.