Crise des Migrants : Le cri de désespoir des conducteurs de train d’Eurotunnel

Dans une lettre ouverte publiée ce jeudi, des conducteurs de trains de l'entreprise Eurotunnel ont pour la première fois décrit leurs conditions de travail et exprimé leur hantise de percuter des migrants aux abords de la ville de Calais, alors que des dizaines de tentatives d'intrusion sur le site d'Eurotunnel sont relevées toutes les nuits.

Les candidats à l'entrée illégale en Angleterre ont depuis plusieurs mois choisi de tenter leur chance en passant par le tunnel qui traverser la Manche, plutôt que de passer par le port de Calais.

Dans la nuit de mardi à mercredi, un migrant est mort, une fois encore percuté par un train, sur le site du tunnel, le terminal de Coquelles, près de Calais. C'est le treizième migrant mort dans la région en tentant de rallier l'Angleterre depuis le 26 juin dernier. Dans la nuit du 23 au 24 septembre, un jeune migrant était déjà mort percuté par une navette ferroviaire qui transportait des poids lourds.

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« On roule comme on peut ! Non plus les yeux fixés sur les instruments de bord mais sur les abords, la voie, les alentours, priant secrètement pour qu'il n'y ait pas un désespéré qui se jette sur le train ! » écrivent ce vendredi des représentants CGT des conducteurs du groupe Eurotunnel, dans une lettre ouverte que VICE News s'est procurée.

Selon la société Eurotunnel, que nous avons contactée ce vendredi en fin de matinée, environ une centaine de tentatives d'intrusion dans le tunnel sont relevées chaque nuit. En juillet, la compagnie dénombrait près de 2000 tentatives d'intrusion quotidiennes ; la réduction par rapport aux chiffres de cet été s'explique notamment par le renforcement des clôtures entourant le site. Malgré tout, ces mesures ne suffisent pas à éviter que de nouveaux drames se produisent.

On estime que plus de 4 000 migrants candidats à la traversée illégale de la Manche sont installés dans la région. Beaucoup d'entre eux vivent dans la « Jungle », un camp de fortune à ciel ouvert à Calais.

« Un tableau de guerre »

« Nous conducteurs, ne voulons, mais surtout ne pouvons, continuer à exercer notre métier dans de telles conditions de stress, d'angoisse et de peur au ventre. Le coeur n'y est plus, » écrivent les conducteurs.

Cette lettre au ton très direct décrit l'angoisse quotidienne des conducteurs : « Aujourd'hui, un blessé, un mort ? […] Sur mon train ? Non ? Ouf ! À demain alors…. » Elle est adressée aux pouvoirs publics, auxquels les conducteurs ne réclament rien de précis, simplement qu'on leur vienne « en aide le plus rapidement possible. »

Ils déplorent l'impact des mesures prises jusqu'ici : « Là des barbelés, là des policiers, là des gens en armes, là des chiens mais plus d'arbres, plus aucun arbre. Un tableau de guerre. Et des gens qui courent ! »

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Selon un communiqué d'Eurotunnel datant de début septembre, 56 hectares allaient être débroussaillés et élagués aux alentours du site — une mesure qui vise à empêcher les migrants de pouvoir se cacher aux abords du site avant de tenter la traversée.

Parmi les autres mesures annoncées : des clôtures existantes renforcées sur 10 kilomètres, et 29 kilomètres de clôtures de haute sûreté de quatre mètres de hauteur devaient être installées.

Cet été, une bataille avait été engagée pour savoir qui de l'État français ou de la société Eurotunnel, qui emploie 2500 salariés, devait payer pour ces nouvelles mesures de sécurité. En visite sur le site le 31 août dernier, Manuel Valls aurait apporté « des réponses immédiatement opérationnelles aux besoins de sécurisation » du site, selon un autre communiqué de l'entreprise.

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Cellule psychologique

Eurotunnel « comprend l'émotion décrite par les conducteurs, » nous a expliqué ce vendredi un porte-parole de l'entreprise, qui a tenu à souligner que la direction d'Eurotunnel entretenait de « très bonnes relations » avec les organisations syndicales. « Nous avons mis en place une cellule psychologique il y a deux mois pour les conducteurs, qui ont la possibilité d'être accompagnés par un psychologue, » a-t-il rappelé.

350 millions de voyageurs ont emprunté le tunnel sous la Manche depuis son ouverture en 1994, selon le groupe. Le tunnel comporte deux voies réservées aux trains : les trains à grande vitesse Eurostar — qui relient Paris et Bruxelles avec Londres — les trains de marchandises, et des trains plus larges, les « shuttles », capables d'embarquer des camions, des véhicules de tourisme et des bus.

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @LucieAbrg

L'entrée du tunnel sous la Manche côté français. (Photo via Wikimedia Commons / Billy69150)