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Corps de crocodile et dents de T. Rex : le prédateur qui avait tout compris

Le Bassin de Mahajanga, à Madagascar, est une source inépuisable de fossiles plus terrifiants les uns que les autres.

Qu'est-ce qui a des dents de tyrannosaure, le corps d'un crocodile, et « une ascendance fantôme » qui remonte à plus d'un million d'années ? Le prédateur du Jurassique Razanandrongobe sakalavae, une mystérieuse espèce qui a été découverte au nord-ouest de Madagascar. Elle a enfin trouvé sa place sur l'arbre phylogénétique du vivant, selon une nouvelle étude publiée mardi dans la revue en open access PeerJ.

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Baptisé « Razana », ce gros carnivore a été identifié pour la première fois en 2006 dans un article co-écrit par les paléontologues Cristiano Dal Sasso et Simone Maganuco du Museum d'histoire naturelle de Milan, accompagnés par le chercheur Giovanni Pasini.
Les restes fossiles inventoriés comprenaient d'énormes dents acérées et des fragments de mâchoire ; les chercheurs ont conclu qu'il s'agissait là d'un prédateur majeur de l'écosystème malgache, il y a environ 166 millions d'années.

« Razana était probablement une espèce opportuniste, comme les hyènes et les lions », m'explique Dal Sasso par email. Le carnivore savait probablement nager, même si son anatomie le destinait avant tout à marcher sur la terre ferme. « C'était probablement un piètre coureur. On a là un prédateur qui pratique l'affût et se transforme en charognard quand une opportunité de repas se présente », précise le chercheur.

À l'époque, Dal Sasso et ses collègues ont eu toutes les peines du monde à situer l'animal sur l'arbre phylogénétique du vivant. Ses dents étaient conformées de telle manière à pouvoir broyer des os, à la manière des théropodes de grande taille tels que le T. rex. Cependant, son dos, son bassin et ses membres suggéraient son rattachement aux crocodylomorphes, une lignée ancienne dont descendent tous les crocodiliens modernes.

Maganuco (à gauche) et Dal Sasso (à droite) exposent les crânes de Razanandrongobe sakalavae au Museum d'histoire naturelle de Milan. Image : Giovanni Bindellini.

Le trio d'auteurs accompagné du paléontologue Guillaume Fleury du Muséum d'Histoire naturelle de Toulouse ont aujourd'hui résolu l'énigme phylogénétique qui les a tenus en haleine pendant plus de 10 ans. Dans leur nouvel article, ils présentent des fragments du crâne de l'animal ainsi que leur verdict : Razanandrongobe est un crocodylomorphe, et pas n'importe lequel. Il s'agit clairement d'un « notosuchien du Jurassique », a déclaré l'équipe, « ce qui en fait le plus ancien représentant du groupe, et de très loin. Il est en avance de 42 millions d'années sur les autres espèces de notosuchiens. »

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Les notosuchiens sont l'une des familles les plus fascinantes connues des paléontologues. Ces cousins des crocodiles vivaient sur le supercontinent du Gondwanan, et ont laissé des os fossilisés en Amérique du Sud, en Afrique, en Europe et en Asie. Il s'agissait d'un groupe extrêmement diversifié, dont certaines espèces étaient herbivores, d'autres omnivores ou bien carnivores ; il a évolué en une gigantesque ménagerie de créatures aux formes et tailles variées qui vivaient au Crétacé. Razanandrongobe sakalavae est donc le premier notosuchien du Jurassique jamais identifié, ce qui permet aux paléontologues de « commencer à combler les trous de la lignée fantôme des notosuchiens », expliquent les auteurs.

À l'époque de Razana, Madagascar commençait tout juste à se séparer du Gondwanan. Cette scission contribuera plus tard à produire l'écosystème unique de l'île, qui abrite aujourd'hui l'une des faunes les plus diversifiées de la planète. Dal Sasso m'a confié que le prédateur se régalait alors de sauropodes dits « tardifs » (des herbivores à long cou), de petits mammifères et de ptérosaures. Cependant, les chercheurs auront besoin de davantage de preuves fossiles pour tirer des conclusions plus générales sur le comportement et l'anatomie de ce représentant inhabituel des notosuchiens.

« Il faudrait trouver quelques os du squelette post-crânien afin de confirmer que Razana avait bien une conformation corporelle similaire à celle des sebecosuchiens notosuchiens, un groupe qui comprend le prédateur Baurusuchus salgadoensis », ajoute Dal Sasso.

Le bassin de Mahajanga, d'où Razana est originaire, est un site prometteur pour la recherche paléontologique, quoique il soit relativement peu exploré par les paléontologues pour le moment. Pourtant, la région a déjà fourni les restes fossilisés du gigantesque dinosaure cannibale Majungasaurus, du rapace volant Rahonavis et de la grenouille de dix kilos Beelzebufo : il n'y a pas de raison de croire que les prochains fossiles exhumés de cette région n'auront pas, eux aussi, des caractères proprement fantastiques.