"Consommer de la viande finira par être interdit"

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"Consommer de la viande finira par être interdit"

Pour Brigitte Gothière, co-fondatrice de l’association L214, c’est une évidence : le futur sera vegan.

Cet article est apparu originellement sur Nom de Zeus, le site de Pierre Belmont.

Elle est devenue le pire cauchemar des abattoirs de France. Brigitte Gothière, co-fondatrice de l'association L214, fait dans la guérilla. Ses armes ? Des vidéos choc et une opinion publique de plus en plus sensibilisée à la cause animale. La dernière action qui lui est imputée est d'avoir montré les souffrances inutiles de porcs à l'abattoir de Houdan (Yvelines), expliquées ci-dessous par Guillaume Meurice.

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Brigitte Gothière en est convaincue, dans le futur, l'alimentation sera responsable, soutenable et les humains ne tuerons plus d'animaux pour se nourrir. Et si le mouvement vegan est encore extrêmement minoritaire, elle estime que les actions de L214 commencent à faire bouger les lignes.  « Quand on montre une vidéo où l'on voit des cochons souffrir et être maltraités, si les gens réagissent c'est que l'opinion change, petit à petit. Ce n'est pas comme si on avait montré les souffrances de pommes de terre et avec quelle violence on les écrase pour en faire de la purée. Là, que l'on mange de la viande ou non, les images sont horribles, donc ça fait réfléchir et à terme ça peut faire changer certaines habitudes de consommation ».

Pour l'heure, on constate que si l'opinion est plus sensible à ce type d'images, l'effet est plutôt de s'orienter vers des produits plus responsables, sans pour autant arrêter de consommer de la viande.  « C'est une étape, c'est évidemment mieux que rien,estime Brigitte Gothière . Avec L214 on a réussi à faire en sorte que les gens achètent un peu moins de poulets issus d'élevages industriels en batterie ou que des grandes enseignes de distribution ne vendent plus d'œuf issus de poules en cage. Évidemment, nous on ne peut pas se contenter de ça, puisque notre objectif est que l'on ne consomme plus du tout de viande ou de produits issus d'animaux. Mais si les animaux souffrent moins, c'est déjà ça ».

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La militante se bat sur tous les fronts, et ambitionne de montrer au grand public que la cause animale n'est pas qu'une affaire de vidéos insoutenables, mais aussi d'environnement, de santé publique et même d'économie. « L'impact environnemental de l'élevage n'est plus à prouver, la FAO a publié de nombreux rapports à ce sujet[voir également vidéo plus bas] . Du point de vue sanitaire, on gave les animaux d'antibiotiques qui se retrouvent dans la nature et génèrent de l'antibiorésistance, y compris chez les humains. Et la plupart des agents pathogènes, dont les cancers, viennent de notre consommation de viande. Tout ça pour un produit dont notre organisme peut se passer et qui en plus est un très mauvais convertisseur de protéines, par rapport aux produits végétaux. Vous pensez toujours qu'il s'agit d'un problème uniquement animal ? Détrompez-vous, ça deviendra de plus en plus un problème humain ».

Ajoutez à cela que, toujours selon la FAO, plus de 70% des productions agricoles sur la planète servent à nourrir des animaux d'élevage plutôt que des humains et que l'élevage est l'activité qui consomme et gaspille le plus d'eau sur la planète.

Bien sûr, le but de L214 est de lutter contre le spécisme et de vivre en harmonie avec tous les êtres dotés de sentience (capacité à ressentir des émotions, et donc à souffrir). Mais il faut bien avouer que les arguments cités plus haut sont diablement plus efficaces pour sensibiliser le grand public aux conséquences de la viande. Au point que la France, gros consommateur de viande, voit sa consommation baisser légèrement ces dernières années.  « Même si les gens sont plus sensibles aux arguments environnementaux et sanitaires qu'éthiques, du moment qu'au final il y a moins d'animaux tués, nous ne pouvons que nous en féliciter, bien sûr, indique la militante . Mais il faudra bien un jour que la société se questionne sur ce que signifie réellement manger de la viande ».

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Mais un point central demeure : et si nous n'avions jamais envie d'arrêter de manger de la viande ? Car après tout, pourquoi une association viendrait mettre le nez dans nos assiettes ? Et soyons honnête : de manière générale, on aime la viande.

« Ah mais moi aussi j'aime la viande ! coupe Brigitte Gothière . Simplement, j'ai fait le choix de ne plus en manger. Mon plaisir personnel ne peut pas passer avant les conséquences négatives ». La militante a conscience qu'il faudra probablement passer en force pour changer les habitudes :  « dire "je continue parce que j'ai pas envie d'arrêter et parce que j'aime la viande", c'est un comportement individualiste et assez petit. Les humains sont capables d'une force de volonté et d'un engagement bien plus importants sur tout un tas d'autres sujets, alors pourquoi s'arrêter à un argument si faible alors qu'il s'agit de l'intérêt général ».

Avant d'ajouter, sans craindre de s'exposer aux cris d'orfraie :  « On arrivera un jour à une interdiction de la consommation de viande. Et on verra sûrement des tas de gens dire que c'est liberticide. Mais au moment de la loi Evin qui interdit de fumer dans les lieux publics on entendait les mêmes arguments. Avant, on a entendu les mêmes arguments de la part des esclavagistes : "vous ne voulez pas prendre d'esclaves, très bien, mais laissez-nous les nôtres". Et je crois que beaucoup de gens se laissent berner par des fausses libertés. Quand on dit "je suis libre de manger de la viande", ça n'est pas tout à fait vrai. Tout nous pousse à manger de la viande : la publicité, les industriels, les politiques publiques, l'inconscient collectif, etc. C'est vraiment l'image de Charal : "mange ton steak, tu seras un vrai mec". Où est la liberté là-dedans ? »

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Pour la militante, rien ne nous incite à diminuer notre consommation de viande, car  « cela fait bien les affaires d'industriels privés, au détriment de l'intérêt général. Mais avec des politiques publiques courageuses, les choses pourraient changer rapidement ».

Et si l'enthousiasme de la totalité de la classe politique à aller saluer les éleveurs au salon de l'agriculture (le président de la République a encore annoncé ce week-end  « il faut manger de la viande, srestriction et sans restriction »)  indique que les bonnes vieilles habitudes électorales changent difficilement, la question commence à poindre dans les programmes électoraux, notamment chez Yannick Jadot ou Benoît Hamon.

Jean-Luc Mélenchon a également inscrit la réduction de notre consommation de viande dans son programme de campagne.

Toutefois, il existe une solution, qui pourrait permettre de réduire l'impact environnemental de notre alimentation et de tuer moins d'animaux tout en continuant à manger de la viande. Issue de cellules-souches, la viande artificielle a l'ambition de remplacer l'élevage dans les années à venir. Une solution qui pourrait convenir aux associations comme L214 car la souffrance animale et l'abattage pourraient ainsi être éliminés.

Récemment, la philosophe Florence Burgat, qui défend une alimentation strictement végétale, a indiqué dans son ouvrage L'Humanité carnivore que les viandes végétales et artificielles pourraient constituer une solution d'avenir. Elle estime que « la perfection des imitations, le mélange, dans un premier temps, de la viande de boucherie avec ces viandes, que le marketing saura présenter comme de la chair animale », pourrait peut-être faire illusion auprès des carnivores.

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Pourtant, Brigitte Gothière n'est pas entièrement convaincue. La militante craint  « que l'on ne trouve que des solutions industrielles à ce qui est un problème industriel. On risque de favoriser encore des industries privées, et pour moi ça ressemble à une solution compliquée quand on pourrait faire plus simple. Évidemment, tout ce qui permet de faire moins de victimes animales est bon à prendre et si on diminue les impacts négatifs liés à la viande, tant mieux. Mais en quelque sorte, on cherche à inventer des solutions qui permettent de tout changer sans rien changer ».

Comme Florence Burgat, elle déplore qu'on ne cherche pas plutôt à inciter à ne plus manger de viande.  « La viande artificielle, en soi c'est très bien, mais ça ne remet rien en question. Pourquoi mange-t-on de la viande ? D'autant que je ne suis absolument pas sûre que cette solution satisfasse les carnassiers. Est-ce que le plaisir qu'on peut avoir à manger de la viande ne vient pas aussi du plaisir de tuer un animal ? »

Et en effet, la viande artificielle ne semble pas particulièrement faire rêver les amateurs de viande non plus. Mais il faut considérer que la discipline ne fait que débuter.

Parmi les autres solutions soutenables pour l'alimentation du futur, la consommation d'insectes est également envisagée. Mais les insectes étant (attention scoop) également des animaux, faudrait-il se passer d'une solution que la FAO considère comme potentiel moyen de subvenir aux besoins des 9 milliards d'être humains à venir (voire plus) et qui serait beaucoup moins énergivore et polluante que tous les élevages, voire que certaines cultures céréalières ?

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Alors que faire ? Doit-on établir une classification entre animaux, ceux dont la vie importe et les autres ? Ceux que l'on aime et ceux que l'on aime manger ? Ceux qui sont sensibles et ceux qui ne le sont pas ?

Car c'est le nœud du problème.  « Les scientifiques ne sont pas fixés sur la question fondamentale,indique Brigitte Gothière. L'animal est-il sensible ou non ? C'est sûr que j'ai du mal à me dire qu'une sauterelle éprouve des sentiments, et donc de la souffrance, mais je leur laisse le bénéfice du doute pour l'instant. Surtout que s'il s'avère que c'est le cas, vous faites beaucoup plus de victimes avec un steak de sauterelles que de bœuf ! »

Mais si ce n'est pas le cas, si la science montre qu'une sauterelle n'éprouve rien  « alors c'est comme un légume, je n'aurais aucun problème éthique à la manger,assure Brigitte Gothière. Moi je suis prête à manger tous les animaux que vous voulez, à partir du moment où vous me prouvez que ce sont des légumes », glisse-t-elle, amusée.

Et si la militante a conscience que tout le monde ne deviendra pas vegan du jour au lendemain, elle continue toutefois de favoriser « les pratiques les moins pires. Acheter bio, aller chez le producteur, réduire sa consommation, c'est très bien. Mais nous, nous continuerons à alerter sur le problème éthique fondamental : des animaux souffrent et sont tués pour satisfaire les envies humaines ».

Mais pour la majorité d'entre nous, nous continuerons à manger de la viande. Jusqu'à la prochaine vidéo de L214 ?