FYI.

This story is over 5 years old.

Tech

Comment le pseudo-enlèvement d'une youtubeuse a mis le feu à Internet

Tutos beauté, État islamique et ayahuasca : la youtubeuse anglaise Marina Joyce est à l'origine d'un coup de chaud collectif comme seul internet sait les déclencher.

C'est un coup de chaud collectif comme seul internet sait les déclencher.

Depuis le 22 juillet dernier, la youtubeuse beauté britannique Marina Joyce inquiète ses fans. Ce jour-là, la jeune femme de 19 ans a mis en ligne une vidéo dans laquelle elle fait la promotion d'un site de vente de vêtements. Elle s'y comporte bizarrement : son regard fixe se braque souvent derrière la caméra, ses poses et ses traits sont rigides, quelque chose cloche dans sa diction. Lorsqu'elle fait un tour sur elle-même pour présenter sa robe aux internautes, on peut remarquer de grosses ecchymoses jaunies sur ses bras et son dos. Même s'ils ne sont pas vraiment inquiétants, ces détails ont déclenché un début de psychose chez les internautes. Certains ont commencé à affirmer que la vlogueuse appelait à l'aide dans la vidéo ; d'autres se sont inquiétés de voir une main d'homme apparaître brièvement à l'image.

Publicité

Très vite, la paranoïa des fans de la youtubeuse s'est propagée sur Twitter. Les hypothèses les plus inquiétantes s'y sont multipliées, portées par le hashtag #saveMarinaJoyce. Dans un long argumentaire publié le 24 juillet dernier sur le site Just Paste It, un internaute résume la situation : "Comme beaucoup d'autres gens, j'ai l'impression que quelqu'un force Marina à faire ces vidéos (sans doute son copain, mais il est possible que quelqu'un l'ait kidnappée). Ou qu'elle est en train de faire une overdose." Le reste du texte décortique les dernières apparitions numériques de la jeune femme pour y déceler des signes alarmants. L'auteur voit des indices de séquestration ou de toxicomanie partout : un bruit de souffle à peine audible, de nombreuses répétitions, une erreur d'élocution, des flacons sur une table de nuit. Il remarque aussi que Marina Joyce répond "oui" puis "non"à un commentaire qui lui demande si tout va bien, avant de souligner que c'est peut-être le "kidnappeur/copain" de la vlogueuse qui communique par écrit avec ses fans sur Twitter et YouTube.

L'hypothèse d'une Marina Joyce séquestrée et dépossédée de sa présence numérique a séduit les internautes. C'est pour cette raison que le tweet dans lequel la jeune femme assure qu'elle "va bien, sérieusement" n'a pas été entendu par les fans, lundi 25 juillet. "Comment peut-on être sûrs que c'est vraiment toi ?" a répondu une internaute. C'est aussi pour cette raison qu'un autre tweet publié dans la nuit du 26 au 27 juillet par la Britannique a fait empirer la situation. "Retrouvez-moi à Bethnal Green (un quartier londonien réputé pour ses bars, ndlr) à 6h30 si vous voulez faire la fête avec moi ^-^ emmenez un ami pour ne pas vous perdre" : avec ces quelques mots, la youtubeuse espérait convaincre ses followers de la rejoindre pour une morning party le 3 août prochain. Sans doute galvanisés dans leur paranoïa par l'actualité, ceux-ci ont choisi de croire que cette invitation était un piège de l'organisation Etat islamique : les djihadistes auraient séquestré Marina Joyce et pris le contrôle de son compte Twitter pour jeter ses fans dans un attentat. C'est à ce moment-là que #saveMarinaJoyce a fait son entrée dans les tendances monde du réseau social.

Publicité

A force d'émoi sur internet et de coups de fil de fans inquiets, les autorités se sont résolues à intervenir. Dans les premières heures du mercredi 27 juillet, des policiers du district londonien d'Enfield se sont rendus au domicile de la youtubeuse à trois heures du matin, heure anglaise. Ils ont confirmé qu'elle était "saine et sauve" dans un tweet publié une trentaine de minutes plus tard. Pour faire bonne mesure, la jeune femme a de nouveaumartelé qu'elle allait bien quelques heures plus tard. En fin de matinée, elle a également réalisé un livestream au cours duquel elle a affirmé que la police était bien venue à sa porte,qu'elle ne se droguait pas et qu'elle ne pouvait "pas vraiment" expliquer "l'histoire triste" qui se cache derrière ses bleus. Ajoutée à un regard écarquillé en direction des commentaires du stream et à une petite toux qui dissimulerait un nouveau "aidez moi", cette déclaration a ravigoté les complotistes. Dans la nuit du 27 juillet, Marina Joyce a lancé un second livestream pour tenter de faire taire la rumeur une bonne fois pour toute. Alors que nous finissons la rédaction de cet article, elle répète patiemment que "tout va bien" à ses 50 000 spectateurs, le nez dans un bol de céréales.

Officers have visited YouTube user Marina Joyce. She is safe and well. Enfield MPSJuly 27, 2016

Libre aux plus acharnés de croire que Marina Joyce est toujours menacée par les sbires d'Al-Baghdadi ou sur le point de faire une overdose de kétamine. Dans quelques jours, il ne restera plus rien de cette affaire - si ce n'est les centaines de milliers d'abonnées que la jeune femme a gagné sur YouTube grâce à elle. Au petit matin du 27 juillet, 650 000 personnes suivaient sa chaîne ; ils sont désormais plus d'un million. Quant à son compte Twitter, il est passé de 200 000 à 400 000 followers en moins de 24 heures.

Ce grand succès est-il tout à fait fortuit ? En ces temps de storytelling perpétuel, l'hypothèse du coup de com audacieux semble toujours plausible. Peut-être que tout ceci est un heureux accident : il semble que Marina Joyce soit coutumière de la nuit londonienne, un milieu réputé pour son goût des substances illicites. Comme le soutient le redditor Pineali, la youtubeuse s'est peut-être découvert un personnage intrigant en réalisant une vidéo sous l'emprise de la drogue. La réaction de sa fanbase l'aura convaincue de jouer le jeu pour attirer l'attention. C'est pour cette raison qu'elle aurait suivi les instructions des internautes lui demandant d'arborer un signe de détresse dans ses vidéos. Une autre thèse veut qu'elle orchestre toute l'affaire depuis le début. Dans ce cas, elle ne serait qu'une nouvelle variation sur le thème de la jeune fille fragile à l'heure d'internet. C'est une recette qui marche : Bree "lonelygirl15" Avery, une vlogueuse factice jouée par l'actrice Jessica Lee Rose, a brillamment trompé le web entre 2006 et 2008.

Il reste une dernière possibilité, originale mais plutôt séduisante : si Marina Joyce semble un peu perchée ces derniers temps, c'est qu'elle récupère d'un trip à l'ayahuasca. La youtubeuse a manifesté son intérêt pour cette boisson hallucinogène à plusieurs reprises, notamment dans une vidéo publiée en mai dernier et dans un tweet envoyé début juillet. Des enquêteurs acharnés ont remarqué de "fortes corrélations" entre ses déclarations nébuleuses dans Near death experience et les témoignages de courageux ayant osé avaler le breuvage amazonien. Cela expliquerait son air halluciné, ses expressions faciales bizarres, son regard fixe et vitreux. Une jeune spécialiste en tutos beauté encore troublée par une défonce de chaman, c'est bien plus qu'il n'en faut pour lancer un grand délire complotiste sur internet. Pourtant, c'est tout de même moins fou qu'une histoire de kidnapping par les lions du Califat.