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Avec les flics à la retraite qui identifient des cadavres à l'ancienne

Gene Sullivan et James Cardin sont loin d'être trop vieux pour ces conneries.

Gene Sullivan (à gauche) et James Cardin (à droite) étudient un tableau sur lequel figurent des corps ou des membres non identifiés. Toutes les photos sont de l'auteur.

Gene Sullivan et James Cardin ont passé des milliers d'heures à fixer le tableau des affaires classées, qui rassemblent des cadavres n'ayant jamais été identifiés. Installés dans la ville Joliet – située dans l'Illinois – ils occupent un modeste bureau dans les locaux du coroner du comté de Will. Aucun gadget tactile, pas d'assistant en blouse blanche ou de base de données accessible en quelques clics. Au lieu de ça, leur matériel se résume à des ordinateurs de bureau, trois imprimantes d'un autre temps et des tas de dossiers qui attendent d'être numérisés.

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Leur tableau énumérant les cadavres non identifiés est divisé, à l'aide de scotch bleu, en colonnes et rangées. On y trouve les informations suivantes : lieu de la découverte du corps, juridiction correspondante, analyse scientifique effectuée, lieu où est entreposé le corps et procédure à mener pour la suite. Chaque rangée débute, à gauche, par le nom donné à l'affaire. « Madame Butterfly » était la première affaire du duo – cette femme a été retrouvée étranglée le long de l'autoroute I-55 en 1968. « Glitter Man », quant à lui, avait des dents en or alors que le corps de « Crate Man » a été découvert criblé de balles dans une boîte en bois qui flottait sur le canal près de Lockport.

« Tous ces noms correspondent à des individus qui ont une famille qui les attend quelque part et qui n'a aucune nouvelle », me précise Gene, enquêteur à la retraite.

En 2008, le médecin légiste du comté de Will, Patrick O'Neil, a embauché les deux hommes à temps partiel pour tenter d'identifier les corps dans des affaires non élucidées. James Cardin – ancien shérif du comté de Cook et ex-négociateur au sein du SWAT – et Gene Sullivan se sont associés à des experts et se sont mis à fouiller dans toutes les bases de données accessibles. Le duo a déjà travaillé avec des anthropologues de l'université du Texas et des experts en stabilité des isotopes de la Smithsonian Institution – entre autres. C'est un travail long et difficile – à mille lieues de l'image véhiculée par bon nombre de séries vantant les avancées scientifiques dans le domaine. En réalité, si vous voulez identifier des corps aux États-Unis, il vous faut employer des méthodes old school.

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« C'est comme chercher deux moitiés d'aiguille dans deux bottes de foin dans un pays rempli de bottes de foin, me résume Gene. On a beau collecter des renseignements liés à l'ADN, aux empreintes dentaires, si personne ne remplit correctement le fichier de la personne disparue, on ne peut aboutir à rien. »

James Cardin (à gauche) et Gene Sullivan (à droite) en compagnie de la reconstitution faciale d'un cadavre qu'ils cherchent à identifier.

Au cours des dernières décennies, la médecine légale a fait d'énormes progrès, c'est une évidence. L'analyse de la stabilité des isotopes nous permet de savoir d'où vient un corps à partir d'éléments prélevés sur ses os ou d'autres parties de l'organisme. Désormais, le service national de recherche et d'identification des personnes disparues américain – connu sous le nom de NamUs – aide les civils à entrer en contact avec les forces de l'ordre pour faciliter les recherches.

Mais toutes ces avancées ne seraient rien sans une autre dimension essentielle dans l'identification des cadavres : la chance. Ça a été le cas lors de l'affaire de « Music Man ».

Le 20 mai 2009, quelques éléments d'un corps humain étaient retrouvés sur la rive de la Des Plaines, une rivière située à l'est de l'autoroute 55, aux alentours de Channahon dans l'Illinois. Il y avait l'équivalent de 1,3 kg d'os – pas de tête, ni de bras, ni de pieds. Juste une cage thoracique, un os coxal et différentes parties d'un fémur. Les restes étaient recouverts de lambeaux de sous-vêtements et d'un jean dans lequel se trouvaient un billet de 20 dollars et un médiator.

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Pendant quelques jours, le pays était en effervescence. Toute l'Amérique se demandait si les os appartenaient à Stacy Cales, la quatrième épouse de Drew Peterson – un type déjà condamné pour meurtre.

Néanmoins, les autorités annoncèrent le 27 mai 2009 qu'il s'agissait des restes d'un homme. Les médias ont très vite délaissé l'affaire. Les camions de télévision et les hélicoptères ont quitté l'Illinois. Lorsque le pays s'est désintéressé de tout ça, Cardin et Sullivan sont entrés en action. L'une de leurs pistes se nommait John Spira, qui a disparu le 23 février 2007 dans le comté de DuPage, au nord de Will. Sinon, il pouvait également s'agir de Scott Dudko, qui demeurait introuvable depuis le mois de décembre 2008.

« Leur poids était équivalent et tous deux étaient musiciens, se souvient Gene Sullivan. En plus, ils avaient les mêmes problèmes dentaires. »

En mai 2010, James Cardin s'est rendu au pot de départ à la retraite d'un ancien collègue, le sergent Terrence Freeman. Ils s'étaient côtoyés dans les années 1970 et Freeman avait prévu de s'installer dans un chalet du Wisconsin avec sa femme. Cependant, une affaire lui restait en travers de la gorge : celle de la disparition de Scott Dudko.

« Lors de cette soirée, il m'a dit que Dudko venait souvent traîner vers Joliet et qu'il était dans un groupe de musique, se remémore James Cardin. Ça m'a tout de suite marqué. Je me suis rappelé que notre Music Man avait un médiator sur lui. »

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Dix mois avant le départ à la retraite de Freeman, le cadavre du père de Scott Dudko, Michael, avait été retrouvé par un policier lors d'un contrôle de routine. Un échantillon de sang avait été prélevé et enregistré dans une base de données nationale.

L'ADN de Michael Dudko ainsi prélevé, James et Gene l'ont comparé à l'ADN trouvé sur Music Man. Les deux échantillons étaient compatibles à 95 %. Il en allait de même pour l'ADN de la sœur de Dudko.

Patrick O'Neil a annoncé le 27 juillet 2010 que Music Man était Scott Dudko. Il avait 32 ans.

Après l'identification d'un corps, l'affaire passe entre les mains de la police de la juridiction correspondante. Dans le cas de Scott Dudko, il s'agissait de la police de l'Illinois. L'un de ses agents, Cornelius Monroe, m'a précisé que l'affaire Dudko était une affaire criminelle toujours ouverte et qu'il ne pouvait pas me donner davantage d'informations.

Si Music Man a été identifié, il y a encore 11 cadavres inconnus inscrits sur le tableau de James Cardin et Gene Sullivan. Certains doivent être exhumés. D'autres nécessitent une analyse approfondie en laboratoire ou une reconstitution faciale. Mais chaque nouvelle étape engendre des coûts supplémentaires.

« Lorsque vous êtes contraint de respecter un budget donné, la seule chose qu'il vous reste à faire est d'attendre », précise Gene.

Les deux ex-flics savent très bien que la probabilité de redonner une identité à ces corps est faible mais ils espèrent que les tests aujourd'hui hors de prix deviendront moins onéreux à l'avenir. Une numérisation accrue des archives leur permettrait également de gagner un temps précieux.

« Si un membre de nos familles venait à disparaître, on aimerait savoir qu'il y a quelqu'un qui travaille autant que nous pour le retrouver », me précise James lorsque je lui demande pourquoi il a tenu à rempiler après sa retraite. « Même si nous ne parvenons pas à redonner une identité à tous ces corps, nous collectons le maximum d'indices qui permettront peut-être à ceux qui nous succéderont de réussir. »

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