Un week-end de guerre dans les rues de Turquie

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Un week-end de guerre dans les rues de Turquie

Le soulèvement social s'étend à tout le pays, d'Istanbul à Ankara.

« Aujourd'hui, il y a une menace qui s'appelle Twitter. » Voilà ce que déclarait le Premier ministre turc à la télévision nationale, dimanche. « C'est là dessus qu'on peut trouver les plus gros mensonges. À mes yeux, les médias sociaux sont la plus grosse menace à laquelle doit faire face la société. »

Extraite d'un des deux discours diffusés à la télévision turque hier, cette déclaration est représentative des troubles sociaux qui agitent la Turquie. Alors que les principaux médias turcs ont majoritairement essayé d'ignorer les dizaines de milliers de manifestants qui ont pris les rues d'Istanbul, Twitter a offert à ces derniers un moyen de s'organiser et de faire connaître leur combat. Ce qui, au début, n'était qu'une manifestation pacifique contre la destruction d'un parc qui devait laisser sa place à un centre commercial, a finalement été l'occasion pour les manifestants d'exprimer un ras-le-bol général. De nombreuses couches de la société sont en colère face à ce qu'elles interprètent comme une tentative d'Erdogan de transformer la démocratie dont il a la charge en une dictature islamiste. La gentrification des villes turques, la corruption du gouvernement et les premières rattaques contre les libertés individuelles – comme boire de l'alcool ou s'embrasser en public –, tout cela combiné a donné lieu au plus gros soulèvement social de la décennie en Turquie.

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Et n'oublions pas le blackout médiatique : le manque de liberté de la presse a atteint un tel niveau qu'il est devenu une évidence pour tous.

Des manifestants affrontent la police à Ankara.

Ce week-end, les manifestations se sont propagées à plus de la moitié des 81 provinces du pays. Parmi les plus importantes, la manifestation qui s'est déroulée à Ankara, a offert des images d'affrontements violents entre la police et les manifestants, et a fait plus de 700 blessés, et celle d'Istanbul où le nombre de blessés a dépassé le millier. On peut aisément imaginer que ces chiffres augmentent en ce moment même, alors que les responsables politiques font état de plus de 1700 arrestations.

Des fans de Beşiktaş montent une pelleteuse à Istanbul.

Dimanche soir, des fans de l’équipe de foot de Beşiktaş ont pris possession d’une pelleteuse et l’ont dirigée sur la police anti-émeutes. Ceux qui n’avaient pas envie de rejoindre la manifestation dans les rues ont participé depuis leurs fenêtres, ajoutant leur part au vacarme qui s’est propagé dans différentes parties du pays, en tapant sur des poêles et des casseroles.

VICE a actuellement plusieurs reporters et des réalisateurs en Turquie. On en a appelé un dimanche pour nous assurer qu’il ne s’était pas étouffé dans les gaz lacrymo et pour avoir sa vision des derniers événements sur place. Vous trouverez également une sélection d’images des événements du week-end ci-dessus.

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VICE : Les choses se sont-elles calmées ou deviennent-elles plus violentes ?
VICE : Les choses se sont calmées sur la place Taksim, ça c’est sûr ; les manifestants ont mis en place des barricades tout autour du parc alors les véhicules de police et les bulldozers ont beaucoup de mal à y entrer. Mais depuis 21h30 ce soir, des affrontements entre la police et des manifestants ont éclaté à Beşiktaş et ils sont assez violents. La police utilise des gaz lacrymogènes et d’autres gaz qui font vomir les gens – le bruit court qu’il s’agit de l’agent orange, mais je ne peux ni le confirmer ni le démentir.

Tu as croisé beaucoup de blessés ?
En marchant dans la rue, on croise une personne blessée toutes les cinq minutes, qu’il s’agisse d’un coup ou de quelqu’un qui suffoque à cause des gaz lacrymogènes. Il y a six hôpitaux de fortune à Taksim, avec des médecins volontaires et des étudiants en médecine, parce que la police ne laisse pas entrer les ambulances. Il y avait 500 personnes en attente de soins médicaux dans le centre médical où j’étais hier et ces personnes ne peuvent pas se rendre aux hôpitaux. Vendredi, une manifestante était devant un hôpital et elle a vu 40 ambulances qui ramenaient des blessés – à ce moment-là, le nombre officiel de blessés était de moins de 40. Je ne peux pas confirmer le nombre de blessés mais il est clairement plus élevé que ce que les médias disent. Là où je suis actuellement, le gaviscon, qui est utilisé contre les effets des gaz lacrymogènes, est en rupture de stock.

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J’ai entendu des témoignages selon lesquels la police aurait détruit des bancs et des panneaux publicitaires pour faire croire que les manifestations l’ont fait. Tu l’as vu ça ?
Il y a des tonnes de rumeurs qui circulent sur tout et n’importe quoi. La première nuit où on était ici, des gens hurlaient que la police tuait ouvertement des jeunes dans la rue, ce qui n’a pas été confirmé ou démenti. Puis hier, on entendait beaucoup parler du Greenpeace turque, qui confirmait l’utilisation de l’agent orange contre les manifestants. Je ne dis pas qu’il ne faut pas y croire, mais c’est difficile de le confirmer. Il est possible que la police ait chargé volontairement la foule pour créer du grabuge, mais ça aurait aussi pu être des hooligans ou des anarchistes. On a passé du temps hier avec un groupe de manifestants qui depuis le début ne font que réunir les rumeurs et tentent de les vérifier.

Des manifestants anti-Erdogan se rassemblent dans Istanbul le samedi soir.

Et c’est quoi le profil des manifestants ?
Surtout des jeunes, parce qu’on filme surtout le soir. Mais le truc touchant dans cette manifestation, et ce dont beaucoup de Turcs parlent, c’est que tous types de personnes manifestent et chantent, et tous sont solidaires. On trouve des nationalistes turcs qui marchent à côté d’anticapitalistes musulmans, et même de Kurdes. Pour un pays comme la Turquie, c’est extraordinaire. En plus de ça, tu peux voir des femmes en foulard, des hooligans et des anarchistes. Tout le monde est descendu dans la rue, tout le monde a été outré par l’injustice et la brutalité de ces mesures répressives contre une manifestation pacifique. Ils ont uni leurs forces pour dire : « Non, c’en est assez. » Donc c'est assez difficile à dire, il y a vraiment beaucoup de gens.

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Les manifestants partagent-ils une même idéologie ?
Bien sûr, comme dans toute manifestation, tu vois des drapeaux communistes, anarchistes, mais comme je viens de te le dire ce n’est pas une manifestation avec un programme politique clairement défini. C'est avant tout une manifestation pour les droits de l’homme, la liberté d’expression et la démocratie. Tout a commencé par une petite manifestation pour protéger le parc Taksim Gezi, empêcher qu'il ne soit démoli – ils comptent faire un centre commercial à la place. Un député kurde du parti pour la paix et la démocratie, Sırrı Süreyya Önder, s’est tenu debout, face aux bulldozers, et leur a dit qu’il était illégal de démolir les arbres du parc Gezi sans autorisation. La police lui a tiré dessus avec des lacrymos, et il a atterri à l’hôpital. Les gens sont en colère parce que c’est l’un des derniers espaces verts dans cette partie d’Istanbul, et parce qu’historiquement, c’est un symbole de la résistance civile. D’une façon plus générale, la gentrification de ce quartier, c'est quelque chose qui énerve les gens depuis un bout de temps. Aussi, plus la police se montre brutale, et plus les gens sont en rogne.

Les manifestants s’alignent-ils avec le principal parti d’opposition turc ?
Les gens essaient de s’emparer de la manifestation afin de servir leurs propres intérêts, leur propre idéologie, mais il y a beaucoup de groupes différents. Je n’insisterai jamais assez sur les différences entre tous ces gens. T’as des hipsters, des anticapitalistes, des familles, des anarchistes. Les gens s’élèvent contre la brutalité et ils veulent qu’on les entende. Au risque de me répéter, j’arrive pas encore à croire que j’ai vu des Kurdes et des nationalistes turcs manifester côte à côte.

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Un homme se fait soigner dans l’un des hôpitaux de fortune d’Istanbul.

Y a-t-il des groupes favorables au gouvernement ou islamistes qui s’en sont pris aux manifestants ?
Oui, on a vu des miliciens pro-AKP se battre, aux côtés de la police, contre les manifestants, à Istanbul et dans d’autres villes. Il semble que la grande majorité soit des islamistes. Mais ils ne sont pas beaucoup, en nombre.

Est-ce qu’il y a des revendications, des slogans ou des chants communs à la plupart des manifestants ?
J’ai entendu « Épaule contre épaule contre le fascisme », « La police, retirez vos masques à gaz et on verra qui c’est, l’homme, le vrai » et « n’arrêtez jamais de vous exprimer, le cas échéant vous serez le prochain à vous faire brutaliser ».

Et au niveau de la couverture médiatique des événements ?
Y’a un truc que tout le monde veut savoir, c’est si on est un média international ou turc. Il y a très peu de couverture des événements par les médias nationaux. On interviewait des gens dans un hôtel et aux infos, t’avais des images de fermiers heureux, alors que dehors, on se serait crus en zone de guerre. Les gens huent les vans des médias turcs. Erdoğan continue à rendre les gens furieux à chacune de ses apparitions télé, et les médias turcs se taisent.

Istanbul

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Ankara

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