Saignant comme une baston en prison
Illustration de Dola Sun

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Saignant comme une baston en prison

Ce que l'on ressent lorsque deux mecs s'en foutent plein la tronche pour une banale histoire de drogue.

Cet article a été publié dans le cadre du Marshall Project.

Je suis sorti de ma cellule en ayant encore en tête la lettre que je venais d'écrire à un autre prisonnier. Nous discutions depuis une semaine de notre « développement personnel ». Je disais à ce type qu'il s'en sortirait le jour où il serait capable de faire autre chose de sa vie que de participer à des embrouilles dans les rues de Détroit et qu'il lui fallait une bonne fois pour toutes être capable de jouer un rôle de médiateur.

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J'ai ensuite quitté le bâtiment de haute-sécurité dans lequel je suis encore enfermé pour rejoindre la cour – soit un octogone pas plus grand qu'un parking de supérette. Une dizaine de mecs étaient là, prêts à commencer la journée. Les deux gardes qui contrôlaient le checkpoint que je venais de passer étaient déjà occupés à faire autre chose.

Rapidement, d'autres détenus nous ont rejoints et la cour est devenue bien plus agitée. J'ai échangé quelques poignées de main avec des gars, dit bonjour à d'autres, puis j'ai attendu que Tron, mon pote de taule, se ramène.

Il a fini par me rejoindre. C'est un mec brun qui porte des dreadlocks. Il a 27 ans et il a grandi au sein d'un gang de Détroit ; maintenant, il veut « changer ». J'avais neuf ans de plus que lui quand il a été emprisonné, alors je l'ai pris sous mon aile. Nous devions parler de l'école qu'il rêvait de construire pour les jeunes en difficulté, mais lorsque je l'ai vu, il semblait mal à l'aise.

« Quoi de neuf mec ? », lui ai-je dit en me rapprochant.

« Hey mec, quoi de beau ? », a-t-il répondu tout en me saluant à la manière des mecs de Détroit. « Tu sais que des gars vont probablement… »

Avant d'avoir pu terminer sa phrase, le centre de la cour s'est mis à rugir. J'ai compris ce qu'il se passait avant de le voir – j'entendais le bruit de poings heurtant la peau.

J'ai vu la tête chauve de Charlie. Il balançait des coups de poing à un type bien plus grand que lui. Le mec en face se balançait comme un boxeur mais était terriblement lent. Charlie Austin, c'est 90 kg de muscles, un ancien boxeur amateur né à Flint dans le Michigan. Le type qu'il affrontait était massif et objectivement gros. Genre 1 mètre 90 pour 130 kg.

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Le combat a évidemment attiré l'attention de tout le monde. Mes mains se sont immédiatement transformées en de solides poings fermés.

J'ai jeté un coup d'œil autour de moi pour savoir si quelqu'un d'autre allait se joindre à la baston. Sur la quarantaine de détenus présents, personne n'a levé le petit doigt. Seuls les deux gardes se sont rapprochés en nous menaçant avec leurs tasers et leurs bombes lacrymogènes.

« C'est bon les gars, arrêtez ça maintenant », constituait leur premier avertissement, très mesuré – comme une forme de désespoir face à une énième journée de boulot.

Trois autres gardes ont débarqué, en renfort. Plus confiants, les deux gardes ont réitéré leurs sommations : « Ok, c'est terminé. Allonge-toi au sol Austin. »

Mais il a continué, et le géant contre qui il se battait, Brightmoor, est tombé par terre.

Brightmoor a été baptisé ainsi en référence à son quartier d'origine de Détroit. Âgé de 23 ans, il avait pris cinq ans pour consommation de drogues. À seulement un an de sa libération, il pensait pouvoir bientôt rentrer chez lui, malgré la lame qui se trouvait dans sa main droite à ce moment précis.

Un taser a été actionné mais Charlie s'est retourné sans broncher. Un second maton a tiré et Charlie est tombé au sol avec Brightmoor. Huit autres gardes sont venus prêter main-forte, mais la baston était déjà terminée. Elle avait duré une vingtaine de secondes.

Tron a attendu que les deux gardes escortent les deux combattants pour cracher dans la poussière de la cour et m'expliquer ce qui avait déclenché cette bagarre.

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« Une histoire de drogue », m'a-t-il dit dans un argot dont il se servait pour les insultes et les menaces. On pouvait encore entendre Charlie et Brightmoor s'engueuler.

Tron a soupiré en se frottant la tête : « On vient tout juste de promettre à Charlie qu'il pourra sortir d'ici un an. »

Dans le système pénal du Michigan, quand on vous promet une libération conditionnelle, vous devez vous tenir tranquille pendant un an. Avant cette baston, Charlie était donc proche de la liberté après 23 années consécutives passées en prison.

Brightmoor n'était même pas né lorsque Charlie – qui a aujourd'hui 48 ans – a été arrêté pour vol et meurtre dans les années 1990. Ils avaient pourtant de nombreux points communs – liés à Détroit – et passaient leurs journées à discuter de sport, de faits divers et de femmes.

Peu importe à quel point j'appréciais Charlie, je ne pouvais rien faire pour lui. Je lui en voulais d'avoir craqué au pire moment possible. Moi, je dois attendre encore 16 ans avant que mon cas soit étudié par une commission. J'aurais volontiers échangé ma place avec celle de Charlie.

Détroit. Le désespoir qui règne dans cette ville est omniprésent. Ses habitants sont épuisés. La haine dégouline des habitations et se déverse dans les rues, sans arrêt.

Je me trouvais donc là, au milieu de cette cour, en train de regarder mes ennemis potentiels, une bonne quarantaine de détenus maintenant. J'ai fini par me demander ce que ça ferait si l'un d'entre eux venait à m'attaquer. Étais-je rouillé ?

Je me lamentais sur mon sort comme sur celui de Charlie et de Brightmoor. Pourtant, je mourrais d'envie de sombrer dans leur haine.

Deyon Neal, 35 ans, est incarcéré à la prison Marquette Branch, dans le Michigan, où il purge une peine de 30 à 60 ans pour agression avec intention de donner la mort.