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Pourquoi est-il fatigant de pleurer ?

Si vous pensez que pleurer permet de relâcher les tensions et de se débarrasser des émotions négatives, c'est que Freud vous a menti.
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Avec la série « Le Pourquoi du moment », Motherboard répond aux questions les plus posées sur Google en 2016. Aujourd'hui, on se demande, la gorge serrée, pourquoi on est complètement exténué après avoir pleuré pendant plusieurs minutes.

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Ça ne va pas fort, pas vrai ? Ah, une bonne crise de larmes. Être secoué par des spasmes irrépressibles. La mélancolie, le vague à l'âme, le désespoir peut-être ! Être englué dans ses propres mucosités, honteux, crachotant. Sentir ses boyaux qui se tordent en tous sens comme les ballons de baudruche que l'on crève consciencieusement lors d'un lendemain de fête. « Il n'y a pas de honte à pleurer. » « Ça soulage, tu verras. » En attendant, vous êtes une énorme boule de nerfs qui n'a que la gestion du dernier paquet de mouchoirs pour seul horizon.

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Même si cela semble toujours un peu improbable sur le moment, les larmes finissent toujours par se tarir, soit parce qu'un rayon de soleil a filtré par la fenêtre, soit parce que vous êtes complètement déshydraté. Épuisé, surtout. À la réflexion, c'est un peu étrange. Vous ne venez pas de terminer une épreuve de triathlon mais seulement de vous lamenter sur votre sort pendant près d'une heure, mou, grotesque, mouillé, telle une limace indolente au détour d'un sous-bois.

On explique généralement ce phénomène par des adages plus ou moins évasifs. « Pleurer permet de relâcher les tensions, » « pleurer a un effet cathartique », et autre expressions permettant de corréler les larmes à une forme de purge émotionnelle et physique. Pourtant, comme souvent dans le domaine biomédical, la métaphore de la purge (que l'on trouve dans le « régime detox » par exemple) est plaisante sur le plan symbolique mais n'est pas du tout appuyée par des études scientifiques sérieuses.

Ainsi, si l'on est épuisé après avoir pleuré, ce n'est pas parce que notre âme a fait un effort surhumain pour se confronter à des conflits intérieurs pernicieux et en venir à bout, mais seulement parce que le fait même de pleurer est très éprouvant.

Lorsque votre mal-être devient insupportable, vos glandes lacrymales vont s'activer au-delà du raisonnable, produisant des microlitres et des microlitres de ce fluide constitué de lipides, de mucus, d'eau, de chlorure de sodium et de protéines que l'on appelle les larmes. Parce que vos yeux ne peuvent contenir que 7 microlitres de larmes chacun, celles-ci vont rapidement déborder et couler sur les joues, mais aussi se déverser dans le nez par l'intermédiaire du canal lacrymonasal qui se jette dans le méat nasal inférieur. Maintenant que vos yeux sont bien irrités, votre muqueuse nasale l'est aussi. Vous produisez alors des quantités de mucus bien visqueux. Celui-ci obstrue vos narines, vous empêchant de respirer par le nez.

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Que se passe-t-il lorsque vous ne pouvez plus respirer par le nez ? Et bien, vous respirez par la bouche. C'est beaucoup moins efficace, d'autant plus lorsque l'on hoquète et que l'on crachote à cause du mucus précédemment décrit. Vous respirez plus vite, et de manière plus saccadée (parfois jusqu'à l'hyperventilation, chez les enfants notamment). Les vaisseaux sanguins périphériques de votre visage se dilatent, vous affligeant d'une splendide teinte carmin. Votre cage thoracique se contracte de manière erratique, tandis que les muscles de votre corps se contractent, eux aussi, sous l'effet du stress émotionnel : les abdominaux, les épaules, les muscles du visage (les joues et le menton en particulier), les épaules, etc. Pour soutenir cette activité musculaire, votre rythme cardiaque s'accélère.

Il ne s'agit toujours pas d'un effort sportif particulièrement impressionnant, et pourtant, lorsqu'il se prolonge sur plusieurs dizaines de minutes, voire plusieurs heures, vos pleurs de petit être humain sensible sont capables de vous mettre sur les genoux. D'ailleurs, l'expression « pleurer toutes les larmes de son corps » n'est pas si hyperbolique que cela ; pleurer avec intensité entrainer le drainage de larmes, de salive, de mucus. Cette perte de fluides brutale au niveau de la tête peut même pour provoquer un mal de tête carabiné (surtout si le stress a occasionné une élévation de votre pression sanguine), ajoutant à la sensation de fatigue générale.

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Alors oui, lorsque vous pleurez, vous vous fatiguez tout seul, en vain. C'est si frustrant que ça donnerait presque envie de chialer encore un coup pour le principe.

Mais d'où vient ce mythe selon lequel les pleurs auraient un effet cathartique tout à fait bénéfique et permettraient d'améliorer l'humeur ? Même si cette hypothèse parait assez intuitive, elle n'a donné lieu qu'à quelques études psychophysiologiques peu solides.

Pour pallier ce manque, des chercheurs en psychologie sociale de l'Université de Floride du Sud et de l'Université Tilburg aux Pays-Bas, ont mené une étude à l'échelle internationale pour évaluer dans quel contexte certains sujets pouvaient tirer bénéfice d'une bonne séance de chouinage. Selon eux, « les preuves empiriques mettant en évidence une sensation de catharsis après une crise de larmes sont très minces, et contradictoires. » Ils pensent que la théorie des larmes cathartiques a fait son chemin dans la sagesse populaire à cause de théories psychodynamiques et psychanalytiques qui n'ont jamais été testées, et qui affirment néanmoins que pleurer « permet de relâcher la pression, les tensions en se débarrassant des émotions négatives », « voire d'apaiser des conflits inhibés par l'individu, ou des émotions à laquelle il ne parvient pas à se confronter. » Parallèlement, des études de psychologie clinique montrent les personnes se sentent encore plus mal après avoir pleuré.

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Pour résoudre ce paradoxe, les chercheurs américains et néerlandais ont étudié les épisodes de crises de larmes chez 2181 hommes et 2915 femmes à travers le monde, et surtout, les effets des pleurs sur le bien-être général des individus concernés. Le but était d'examiner des crises de larmes survenues dans un contexte naturaliste (de vrais chagrins amenés par la vie, en somme) à travers des cultures différentes ; il était alors possible de se débarrasser en partie des biais expérimentaux que l'on trouvait jusque-là dans la plupart des études en laboratoire (sujets uniquement féminins, caractéristiques socioculturelles uniformes, larmes induites par un film stéréotypé, environnement et protocole qui ne favorisent pas l'expression sincère des émotions, etc.).

L'expression du chagrin étant valorisée de manière variable en fonction des cultures, la portée internationale de l'étude était plus à même de proposer des hypothèses générales pertinentes sur l'état émotionnel induit par les pleurs.

Les chercheurs en sont venus à la conclusion selon laquelle, en vérité, la sensation de catharsis dépendait essentiellement de l'environnement du pleureur et le soutien social qu'il recevait à cette occasion. Ainsi, nous serions soulagés par le fait d'avoir pleuré uniquement si nous avons l'habitude que nos proches accourent pour nous consoler et nous réconforter. Pleurer fonctionne un peu comme un signal d'alarme non ambigu à l'intention de nos congénères : « hey, ça ne va pas, venez me prêter main forte ! » Si le signal d'alarme fonctionne, pleurer devient une habitude bénéfique, s'il ne fonctionne pas, nous pleurons en vain, sans jamais nous sentir allégés par le poids de nos larmes. De grosses larmes d'émotion, très concentrées en protéines.

Soyez sympa, la prochaine fois que vous voyez quelqu'un se noyer dans son mucus avec tout le poids de l'existence dans les yeux, apportez-lui un cookie. Ainsi, il ne se sera pas fatigué pour rien.

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Après dix longues années d'affliction, françaises, français, il est grand temps d'inverser la tendance.