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Le Dolcett : les hommes qui rêvent de manger des femmes

Empalement, sacrifice humain, barbecue... Depuis les années 90, des communautés web de (faux) cannibales se font plaisir dans une ambiance conviviale.
Illustration : Lucile Lissandre

Le Dolcett est une sous-culture fétichiste centrée sur les fantasmes de cannibalisme et, plus précisément, la gynophagie : le désir de dévorer une femme après empalement, torture ou par simple plaisir gastronomique. Purement imaginaire, le Dolcett regroupe une communauté bien réelle d'amateurs de bonne chère qui vivent leur fantasme sur Internet. Sans faire de mal à personne ?

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Le monde virtuel Second Life est aux fétichismes rares ce que la forêt de Chaux est au sanglier : un terrain de chasse idéal. Rien de mieux pour un collectionneur de pratiques étranges que de parcourir ce parc à thème abandonné, dorénavant peuplé de libertins dont les pratiques cyber-sexuelles n'ont d'autres limites que leur imagination et la fragilité des cartilages du poignet.

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Aujourd'hui, les amateurs de fétichismes rares (comme moi) ne savent plus où donner de la tête devant les innombrables repaires de zoophiles en 3D, les répliques de toilettes publiques new-yorkaises pour scatophiles numériques ou les jungles virtuelles où dansent nuit et jour des furries au pelage chatoyant.

Il restait néanmoins un spécimen de fétichiste plus rare que les autres à documenter : le cannibale. Mon sang ne fit donc qu'un tour lorsque l'un de mes contacts m'annonça qu'il en avait rencontré un de qualité supérieure. « Il est super sympa » affirma-t-il. « Je lui ai parlé de toi, il fait partie d'une grande communauté d'hommes et de femmes qui se dévorent entre eux, et il a accepté de t'en parler. Ça s'appelle le Dolcett. »

Une offre qui ne se refuse pas.

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Aux origines de la cyber-anthropophagie : Le Cannibal Cafe

Cannibal Cafe Forum, mars 2016. Image : Théodore B. Ferréol

« Les quelques histoires de Dolcett sont sorties de l'imagination d'un dessinateur canadien anonyme de Toronto, qui a vécu (et vit peut-être encore) en Californie. A ma connaissance, personne ne sait rien sur lui », m'explique Phage Jenkins par courriel. Tout a donc commencé dans les années 1990, quand cet artiste mystérieux se cachant derrière le pseudo Dolcett met en ligne des séries de dessins illustrant ses fantasmes : en noir et blanc, ces comics en ligne claire ne sont pas sans rappeler les Chick Tracts des années 50 et placent des jeunes filles brunes et blondes dans des situations dangereuses (sodomisées, pendues, décapitées pendant qu'elle sont sodomisées etc.).

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Vers le milieu des années 90, les œuvres de Dolcett circulent au Canada et aux Etats-Unis. Sous le manteau. Cette pratique se serait sans doute perpétuée si quelqu'un ne s'était pas décidé à les scanner pour en faire profiter l'Internet naissant. Un homme se prétend l'initiateur de la Cannibalosphère et de la célébrité du Dolcett : il aurait été le premier à en scanner des pages pour les mettre en ligne et exerce ses activités en ligne sous le pseudonyme de Perro Loco. En 1994, il fonde le forum Cannibal Café, qui est hébergé par un réseau plus large, spécialisé dans le snuff et les fantasmes nécrophiles, Necrobabes.org.

Précurseur, Perro Loco se présente aujourd'hui comme le Maire de Dolcett. Il raconte que, ravi par le fait qu'il accepte de réaliser gratuitement ce travail de numérisation et de diffusion, l'artiste Dolcett l'a depuis autorisé à poster tout son travail en ligne, sans conditions. Il lui a même proposé de le monétiser s'il le souhaitait. Lors d'un entretien avec le site américain The Awl, Loco explique que c'est lui, et lui seul, qui a popularisé le concept du Dolcett-isme que « pour la Sainte Eglise du Dolcett, il est le Seul Véritable Prophète ».

Mais les dessins de Dolcett ne représentaient alors qu'une toute petite minorité de l'activité de ces cannibales en herbe.

Sur le forum, on trouve des hommes cherchant d'autres hommes, des hommes cherchant des femmes et, parfois, des femmes cherchant des hommes. Certains désirent être mangés, d'autres se targuent d'être de « véritables cannibales ». Simple jeu de rôle sexuel ou véritable appel au cannibalisme ? Histoires, dessins, tutoriaux pour cuisiner la chair humaine, les annonces rivalisent de précision et les forumeurs n'hésitent pas à se déclarer « Prêt à être mangé » ou à se présenter comme des individus dangereux :

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Le 17 septembre 2002 une annonce somme toute banale est postée sur le forum. Un utilisateur nommé "Your next meal" poste un message plutôt explicite, « Please eat me », en expliquant qu'il rêve de se faire dévorer le ventre. Quelques heures plus tard, il obtient la réponse suivante d'un certain Franky, que j'ai réussi à retrouver :

Ce que le jeune homme de 18 ans ne sait pas, c'est que « Franky from Germany » est, en réalité, le Cannibale de Rotenburg, Armin Meiwes. Un an plus tôt à peine, celui-ci avait passé une annonce sur plusieurs sites dans l'espoir de trouver un homme désireux d'être mangé. Il obtient plusieurs réponses, dont Bernd Jürgen Brandes, un ingénieur berlinois de quarante-deux ans. Ils se rencontrent en mars 2001 et, après avoir eu des rapports sexuels, ils décident d'un commun accord de découper le sexe de Bernd. Ils le cuisinent et le mangent ensemble. Toute la scène, qui dure plus de 9 heures, est enregistrée. Après le repas, toujours avec l'accord de Bernd, Armin Meiwes l'achève de plusieurs coups de couteau à la gorge avant de le découper en plusieurs morceaux dans sa cave :

« Je l'ai pendu par les pieds, éviscéré. J'ai découpé quelque 30 kilos de viande, les meilleurs morceaux ont été conservés dans mon congélateur ».

Le Cannibal Café ferme ainsi ses portes en 2002, victime d'une attaque DDoS effectuée par les autorités allemandes. Erreur de jeunesse ?

Le cannibalisme en ligne allait, par la suite, vivre ses plus belles années.

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Le Dolcett Girls Forum : un cannibalisme (enfin) civilisé ?

Et Dolcett, l'artiste, dans tout ça ? Face à la violence de l'affaire Armin Meiwes, notre ami dessinateur représente un renouveau : le retour à l'imaginaire après une irruption de la réalité légèrement terrifiante. Son premier forum venait à peine d'être fermé que Perro Loco en créait déjà un nouveau, le Dolcett Girls Forum, dont le but avoué est de « couvrir une large gamme de fantasmes sexuels plutôt graphiques ». Comprendre « très gore ».

Créé en août 2003, le site possède aujourd'hui environ 50 000 membres, et les femmes y sont, selon son créateur, beaucoup plus représentées que sur le Cannibal Café : elles constituent près de 50% des utilisateurs. Avec un million de vues par mois, le forum accueille notamment « un représentant du Congrès américain » et de « nombreuses familles connectées aux hautes sphères politiques » explique Perro Loco. Moins porté sur les petites annonces ( c.a.d « Cuistot cherche viande à cuisiner » ), c'est un endroit où l'on discute fantasmes et où l'on partage des histoires souvent très inspirées par les comics de Dolcett.

Qui se cache derrière le pseudonyme « Dolcett » ? C'est difficile à dire. L'homme a réussi à conserver un mystère presque complet autour de sa personne, et Phage n'en sait pas davantage. Après plusieurs jours de recherche, je découvre dans les archives de Necrobabes.org le récit d'un échange de courriel avec Dolcett en personne. On y découvre un homme « surpris par le succès de son art », qui explique que la plupart des personnages de ses bandes-dessinées sont inspirées d'amis ou de fans avec lesquels il partage ce fétichisme si particulier, comme Karyn, l'auteur de la page de Necrobabes qui se dit « folle de joie d'avoir mérité un tel honneur ».

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Il s'agit donc bien d'un homme et il est toujours en vie. Hélas, nous n'en saurons guère plus. Dolcett, si tu nous lis…

« La première chose qui frappe en examinant ces dessins, c'est l'érotisme qui s'en dégage. »

« Personnellement, j'ai découvert ces dessins en 2005 grâce à une amie sur MSN Messenger. Comme tout amateur de Dolcett, la première chose qui frappe en examinant ces dessins, c'est l'érotisme qui s'en dégage » m'explique Phage Jenkins dans son premier courriel. « C'est ce que j'ai aimé dès la première fois, je ne l'ai pas vraiment cultivé… mais c'est comme tous les fantasmes : une fois ancrés en vous, ils y restent, quoi qu'on fasse ! ».

Extrêmement dérangeants, les récits de Dolcett donnent parfois l'impression de plonger dans l'âme de cannibales dans un vieux King Kong que l'on aurait transposé à un milieu bourgeois urbain. On y trouve entre autres des femmes attachées, tuées et dévorées bien malgré elles dans des récits à teneur horrifique, comme Roasting grotto, dont l'imagerie proche du Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato et les éviscérations explicites vous feront passer un agréable moment (non).

La plupart du temps, l'ambiance y est plus détendue : au milieu d'une séance de torture, intestins à l'air, les personnages… sourient. Stupéfiants, les récits de Dolcett constituent une sorte de croisement entre une séance de torture en bonne et due forme et les fascicules ingénus que l'on trouve dans les avions.Vous savez, ceux sur lesquels tout le monde sourit bêtement. L'un des motifs les plus récurrents de ces histoires est une fête somptueuse et une femme consentante donne des instructions au cuisinier… pendant qu'on la cuit et qu'on la découpe. Dans Fantasy barbeque, le personnage principal dicte la recette la plus appropriée pour la déguster jusqu'à ce qu'on la décapite :

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Image : Fantasy Barbeque

Les comics de Dolcett tiennent moins du viol collectif que du barbecue entre amis. Le lecteur est confronté à une étrange forme de complicité entre les victimes et leurs bourreaux. D'ailleurs, c'est très souvent la jeune femme qui se porte volontaire pour ces séances d'exécution. Le fantasme du sacrifice volontaire tient une place centrale dans l'imaginaire et les fantasmes de Dolcett, qui peint avec délectation des demoiselles enthousiastes à l'idée de se faire tuer et dévorer. L'auteur classe les histoires en deux grandes catégories : les mises à mort par empalement (Gynophagia Stories), ou par pendaison (Asphixia Stories).

Proche du BDSM, le Dolcett pousse le fantasme de la soumission à son paroxysme puisqu'il s'agit, pour la victime, de donner son accord « ultime » pour être « mangé et tué ». L'artiste canadien le dit lui-même à la Karyn de Necrobabes.org : « Aujourd'hui, à l'heure où j'ai l'impression d'avoir presque tout exploré, rien ne me plaît plus qu'une jeune femme volontaire, excitée à l'idée de ce qui va lui arriver. Je ne me concentre jamais sur l'aspect sadique des choses. La torture et la douleur ne font pas partie de mes fantasmes. »Le fantasme du consentement suprême ? Tout se passe comme si le Dolcett reprenait les codes du BDSM tout en les parodiant, et remplaçait les scènes de refus (légitime) de la personne soumise par un consentement délirant menant à une pénétration fatale.

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Aujourd'hui, la pratique du Dolcett s'est élargie et a trouvé des supports pour se « concrétiser » ailleurs que dans la réalité. Les espaces virtuels permettent à une personne inspirée par la gynophagie de partager son fantasme sur des forums, ou de le mettre en scène sur des chan irc, dans des communautés de roleplayers ou dans des univers virtuels comme Second Life.

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Guide pratique de l'amateur de bonne chair

Image : Dolcett

« T'es cook ? Hard vore ? Soft ? Qu'est-ce que tu veux commander ? » me demande une demoiselle équipée de petites ailes et de patins à roulettes dans le dîner de la sim Dolcett de Second Life, la Town of Stepford. Au-dessus de moi, un menu en 3D présente les différents plats de viande humaine disponibles. Je comprends rapidement que la serveuse et le plat principal ne font qu'un : la cuisine dispose d'instruments électroménagers peu communs, comme des pals et des sangles.

C'est dans ce cadre idyllique que les désirs de dévoration, difficiles à partager avec ses proches du temps où Internet n'existait pas, se manifestent aujourd'hui de façon de plus en plus visible. Comme tous les domaines très spécialisés, ils se complexifient et se subdivisent d'ailleurs en catégories toujours plus précises. Les dessins de Dolcett y sont souvent présents et inspirent de nombreuses créations 3D chez les artistes de Second Life.

Précurseur, le Dolcett a aujourd'hui enfanté de nouveaux fantasmes et, donc, de nouvelles communautés. On peut citer les vore, le fantasme d'être dévoré vivant ou de manger soi-même une créature vivante, qui est devenu la catégorie ombrelle de tous les amateurs de cannibalisme. Elle se divise aujourd'hui en pratique hard comme le Dolcett, et soft, comme le unbirthing, le fantasme d'être intégralement avalé par un vagin puis de « naître à nouveau ». Il y en a vraiment pour tous les goûts : anal vore, cock vore, etc. Si vous ne me croyez pas, Google Images terminera de vous convaincre. Quoi qu'il en soit, le Dolcett est la pratique la plus crue et la plus gore de ce petit monde, notamment des rôles précis et contraignants attribués aux hommes et aux femmes, comme dans le roleplay Goréen, cet univers où les femmes vivent sous la domination des hommes.

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Aujourd'hui, Dolcett est l'artiste star, le point de ralliement des 50 000 utilisateurs du Dolcett Girl forum, qui pratique désormais une politique plus restrictive pour les nouvelles inscriptions. Phagein me confirme les dires de son fondateur, Perro Loco, en m'assurant que « ce sont les femmes les plus nombreuses et les plus demandeuses. Que ce soit sur Second Life ou sur le Dolcett Girls Forum, il y a une communauté Dolcett importante. Rien que le forum DGF doit avoir autour de 50 000 membres ! Et moi, j'y suis inscrit depuis une dizaine d'années".

Histoires, textes, photos trouvées sur Internet, photo-montages plus ou moins amateurs ou même vidéos, les échanges tiennent une place de choix dans cette communauté. Après inscription au DGF, je reçois rapidement une validation de mon inscription et me promène un peu sur le forum, très actif, avec plus d'une cinquantaine de sujets par jour et des titres pour le moins évocateurs : STORY: Waitresses, friends, lovers and meat, Very appetizeing salad, Automatic Butchery, The look on their face when you tell them, "We're going to eat you", Bukkake Beheading Challenge, 3D Guillotine simulator, etc. D'autre part, des plateformes ouvertes d'échanges d'images et de vidéos existent, comme Motherless/Dolcett.

Pendant ce temps, sur Second Life, mon demi-pêche tarde à venir ; je crois d'ailleurs qu'il ne viendra plus : un autre client a commandé une cuisse rôtie à la broche. Enthousiaste, la serveuse n'a même pas pris le temps d'enlever ses patins à roulettes.

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« Chez Dolcett, l'orgasme est une petite mort qui annonce la vraie mort ! »

À ce stade, je peux tout à fait comprendre que certains lecteurs aient, d'ores et déjà, fermé cette page. Le mélange entre sexualité, gore et bonne bouffe peut traumatiser, et personne ne vous le reprochera. Si le sujet vous effraie, vous pouvez tout de même écouter les sages paroles du Dr. Mark Griffith, professeur à la Nottingham Trent University, avant de vous enfuir. Il explique que la gynophagie est, étrangement, moins violente en son essence que le BDSM :

La gynophagie est un fantasme imaginaire consistant à faire de soi-même ou de quelqu'un d'autre sa nourriture. En tant que désir imaginaire, il ne s'agit que d'un tabou, proche en cela de nombreuses pratiques sado-masochistes. Mais, au final, la « gynophagie » me paraît bien plus douce que certaines formes de BDSM, car on n'y trouve pas de torture. En vérité, si vous regardez tout cela de plus près, la gynophagie est une sorte d'actualisation du trope de « la demoiselle en détresse ». Une sorte de nouvelle version du Petit Chaperon Rouge dans laquelle, je vous le rappelle, le loup dévore une jeune fille vivante.

Le professeur ajoute que, dans les différents comics de Dolcett, les jeunes filles rôtissantes semblent tirer un intense plaisir de leur situation. Peu réaliste ? Assurément. C'est d'ailleurs sur ce point que Phage Jenkins souhaite insister lorsqu'il entreprend de m'expliquer le fond de l'affaire. Selon lui, « le principe même du Dolcett, c'est que la femme a un orgasme tellement extraordinaire au moment de l'empalement imaginaire que par la suite, la mort réelle devient anecdotique. C'est l'orgasme ultime, qu'elle n'obtiendra plus jamais avec qui que ce soit, et qu'elle ne pouvait atteindre que de cette façon », explique-t-il.

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Image : Dolcett

« Vous le constaterez sur tous les dessins, surtout sur les premiers, aucune femme ne semble souffrir vraiment. » Lorsque je lui demande si ses fantasmes se manifestent aussi dans le réel, notamment par des rencontres, il répond par la négative : le Dolcett n'a rien aucun lien avec le monde réel.

« Il n'y a aucun rapport avec la mythologie des vrais cannibales, comme Isei Sagawa. Non, je n'ai jamais fait de rencontres de ce genre, même si je dois admettre que cela a déjà failli arriver. Je suis persuadé que l'immense majorité de ces pratiques se cantonnent au domaine du virtuel. Si elles devaient jamais s'incarner… on reviendrait sans doute à bondage classique. Par exemple, sur le forum DGF, tout ce qui se rapproche trop du réel en format photo ou texte est souvent peu apprécié. Si le contexte du fantasme n'apparaît pas clairement, on parle de meurtre. »

En somme, le Dolcett est un univers totalement surréaliste par essence, puisqu'une Dolcett Girl est censée « jouir d'un empalement mortel ». Il exprime, au premier degré, la violente libération des pulsions qu'est la sexualité, cette purgation de pulsions de mort par l'amour des corps. Et Phage va jusqu'à me citer George Bataille pour me convaincre de la cohérence de son fantasme. Le sympathique faux-cannibale assume tout à fait son goût pour cet univers : « Cela ne m'a jamais fait peur, et ça ne me fera jamais peur ! »

Sur le DGF (le Dolcett Girls Forum), même constat : peu d'utilisateurs semblent enthousiastes à l'idée d'imiter le Cannibale de Rottenburg. En septembre 2004, Perro Loco lance un nouveau thread intitulé "Would You ? Really ?" qui a, à l'heure où j'écris ces lignes, a reçu pas moins de 2208 réponses et près de 140 000 vues. Il y pose la question qui est sur toutes les lèvres : « Si vous aviez la possibilité de manger une femelle pour concrétiser vos fantasmes dolcettiens, le feriez-vous ? » Il précise qu'il n'y aurait aucune répercussion négative, que l'acte resterait secret et se déroulerait dans le cadre du « consentement. » La réponse d'un utilisateur appelé Scalloped est plutôt typique : « Très clairement NON ! C'est un fantasme ! A moins que ça ne soit une question de survie, là on ne sait jamais ». Si l'immense majorité des réponses est à l'avenant, quelques unes sortent du lot cependant. Certains plaisantent ( « Tout dépend si je dois nettoyer moi-même ensuite » ), et d'autres répondent par l'affirmative, parfois sans même renseigner un pseudo : « Je le ferais oui, pour de vrai. »

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Une déclaration d'autant plus difficile à croire que le site serait, pour des raisons évidentes, sous la surveillance du FBI.

« Les récits de Dolcett se déroulent dans une société de loisir arrivée à son stade ultime, et qui se suicide en dégustant sa propre chair. »

Image : Dolcett

Revenons à Dolcett lui-même. Si on le distingue du vore classique, c'est bien parce qu'il propose un imaginaire spécifique, avec des scénarios précis et une étrangeté qui va au-delà du simple assouvissement de fantasmes de dévoration. Ce n'est pas un hasard si le fantasme dolcettien n'est pas né sur un support illustré, mais à travers le récit de fiction. Des récits, qui, à la manière de l'imaginaire goréen, comportent leurs propres règles.

Selon Comoria.com, une encyclopédie en ligne à la ligne éditoriale cryptique qui propose une centaine d'entrées dont Doryphore, Amélie Mauresmo et Angoisse de morcellement, l'auteur Dolcett n'est pas, à proprement parler, un artiste sado-masochiste. « On n'y retrouve pas les conventions habituelles du genre ». Si l'omniprésence de femmes nues à la plastique parfaite en fait un dessinateur érotico-pornographique, ses récits s'intéressent relativement peu aux pratiques sexuelles en elles-mêmes. « Celles-ci sont d'ailleurs expédiées sans qu'aucun des partenaires ne montre d'orgasme irrépressible. En fait, il serait plus juste de parler de pénétrations de pure forme, comme si leur but se bornait à établir un rapport de domination. Elles ne font généralement qu'accompagner une conversation, prolonger, accompagner une mise en situation… ou encore faciliter l'entrée de la broche. » L'humour caractéristique de Dolcett achève de dédramatiser des situations qui seraient atroces si elles étaient traitées de manière réaliste.

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L'univers de Dolcett est aussi pour beaucoup dans ce décalage entre l'image et sa portée érotique : les récits ne se déroulent pas au sein de communautés de psychopathes dans un monde analogue au nôtre, mais dans une dystopie d'anticipation, une « dictature crépusculaire, sans passé ni avenir […] une société de loisir arrivée à son stade ultime, qui se suicide en dégustant sa propre chair ». On peut ainsi lire sur Comoria :

Dans ce cannibalisme d'État qui est censé répondre à l'explosion démographique, la femme remplit la même fonction alimentaire que le Soleil Vert dans le roman de Harry Harrison, à la différence qu'elle se donne en repas en esclave soumise et résignée. Les jeunes femmes vivent ainsi dans l'attente du moment où elles seront désignées pour figurer sur la liste de collecte de viande, où leur numéro sera tiré au sort à l'occasion d'une loterie.

« Dolcett ne fait que jouer avec l'image de la femme-objet qui émerge de la société de consommation des années 60 ». La transformation des femmes en objet, proche de la forniphilie ou fantasme du meuble-humain, peut ainsi apparaître comme une projection fantasmatique d'une société de consommation qui dévore en permanence le corps féminin par l'intermédiaire d'images de publicités ou de films pornographiques.

Dans Feast Day, la consommation des corps atteint l'échelle industrielle, dans le cadre du « meat camp », lieu étrange à mi-chemin entre l'abattoir et la maison close.

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Le glissement de cette dévoration symbolique vers le premier degré satirique est caractéristique de cet univers. Et profondément cathartique. Le désir de la femme de participer à ce rituel qui, pourtant, la mène à la mort, donne à réfléchir sur la complicité entre homme et femme. Dans l'ambiance apaisée de plusieurs récits, on devine un projet de nature politique ; le barbecue permet d'apaiser les conflits entre individus dans des sociétés hautement inégalitaires et compétitives.

C'est là toute l'originalité de Dolcett : représenter l'horreur la plus graphique comme quelque chose de normal, en l'inscrivant dans le quotidien conformiste d'une classe moyenne américaine adepte des barbecue Sunday : «Chéri, tu reprendras bien un peu de chair humaine ? »

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Le cannibalisme est-il un humanisme ?

C'est la question qu'il reste à poser. A la manière du film The Purge, dans lequel un système politique autorise la violence et le meurtre un jour par an pour « pacifier la société », faut-il penser que l'expression de ces fantasmes brutaux, terrifiants à bien des égards, peut avoir des vertus positives ?

Depuis l'affaire Meiwes-Brandes, Perro Loco a eu plusieurs fois l'occasion de s'exprimer. Quand on lui demande s'il se sent coupable, il répond par la négative : « Armin Meiwes n'est pas différent de beaucoup de gens, mais au moins, lui, avait une certaine conscience de sa responsabilité sociale » explique-t-il. Il souligne que, contrairement au meurtre classique, il considère ce cas de cannibalisme comme « consentant ». Et pour Perro Loco, libertarien, tendance « Get out of my property ! », cela change tout.

« Tout ce qu'ils ont fait, c'était dans un cadre de consentement mutuel. Ce n'est pas comme si ce mec était un putain de serial killer. Il n'a pas invité Jürgen [NDLR : Brandes] à dîner pour l'égorger dans son dos par surprise. Non, ils en ont parlé ensemble : Jürgen voulait être tué et dévoré. Pour moi, au pire, on peut prétendre que c'est de l'assistance au suicide. Mais rien de plus ! »

FBI, police canadienne…Perro Loco a l'habitude d'être convoqué par les autorités, et ce n'est pas la seule fois où il a été impliqué dans un cas de « meurtre consentant ». En 1996, Sharon Lopatka, une femme de 35 ans, s'était mise en quête d'un homme qui accepterait de la torturer, de l'étrangler et de la tuer. Un certain Robert Frederick se porta volontaire et tint sa promesse. Lors de l'enquête policière, Loco fut interrogé comme un des principaux témoins et déclara, notamment, qu'il les connaissait bien tous les deux et les trouvait « vraiment super sympas ».

Pour lui, « deux adultes consentants devraient être autorisés à faire tout ce qu'ils veulent, y compris s'entretuer si c'est ce qu'ils souhaitent ». Et si on lui oppose les risques de manipulation mentale, d'embrigadement sectaire ou d'asservissement à un fantasme, il haussera probablement les épaules en invoquant le Premier Amendement.

Quant à Armin Meiwes, toujours en prison, il a franchi un nouveau pas dans l'horreur en 2007 en annonçant au monde entier qu'il était devenu… végétarien.

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Théodore est sur Twitter : @TRYANGL3