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Comment vos cauchemars peuvent vous tuer

Quand 100 hommes en bonne santé sont morts dans leur sommeil, un chercheur est parvenu à une conclusion glaçante : leur croyance pour des démons nocturnes les a tués.

En Indonésie, on parle de rep-repan, d' eureup-eureup ou de tindihan. Chez les Hmong du Vietnam et du Laos, on s'y réfère comme au dab tsong. Au Cambodge, on appelle ça le khmaoch sângkât. Chaque pays a ses propres termes et explications pour ce que les docteurs occidentaux nomment « paralysie du sommeil » : ce serait le fait d'un esprit – ou, comme le disent les Khmers, d'« un fantôme qui vous pousse ».

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Tout au long de ma vie, j'ai souffert de ce mal. Beaucoup d'Indonésiens dorment pour oublier la faim et la soif du jeûne du ramadan. Pas moi. Pour les autres, dormir est synonyme de repos – mais personnellement, je trouve ça souvent épuisant.

Presque toutes les fois où je m'endors, je me réveille en sursaut. Je ne sais pas si je me réveille vraiment, car je ne suis pas tout à fait consciente. Je suis dans un entre-deux, dans une phase étrange entre le sommeil et le réveil. Je suis incapable de bouger, mais je sais pertinemment où je suis. Le pire dans tout ça, c'est que je vois parfois une forme noire se lever de mon corps et se coller au mur près de mon lit.

Ça m'arrive presque toutes les nuits depuis mes six ans – parfois près de 20 fois par nuit.

Mais de quoi s'agit-il, au juste ? Certains Indonésiens pensent que la paralysie du sommeil est l'œuvre d'un jin – des esprits ou des fantômes qui, selon le Coran, sont certaines de créations les plus intelligentes de Dieu. Les jins ne sont pas toujours mal intentionnés, mais ils restent des esprits, ce qui suffit à les rendre flippants.

« Vous pouvez avoir des hallucinations et apercevoir des créatures, dont la forme dépend de votre contexte culturel. C'est pour cette raison qu'à travers le monde, les personnes qui souffrent de ce trouble voient des choses différentes. »

Mirella Pandjaitan, 22 ans, a souffert pour la première fois de paralysie du sommeil il y a quatre ans. Elle a tout de suite pensé aux esprits démoniaques.

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« J'étais terrifiée », se souvient-elle. « Je ne savais pas si j'étais dans un cauchemar ou dans la réalité. Je ne pouvais plus bouger. J'ai paniqué. À ce moment-là, je ne savais pas que c'était de la paralysie du sommeil, je pensais que c'était l'œuvre d'un esprit maléfique, parce que j'avais déjà vu un fantôme en me réveillant. Je ne pouvais pas retourner dormir. »

J'étais soulagée de savoir que je n'étais pas seule, mais ce n'était pas suffisant. Il me fallait en savoir plus, si je voulais avoir au moins une bonne nuit de sommeil durant le ramadan. J'ai donc contacté Andreas Prasadja, le seul spécialiste des troubles du sommeil en Indonésie. Il m'a confié que les troubles du sommeil, dont la paralysie du sommeil, pouvaient empirer en période de jeûne.

« Les personnes qui jeûnent modifient leur horloge biologique : ils manquent de sommeil », explique Prasadja. Dans certains cas extrêmes, le manque de sommeil peut déclencher une paralysie du sommeil. »

J'ai rencontré Prasadja au Mitra Hospital à Kemayoran, dans le centre de Jakarta. Il dirige une clinique du sommeil, et j'ai voulu lui confier mon expérience. Prasadja m'a expliqué ce qu'il y avait derrière ces visites nocturnes.

« C'est durant le sommeil paradoxal que la paralysie du sommeil a le plus tendance à se manifester. Elle apparaît lorsque les phases de sommeil paradoxal et d'éveil se chevauchent », explique Prasadja. « La paralysie du sommeil présente deux caractéristiques. La première se manifeste par des hallucinations – vous pouvez apercevoir des sortes de créatures, dont la forme dépend de votre contexte culturel. C'est pour cette raison qu'à travers le monde, les personnes qui souffrent de ce trouble voient des choses différentes. »

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Ici, en Asie du Sud-Est, les gens voient souvent des fantômes. Aux États-Unis, de nombreux dormeurs voient des araignées. Un de mes collègues est américain et me dit voir des chatons.

La seconde caractéristique de la paralysie du sommeil est ce qui lui donne son nom.

« Vous ne pouvez plus bouger, à cause d'un mécanisme d'autodéfense du corps », précise Prasadja. Lorsque vous dormez, c'est dangereux pour votre corps de bouger – imaginez un peu les problèmes que cela pourrait causer.

Les docteurs américains ont commencé à étudier les expériences de paralysie du sommeil chez les populations du sud-est de l'Asie lorsque des réfugiés du Cambodge, du Laos et du Vietnam sont arrivés aux États-Unis. Les réfugiés cambodgiens, rescapés et traumatisés par les camps de la mort des Khmers Rouges, se plaignaient de khmaoch sângkât. Au début des années 1980, plus de 100 hommes Hmong en bonne santé sont morts dans leur sommeil. Personne ne comprenait ce qui se passait. Les docteurs ont appelé ce phénomène le syndrome de mort subite nocturne inexpliquée (SUNDS).

Aussi rapidement qu'il était arrivé, ce phénomène s'est arrêté et les morts ont cessé. 20 ans plus tard, un chercheur de l'université de San Francisco en a tiré une conclusion qui fait froid dans le dos : ces gens sont morts parce qu'ils croyaient au dab tsong – ou esprit nocturne. Enfin, en quelque sorte. Techniquement, leur mort était due à un défaut cardiaque. Mais la paralysie du sommeil, et les croyances locales qui les justifiaient, ont joué un rôle essentiel. C'est ce qu'explique Adler dans son livre Sleep Paralysis: Night-mares, Nocebos, and the Mind Body Connection. Selon elle, les croyances peuvent tuer.

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Matteo Vatta, un cardiologue du Baylor College of Medicine du Texas a cherché à déterminer les connexions qui existaient entre le SUNDS, le sommeil paradoxal et la paralysie du sommeil. Il a ainsi démontré que les hommes d'Asie du Sud-Est étaient génétiquement prédisposés à souffrir d'arythmie, ce qui pourrait expliquer la mort de ces hommes Hmong dans les années 1980.

« Le cœur peut fonctionner normalement pendant un certain temps, puis s'arrêter de manière abrupte », a expliqué Vatta au blog LiveScience. « Habituellement, le cœur s'arrête de battre la nuit, et en Indonésie, cela tue plus que les accidents de voiture chez les jeunes hommes. » Vatta pense que l'arythmie génétique et la paralysie du sommeil sont liées. Quand le rythme cardiaque ralentit pendant le sommeil, les problèmes électriques qui déclenchent le SUNDS sont plus prégnants, prennent le pas sur la capacité du corps à réguler les battements du cœur et lui envoient un dernier spasme mortel. Si certaines théories affirment que le SUNDS est lié au stress provoqué par les cauchemars, aucune étude scientifique n'a prouvé l'existence de la corrélation entre les morts causées par le SUNDS et les rêves.

Pas d'inquiétude : le SUNDS et le rep-repan ne sont pas la même chose. La paralysie du sommeil est un problème courant, et le mieux est de ne pas y prêter attention », explique Prasadja. Son conseil est simple : restez calme et retournez dormir. « Ne le combattez pas, c'est épuisant », indique-t-il. « Retournez dormir. Tout va bien, même si ça peut vous paraître effrayant. »

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Les populations d'Asie du Sud-Est ne sont pas les seules concernées par ces expériences terrifiantes. Le mot « cauchemar » vient du terme nordique mare – un esprit ou un pouvoir surnaturel qui entre dans la poitrine des dormeurs ou les étrangle.

En Indonésie, les croyances sont transmises de génération en génération, et il n'est pas étonnant que d'anciennes légendes de fantômes maléfiques soient toujours d'actualité. J'ai demandé à Risa Permandeli, experte en mysticisme indonésien, pourquoi ces croyances étaient toujours aussi ancrées dans notre culture.

« Ici, on se contente d'accepter les informations qu'on reçoit, sans jamais vraiment changer d'opinion », explique Permandeli. « Aucun effort n'a été déployé pour contrer ces croyances, ou les vérifier. Nous ne ressentons pas le besoin de vérifier ou de confirmer quoi que ce soit. »

Dans un pays où les gens croient beaucoup au surnaturel, les histoires de fantômes et les vieilles traditions persistent.

« En Indonésie, nous croyons au monde invisible », poursuit Permandeli. « Ce n'est pas parce que nous ne le voyons pas qu'il est séparé de notre vie, et nous prenons en compte le fait que quelque chose peut arriver à tout moment. »

« Je pense que partout dans le monde, même en France où les gens sont connus pour être rationnels, il y a un concept de monde invisible. En Europe de l'ouest, la croyance en cet autre monde a pris fin quand on a découvert le rationalisme. Ici, il n'y a pas de rationalisme fondé sur la connaissance. Ainsi, nos traditions et nos mythes ont survécu. »