FYI.

This story is over 5 years old.

Piraterie

Les pirates somaliens sont des justiciables comme les autres

La Cour Européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur des arrestations de pirates somaliens par la France suite à deux détournement de bateaux dans le golfe d’Aden en 2008.
Photo via Flickr / Ministerie van Buitenlandse Zaken

Les autorités françaises devront payer entre 2000 et 5000 euros de dédommagement à des pirates somaliens après une décision de la Cour Européenne des droits de l'homme (CEDH) rendue jeudi. La cour était appelée se prononcer sur des arrestations de pirates somaliens par la France suite à deux détournements de bateaux dans le golfe d'Aden en 2008.

Le 4 avril 2008, des pirates ont pris d'assaut Le Ponant, un navire de croisière, au large des côtes yéménites. Son équipage a été kidnappé et n'a été libéré qu'une semaine plus tard en Somalie, contre une rançon de plus de 2 millions de dollars. En septembre de la même année, c'est le voilier le Carré d'As qui a été attaqué par un autre groupe de pirates.

Publicité

Dans ces deux affaires, dix pirates ont été arrêtés par l'armée française (dont un assaut spectaculaire sur Le Ponant) et emmenés en France pour y être jugés. Jusque là, rien d'illégal pour la France, qui agissait avec l'accord de l'ONU. La CEDH reconnaît d'ailleurs que les « circonstances [étaient] tout à fait exceptionnelles », c'est-à-dire que la France intervenait « à plus de 6 000 km de son territoire » et que les autorités somaliennes n'étaient pas en mesure de lutter contre la piraterie.

Mais la Cour a relevé deux violations du droit, le manque de protection des détenus pendant leur voyage en bateau jusqu'à Paris, et l'accès au juge qui est intervenu trop tard après leur arrestation. Le placement des pirates en garde à vue pour 48 heures une fois arrivés en France, sans qu'ils soient présentés à un avocat, et après plusieurs jours passés dans les mains de l'armée française, est condamné par la CEDH, qui avait été saisie en 2010.

La France a été condamnée selon les articles 5§1 de la Convention européenne, qui objecte qu'on ne peut être privé de liberté que « selon les voies légales », et l'article 5 § 3, qui stipule que toute personne arrêtée « doit être aussitôt traduite devant un juge ».

Antonin Lévy est l'avocat de deux pirates somaliens du Carré d'As, Yacoub Mohammed Hassan et Cheik Nour Jama Mohamoud dans l'affaire dite « Hassan et autres contre France ». Il raconte à VICE News les conditions de détention de l'un de ses clients : « Quand je l'ai vu, après neuf jours de détention, tout ce dont il rêvait, c'était de dormir. Il avait passé six jours et vingt heures au fond d'un navire, confiné à l'isolement, sans savoir où il allait. Ce n'est qu'une fois placé en garde à vue, qu'on lui a expliqué qu'il se trouvait en France, et qu'il allait être jugé. Être présenté à un juge quasiment dix jours après son arrestation c'est colossal. »

Publicité

D'après l'avocat, la CEDH a reconnu à travers ces arrêts que les pirates avaient les mêmes droits que n'importe quels citoyens européens. « Tout le monde a le droit à la même protection, même si vous êtes un pirate somalien arrêté à l'autre bout du monde, même dans des circonstances exceptionnelles, » relève-t-il.

Ces atteintes aux libertés individuelles commises à l'encontre des pirates et reconnues par la CEDH sont ainsi accompagnées d'amendes de « satisfaction équitable » (de dommages et intérêts) relativement importantes, d'après Me Lévy, qui explique que « C'est une grosse somme […] Souvent avec la CEDH, c'est juste le bonheur intellectuel de savoir qu'on a gagné, accompagné d'une amende de un euro. L'un de mes clients est toujours en France, en situation de demande d'asile, il n'a pas le droit de travailler, » explique l'avocat, qui confirme que ses clients ont purgé leurs peines et ont été libérés. « Outre le plaisir de savoir qu'il avait raison, c'est un beau cadeau de Noël pour lui. »

Depuis 2005, la piraterie au large des côtes somaliennes et dans le golfe d'Aden est largement pratiquée, sous la forme d'attaques de navires internationaux, de pillages et d'enlèvements en mer. Le conflit en Somalie entre islamistes et pouvoir central, qui déstabilise la région depuis 2006, alimente cette activité criminelle. Cependant, des actions conjointes de plusieurs marines internationales dans la région ont fait baisser les attaques de plus de 40% depuis 2011. 

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter @meloboucho 

Photo via Flickr / Ministerie van Buitenlandse Zaken