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Je suis accro au fait de me tirer les cheveux

Comment mon viol m'a entraînée vers un tic particulièrement morbide : m'arracher des touffes de poils.

Toutes les illustrations sont de Frédéric Fleury.

Un mois après avoir été violée, j'ai eu ma première crise de trichotillomanie chez ma grand-mère. Je me souviens que j'étais devant mon ordinateur. J'étais en train de toucher mes cheveux, un par un. De plus en plus fort. Ma grand-mère l'a remarqué et m'a engueulée : « Arrête, tu es en train de t'arracher les cheveux. » À ce moment-là, j'étais loin de me douter que je deviendrai trichotillomane. Il s'agit simplement de la première où j'ai tiré sur l'un de mes cheveux. J'avais envie de voir ce que j'allais ressentir. J'avais 18 ans, et j'ai vu. Puis j'ai basculé.

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La trichotillomanie est un tic irrépressible qui se caractérise par un arrachage des cheveux et des poils sur d'autres zones du corps, comme les cils ou les sourcils. Souvent, cette maladie mène à la disparition des cheveux sur une toute une zone du cuir chevelu, que les personnes atteintes cherchent ensuite à dissimuler. Elle touche beaucoup plus fréquemment les femmes telles que moi. Notamment celles qui souffrent de divers traumatismes.

Petit à petit, mes crises se sont mises à durer de plus en plus longtemps. Par exemple, le temps d'un trajet en transport en commun, soit environ une vingtaine de minutes. Puis lentement mais sûrement, le temps d'une soirée entière, c'est-à-dire quelques heures. Devant mon écran d'ordinateur par exemple, je m'y laissais aller des heures durant. En général, j'étais à la recherche du cheveu qui frisait ou de celui que je trouvais trop épais. Dès que je l'avais trouvé, je tirais dessus. Le plus fort possible.

Aujourd'hui encore, à l'âge de 24 ans, grâce à la trichotillomanie, je me sens vivante. M'arracher les cheveux est pour moi un geste agréable, réconfortant – voire nécessaire. Lorsque je suis inoccupée, je le fais. Cela m'occupe les mains.

Je me suis aperçue que j'étais atteinte de trichotillomanieen faisant, quelque temps après l'apparition des premiers symptômes, des recherches sur Internet. Je suis tombée sur nombre de sites et de blogs qui revenaient précisément sur les choses que j'étais en train de vivre. J'ai réalisé que près de 0,6 % de la population mondiale trouvait, comme moi, du plaisir dans le fait de s'arracher les cheveux. Ou que près de 3,5 % des femmes américaines étaient concernées par la maladie.

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Pour en savoir plus, je me suis vite inscrite sur un forum d'entraide. J'y ai discuté avec d'autres personnes qui, comme moi, s'arrachaient les cheveux. Je me suis sentie moins seule. Je suis restée en contact avec une femme. Nos parcours étaient similaires ; comme moi, elle avait été violée. Ça remontait à pus loin, puisque c'est son beau-père qui s'était rendu coupable. Il a abusé d'elle alors qu'elle n'était qu'un enfant. Plus tard, c'est elle qui m'a aidé à porter plainte. Pour elle, mon ami Emmanuel avait « profité de mes faiblesses ». Et toujours selon son expérience, comme beaucoup de victimes, elle pensait que j'avais « rejeté la faute sur moi ».

Ce jour-là, nous nous étions retrouvés à son bureau. Il devait m'aider à terminer un devoir en anglais. Puis après avoir travaillé à mes côtés, il s'est mis à me caresser le haut du dos. Son geste était affectueux ; là encore, un père aurait très bien pu agir de cette manière. Après m'avoir fait asseoir sur ses genoux, il m'a allongée sur un bureau. Il a retiré mon jean et mes sous-vêtements. Il m'a fait un cunnilingus pour me préparer. J'étais comme spectatrice de la scène. Je n'arrivais pas à bouger, ni à crier. J'espérais qu'il était simplement en train de commettre une erreur, qu'il ne recommencerait jamais.Je me suis fait violer par celui que je considérais comme un ami, un jour de décembre. Il s'appelait Emmanuel, il avait une quarantaine d'années, et désirait m'aider. Je traversais une mauvaise passe. J'avais quitté le domicile familial et je ne savais pas où dormir ; régulièrement, Emmanuel m'hébergeait. Il était toujours très gentil avec moi. Il faisait office de père de substitution.

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Assez vite, j'ai commencé à viser d'autres parties de mon corps où je serais susceptible d'arracher des poils. Je me suis donc attaquée à mes jambes. Et à mon pubis.

Malheureusement, ce ne fut pas le cas. Une sorte de routine s'est installée. Une à deux fois par semaine, il venait pour coucher avec moi. À chaque fois, j'espérais qu'il me laisse tranquille le plus vite possible. C'était toujours la même chose : il m'allongeait sur le lit et me faisait un cunnilingus. Quand j'entendais qu'il détachait sa ceinture, je ne le regardais pas. J'enfonçais ma tête dans l'oreiller. Il voulait que je sois « active au lit ». Mais c'était bien sûr au-dessus de mes forces de le toucher, de le regarder, ou de l'écouter. Quand l'acte ne se déroulait pas assez vite, je simulais. Mon violeur trouvait que nos rapports étaient « normaux ».

Pendant tout ce temps chez lui, il désirait que je « respecte certaines règles » : je n'étais pas autorisée à inviter quelqu'un ou à parler de l'appartement à quiconque. Seule ma mère avait le droit de me rendre visite. Elle était d'ailleurs ravie que je sois amie avec Emmanuel et qu'il m'aide. Elle aussi l'appréciait. En guise de dédommagement, elle lui versait une sorte de pension alimentaire mensuelle. 100 euros.

Puis un jour, j'ai trouvé le courage de lui dire non. Je l'ai repoussé. Emmanuel est resté étendu, dans mon lit. Il espérait arriver à ses fins. Ses attouchements ont duré deux minutes, presque une éternité. J'ai compté chaque seconde. Le lendemain, mes affaires étaient devant la porte de son appartement. Personne ne s'est rendu compte de rien.

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J'ai eu mon premier trou au niveau du cuir chevelu quatre ans plus tard, à la fin de mon année de BTS. J'avais alors 22 ans. J'ai vite pris conscience que ma maladie prenait de l'ampleur. C'est la raison pour laquelle j'ai changé de coiffure. Même si le trou laissé par mes efforts était encore petit, j'ai tracé une raie sur le côté afin de le dissimuler. Puis, j'ai décidé de me faire couper les cheveux courts, à la garçonne.

Je souffrais de ces trous. M'arracher les cheveux et les poils ne m'a jamais rendue heureuse. Assez vite en effet, j'ai commencé à viser d'autres parties de mon corps où je serais susceptible d'arracher des poils. Je me suis donc attaquée à mes jambes. Et à mon pubis. J'en avais besoin pour me défouler. Cette envie m'obsède et je ne sais pas comment m'en débarrasser. J'aime bien être assise en lotus ou avoir mes genoux contre ma poitrine. Cette idée de m'arracher des poils au niveau du bas-ventre m'est venue naturellement.

En termes de signification, lorsque j'arrache des poils à cet endroit, je ne pense pas à la nature de mes agressions. Ça n'a rien à voir avec le viol. Ce qui m'intéresse, c'est plutôt la texture des poils du pubis, si différente de celle des cheveux. Ce geste entraîne évidemment une douleur effroyable, éprouvante. Mais c'est aussi grâce à cette douleur que je parviens à calmer mes crises.

Aujourd'hui, je vois un psychologue de l'association Le Mars, située à Reims, à raison d'une fois par mois. C'est l'association dont la gendarme qui s'occupait de ma plainte, m'avait parlé. Devant mon absence de réactivité, les gens de l'association avaient d'ailleurs fini par la contacter à ma place. J'avais peur de faire le premier pas. Avec le psy, nous cherchons ensemble des solutions pour diminuer mon envie de trichotillomanie. Il m'a conseillé diverses techniques comportementales. J'ai désormais des plages horaires, où il m'autorise à m'arracher des cheveux ou des poils. Sur un bloc-notes, je dois écrire chacune de mes crises. Il m'a également poussée à faire des exercices de relaxation. J'ai essayé le yoga, mais ça ne marche pas sur moi.

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L'abandon de mon père et les viols consécutifs m'ont conduit droit vers la trichotillomanie. C'est aussi à cause de cela que de janvier 2014 à l'été 2015, je suis tombée en dépression. J'avais de grosses crises de trichotillomanie, quotidiennement. J'ai eu trois trous sur ma tête pendant cette période. J'ai dû me raser les cheveux à plusieurs reprises – au moins trois fois. Je désirais rester seule, je repoussais mes amis. Encore aujourd'hui, j'essaie de laisser pousser mes cheveux, sans succès. C'est trop difficile.

Ces derniers temps, je recommence à avoir régulièrement des crises. Depuis le 28 décembre 2015, j'ai déjà fait trois crises « autorisées » par mon psychologue, mais aussi quatre autres en dehors des plages horaires. Je suis fatiguée de me battre contre cette maladie. Pour me distraire de mon envie, j'use de nombreux subterfuges : coloriage, grignotage. Parfois, je me mets volontairement la tête sous l'eau.

Je n'ai jamais pris d'antidépresseurs. En revanche, je prends des compléments alimentaires à base d'aloé véra et riches en vitamine B12 – ils favorisent notamment le bon fonctionnement du système nerveux. Au bout d'un mois, le produit est censé faire effet. J'attends les résultats.

Aujourd'hui, seuls mon copain et quelques amis savent que je suis trichotillomane. Ma famille ne le sait pas, pour la bonne et simple raison que je la vois très peu. Ma mère n'est au courant de rien. Elle ne sait même pas que je me suis fait violer.

Mon copain me soutient à sa manière : il n'est pas toujours compréhensif et manque parfois d'empathie. Par exemple, il ne voit pas l'intérêt de mes visites chez le psychologue. Mes amis, eux, se montrent plus compréhensifs. S'ils me jugeaient, cela me permettrait de faire un tri parmi mon entourage.

En septembre 2015, j'ai finalement décidé de porter plainte contre Emmanuel. La gendarme qui s'occupait de mon cas, m'a posé de nombreuses questions. Elle m'a félicité d'avoir porté plainte. On m'a dit de compter un mois environ. Le temps a passé, et j'attends toujours des nouvelles. À l'heure qu'il est, mon violeur court toujours.

Aujourd'hui, je ne me sens absolument pas féminine. D'ailleurs, je n'ai aucune envie de l'être. Je ne me sens ni homme, ni femme. Sans doute ma trichotillomanie cache-t-elle un refus de ma part d'être une femme. Pourtant, j'aime mon corps. Mais je déteste mes cheveux.