Dans l'enfer du "crush porn"

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Dans l'enfer du "crush porn"

Malgré les efforts de la police américaine et des militants de la cause animale, des vidéos de gens en train de torturer et tuer des animaux circulent toujours sur Internet, et il est impossible de les éradiquer.

« Ebony Crush Goddess », une femme mince portant un masque de carnaval, de la lingerie noire et des talons hauts, parle de sa chatte et susurre des menaces de punition alors qu'elle surplombe son partenaire. L'objet de son attention dans cette vidéo précise – un petit chat – pousse des cris de protestation sur le sol d'une cuisine banale, alors qu'Ebony attache ensemble les pattes avant et arrière de l'animal.

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Après un teasing interminable, elle coupe les pattes du chat. Et même si c'est difficile à croire, ce qui suit est encore plus horrible.

Cette scène fait partie d'une collection de vidéos de torture animale à vocation pornographique saisie par la police de Houston, après qu'elle ait été prévenue de leur existence et de l'adresse de leurs auteurs par des défenseurs des animaux en 2012. D'autres vidéos montrent Ashley Richards – alias Ebony Crush Goddess, 21 ans à l'époque – en train de décapiter, d'éventrer et d'uriner sur des chiens et tout un tas d'autres animaux.

Richards fut condamnée par une cour de justice texane pour cruauté envers les animaux, et purge actuellement une peine de dix ans d'emprisonnement. Mais elle et son partenaire Brent Justice, 54 ans, réalisateur et distributeur des vidéos d'Ebony Crush Goddess, font maintenant face à des chefs d'accusation plus graves encore pour avoir violé l'Animal Crush Video Prohibition Act de 2010. S'ils sont condamnés, ils seront les premiers à l'être en vertu de cette loi.

Richards (à gauche) et Justice. Image: Houston Police Department

Étant donné le profond dégoût que ce type de vidéos inspire à la plupart des gens et les récentes avancées législatives criminalisant leur production et leur distribution, on pourrait penser qu'il serait facile d'envoyer les « stars » du crush porn en prison. Mais en réalité, il a fallu emprunter un chemin juridique long et sinueux pour en arriver là.

Une loi promulguée en 1999 fut décrétée trop vague et en violation du Premier Amendement lorsqu'elle fut appliquée à une affaire de vidéos de combats de chiens. L'Anti-Crush Act de 2010, signé par le Président Obama, a criminalisé le fait de produire, de vendre et de faire la publicité de vidéos de « crush » considérées comme « obscènes » (c'est-à-dire échappant au cadre de la liberté d'expression).

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En 2013, une cour texane rejeta l'affaire de Richards et Justice, estimant que leurs vidéos ne correspondaient pas à la définition légale de l'obscénité et que l'Anti-Crush Act était inconstitutionnel. Mais le gouvernement fit appel et obtint satisfaction devant la Cour d'appel pour le cinquième circuit (qui couvre plusieurs districts du sud des Etats-Unis), et Richards et Justice risquent désormais sept ans de prison pour chaque charge retenue contre eux, une amende pouvant aller jusqu'à 250.000$, et au moins trois ans de liberté conditionnelle.

Mais ces débats légaux sur ce qui relève ou non de l'obscénité ne sont que l'un des obstacles qui s'opposent à la poursuite des producteurs de vidéos de hard crush. Le vrai problème, c'est qu'à part des associations comme l'Animal Beta Project (ABP), un petit groupe de bénévoles anonymes qui traquent toutes les formes de cruauté animale sur Internet, personne ne s'en soucie vraiment.

" Si une femme tire sur un zèbre, pas de problème. Mais si elle marche sur un lapin, c'est scandaleux."

Ce sont des membres de l'ABP qui, après avoir disséqué les vidéos d'Ebony Crush Goddess pour y trouver des indices, ont fini par déterminer où les vidéos étaient filmées et qui les réalisait, avant de collaborer avec des enquêteurs de l'Animal Legal Defense Fund (ALDF), de PETA et de la Humane Society pour porter l'affaire devant la police de Houston.

« Avec la diffusion massive des smartphones équipés de caméras HD, n'importe qui peut tourner une vidéo de crush dans un placard avec un peu de lumière et un téléphone, explique Scott Heiser, avocat et haut responsable de l'ALDF. Et tout le monde sait que torturer des animaux est un crime dans tous les États, donc il faut très attention à ne pas se faire repérer par la police. Du coup, il est rare que ceux qui produisent ce genre de contenu se fassent attraper. Il arrive parfois que les autorités en repèrent un, mais ce ne sont pas les patrouilles de police qui y parviennent. La plupart de ces affaires naissent d'une longue enquête savamment coordonnée, et pour être honnête, la police ne se soucie pas vraiment de ce genre de cas. »

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« Ce sont des affaires difficiles, ajoute-t-il. Il faut généralement enquêter longtemps pour obtenir des preuves solides, presque uniquement sur Internet, et c'est le sacerdoce des gens de l'ABP. »

Le procès de Brent Justice a été repoussé plusieurs fois, notamment parce qu'il a réclamé que la cour paye un détective privé pour trouver des personnes susceptibles de témoigner en sa faveur.

Brent Justice compte bien se défendre lui-même, et il a déjà soumis ses arguments sous forme écrite. Selon lui, l'un des chiens apparaissant dans ses vidéos, dont la gorge avait été tranchée lentement, a en réalité été tué selon le rite cacher, et donc il importe peu qu'il ait ensuite été mangé ou utilisé comme support masturbatoire après sa mort.

Pour se défendre, Justice a tenté d'arguer que ses méthodes d'abattage des animaux étaient cacher, et donc légales. Image: Harris County Court

L'œuvre d'Ebony Crush Goddess est considérée comme du « hard crush », qui consiste à écraser et à tuer des animaux vertébrés comme des chiens, des chats, des lapins ou des poulets, ce qui enfreint les lois sur la cruauté animale et est donc illégal. Le « soft crush » (ou squishing, qu'on pourrait traduire par « écrabouillis ») fait lui référence à des objets inanimés tels que les ballons, la nourriture ou des jouets que l'on écrase, mais peut aussi concerner des créatures comme les insectes, les escargots ou les écrevisses, également pulvérisés et donc tués.

Le soft crush étant légal, on le trouve en abondance sur des sites comme xxx-fetishmedia.com, chloecreations.com ou encore crushcuties.com. Pour la modique somme de 6$, quelqu'un que la vue et le bruit d'un scarabée ou d'une écrevisse que l'on écrase excite peut acheter une vidéo en quelques minutes grâce à une simple recherche sur Google.

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Le hard crush se dissimule bien plus subrepticement sur Facebook, dans des Google groups étranges, et sur YouTube (en général, les vidéos de hard crush qui y sont postées sont retirées très rapidement).

Pour la plupart d'entre nous, il est très difficile de comprendre pourquoi quiconque voudrait se masturber devant des images d'animaux que l'on torture, qui souffrent et que l'on tue.

Capture d'écran d'un wiki consacré au crush porn sur le dark web.

« Aucune étude ni recherche empirique n'a été menée » concernant la propension au hard crush, explique le Dr. Mark Griffiths, psychologue et professeur de gambling studies (études sur le jeu) à Nottingham. « On ne sait pas encore dans quelle mesure les gens qui recherchent ce genre de contenu en tirent une excitation sexuelle. »

« Il n'y a pas de définition précise de la manière dont cela fonctionne, dit Christine Hyde, sexothérapeute au Centre de thérapie sexuelle du New Jersey. C'est comme demander aux gens ce qui les attire dans le BDSM. Chacun aura une réponse différente. »

Étant donné que cette fascination pour la torture animale est très peu étudiée et très mal comprise (sans compter que les individus concernés ont tendance à s'en cacher la plupart du temps), on ne sait pas du tout combien de gens sont clients de ce type de contenu. On peut seulement noter que sur FetLife.com (une sorte de Facebook de la communauté BDSM), les groupes « Crush fetish » et « Trample & crush » comptaient respectivement 798 et 814 membres, même si ces groupes incluaient à la fois des amateurs de soft et de hard crush, et que ces derniers semblaient être minoritaires.

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"On ne sait pas encore dans quelle mesure les gens qui recherchent ce genre de contenu en tirent une excitation sexuelle."

« Le crush est contre nos règles, notamment parce qu'il a failli faire fermer FetLife il y a quelques années, explique Jonathan, un « gardien » de la communauté qui a répondu à mes questions. L'autre raison, c'est qu'à un moment nous avons demandé à la communauté ce qu'elle pensait du crush, et la réponse a été extrêmement claire : nos membres y sont farouchement opposés, considèrent que c'est de la cruauté, et que cela devrait être interdit. »

Même les gens qui aiment regarder des insectes se faire piétiner jugent durement les fans de hard crush, et à en juger par les débats animés sur FetLife, détestent être regroupés avec eux comme s'ils étaient adeptes du même type de fétichisme. À vrai dire, ils contestent même que le hard crush puisse être classé parmi les simples « fétichismes ».

Mais l'indignation du public tend à être fortement corrélé au degré de mignonnerie de l'animal torturé.

Ce que préfère Philippe, c'est regarder des lapins et des petits chats se faire torturer et tuer, m'a-t-il avoué dans les messages que nous avons échangé au fil des mois. Ce quinquagénaire vit au Portugal, où il s'occupe de ses voisins du troisième âge, et m'a demandé de ne pas dévoiler son vrai nom à la fois pour échapper à la loi mais aussi parce qu'il ne veut pas que sa famille soit au courant. Il affirme qu'il échange surtout des vidéos de crush avec des connaissances dignes de confiance partageant ses goûts, et qu'il n'a pas acheté de vidéos depuis quelque temps.

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« J'ai pris conscience que j'aimais le crush en 1999, en regardant la télé portugaise, raconte-t-il. Ils parlaient d'une vidéo de Jeff Vilencia qui avait remporté un prix. On pouvait voir un court extrait de la vidéo, dans lequel une femme pieds nus écrasait des vers. J'ai trouvé ça très excitant. »

Quand il a commencé à surfer sur Internet un an plus tard, il raconte que « la première chose que j'ai faite, c'était de chercher du crush. »

Il se considère comme un masochiste qui s'identifie aux victimes sans défense, et explique qu'il aime regarder des femmes cruelles qui semblent aimer ce qu'elles font.

« La plupart d'entre elles font du crush pour l'argent, mais il y en a certaines qui aiment vraiment ça », affirme-t-il, ajoutant qu'il a trouvé de telles femmes au sein de communautés online qui vivent en Inde et au Pakistan.

« Il y a des pays où les gens sont très pauvres, donc si on leur propose de gagner 15 fois leur salaire quotidien en piétinant un animal, ils n'hésitent pas longtemps, même si ce n'est pas vraiment leur truc. »

Philippe reconnaît que le crush est cruel, mais qu'il l'accepte parce qu'il aime ça. Il estime aussi que certaines réactions vis-à-vis du hard crush sont hypocrites.

« Si on empoisonne des milliers de rats dans un bâtiment, tout va bien, dit-il. Mais si une femme a l'audace de marcher sur un seul d'entre eux pour son plaisir sexuel, c'est inacceptable. Pareil pour la chasse : ok, l'animal ne souffre pas, mais il est tué pour le bon plaisir du chasseur. Même en Occident, il y a des endroits où l'on peut tuer pour le sport ou pour le plaisir. Si une femme tire sur un zèbre, pas de problème. Mais si elle marche sur un lapin, c'est scandaleux. »

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John Green, l'un des membres les plus actifs de l'ABP, soupçonne que les arrestations de Justice et Richards aient refroidi le marché du hard crush. Mais Green, dont le nom a été modifié pour éviter des représailles de la part de ceux qu'il traque, estime qu'il est également possible que les producteurs soient tout simplement devenus plus efficaces pour dissimuler leurs œuvres.

Il y a du hard crush sur le dark web, pour peu que vos pistes soient récentes, vu que les URLs y disparaissent plus vite que sur l'Internet normal. Avec l'aide de Greg Virgin, expert en technologie et PDG de RedJack, j'ai tenté de devenir membre de communautés hard crush telles que « Sea Kitten Palace » et « Scream, Bitch ! », mais on m'en a refoulée.

Capture d'écran d'une publicité Pastebin pour Sea Kitten Palace.

Une autre difficulté, pour repérer le hard crush, c'est que certains producteurs acceptent de répondre à des commandes de clients. Difficile donc de dire combien de producteurs qui font semblant de ne vendre que du soft crush légal fournissent en réalité du hard crush en direct par Skype ou par webcam à des clients. À vrai dire, il est impossible de le savoir.

Des documents légaux indiquent que Richards se livrait à ce genre d'activités, et qu'elle avait même répondu par l'affirmative quand on lui avait demandé si elle serait capable de tuer quelqu'un dans une vidéo personnalisée. « Il apparaît que Richards a évoqué sur Internet avec un autre individu l'idée de torturer et de tuer une personne humaine… Il semble qu'elle soit capable de tout, que ce soit pour l'excitation, l'argent ou les deux à la fois. »

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Dans la plupart des affaires internationales, l'ABP est impuissant. Le groupe voit passer de nombreuses vidéos de hard crush en provenance des Philippines, de Russie ou de Chine, mais « c'est toujours la même série de vidéos, les mêmes gens, donc je suppose que ce sont les plus connues », déplore une autre membre de l'ABP, qui se fait appeler Baudi Moovan.

« La première chose qu'on fait, c'est de déterminer d'où vient la vidéo, pour savoir quelles sont les lois du pays d'origine, explique-t-elle. Si nous ne pouvons rien faire, autant ne pas perdre notre temps. »

Les membres de l'ABP ont été excités d'apprendre que Justice et Richards se trouvaient à Houston, dit-elle, car contrairement aux affaires internationales, ils pouvaient agir et avaient une chance de les stopper grâce à l'aide de la police.

"Je dois toujours écouter les vidéos, ce qui est encore pire."

Si la police les a pris au sérieux, c'est sans doute parce que peu avant de découvrir Ebony Crush Goddess, l'ABP, travaillant main dans la main avec l'ALDF et PETA, avait identifié et localisé Luka Magnotta, auteur de films comme « 1 Boy 2 Kittens » et condamné pour le meurtre de l'étudiant chinois Jun Lin. Magnotta avait filmé le meurtre et l'avait diffusé sur Internet sous le titre « 1 Lunatic 1 Ice Pick ».

Certains militants de la cause animale, y compris PETA, aiment à rappeler que de nombreux tueurs en série ont commencé par maltraiter des animaux et que, donc, les personnes qui s'intéressant à ce type de contenu sont susceptibles de présenter un risque pour leurs congénères. Il n'est prouvé en rien que les deux choses soient corrélées, mais cela n'empêche pas la police de s'intéresser de plus près aux affaires de cruauté envers les animaux.

Scott Heiser, de l'ADLF, rappelle que de plus en plus d'États américains considèrent désormais de tels actes comme des crimes, et non plus comme des délits. Et pour la première fois, le FBI lui-même se penche sur ces affaires.

« La police n'est plus la seule à se soucier de ces problèmes, les procureurs s'y intéressent aussi désormais, se félicite Green. Si des gens sont capables de traiter un chat ou un chien de cette manière, comment se comporteront-ils avec d'autres personnes ? »

Richards, qui purge sa peine à la prison de Harris County, fait partie de la liste des témoins au procès de Brent Justice. Mais son avocate, Joyce Radnor, affirme qu'elle invoquera peut-être le Cinquième Amendement afin de ne pas témoigner, puisque tout ce qu'elle dira au procès de Justice pourra être retenu contre elle et alourdir encore sa condamnation.

Les arrestations de Richards et Justice sont un succès notable pour l'ABP, mais comme souvent sur Internet, l'éradication du crush porn est une tâche sisyphéenne. Des vidéos vieilles de plus de dix ans continuent à tourner, donc l'ABP reçoit toujours les mêmes, y compris des vidéos issues de LethalPressure et de RussianCrushSite, qui ont fermé il y a des années.

Quelques membres de l'ABP discutent actuellement avec des producteurs d'une éventuelle émission de téléréalité sur leur travail, qui se poursuit inlassablement sans faire de bruit.

Entre deux entretiens par Skype avec des producteurs, Baudi visionne des vidéos de crush image par image, car c'est moins pénible émotionnellement que de regarder la vidéo à vitesse réelle des dizaines de fois. Mais comme le son est aussi susceptible de révéler des indices sur l'endroit où le tournage a eu lieu ou sur les auteurs, dit-elle, « je dois toujours les écouter, ce qui est encore pire. »