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Utiliser des excréments humains comme engrais est une très mauvaise idée

Est-il temps de réévaluer la réglementation sur les boues d’épuration ?

Est-il temps de réévaluer la réglementation sur les boues d'épuration ?

Utiliser les boues d'épuration comme engrais serait un excellent moyen d'exploiter les excréments humains de manière utile plutôt que de les laisser pourrir dans des décharges. En tout cas, c'est ce qu'affirment les partisans de cette technique. L'Agence de protection de l'environnement américaine (EPA) a un nom charmant pour désigner le fumier que l'on obtient après traitement de notre caca : les biosolides. Et elle encourage vivement d'utiliser ces biosolides comme un moyen facile et peu coûteux pour fertiliser les cultures et recycler les déchets humains. Mais même si l'EPA exige que les bactéries et virus contenus dans nos étrons soient éradiqués avant de les utiliser dans les champs, la présence d'autres polluants, comme les métaux et les produits pharmaceutiques, est peu ou pas contrôlée.

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Une nouvelle étude suggère que cette absence de régulation pourrait être un problème, car on détecte désormais les polluants en question dans les boues d'épuration, et même, en quantité moindre, chez les animaux qui sont nourris avec les plantes fertilisées par le caca humain.

« Les règles en vigueur ne sont pas du tout adaptées au danger représenté par les excréments humains, » explique Murray McBride, chercheur spécialisé dans la contamination des sols à l'Université Cornell. « Il existe bien plus de métaux toxiques sur le tableau périodique des éléments (et potentiellement, dans les sols), que ce qui est contrôlé par les instances de régulation. »

Selon lui, les règles de l'EPA sont complètement dépassées. Ils contrôlent la présence de neufs métaux dont les risques sur la santé sont connus, dont le plomb, le cadmium et l'arsenic. Et les métaux ne sont qu'une partie du problème. La présence de médicaments et autres résidus organiques trouvés dans les biosolides est encore plus préoccupante, affirme-t-il. « L'EPA ne régule qu'une portion ridicule des produits chimiques qui pourraient affecter notre santé, » explique David L. Lewis, ancien consultant scientifique à l'EPA, et désormais très critique à l'encontre des activités de l'agence.

« Ce que l'EPA réglemente est négligeable. »

Des villes comme San Diego transforment leurs déchets en engrais. Photo: William Garrett/Flickr

Les représentants de l'EPA ne précisent pas si les règles en vigueur seront révisées, mais le porte-parole de l'agence, Robert Daguillard, précise que l'EPA prévoit d'évaluer les risques liés à la présence de médicaments dans les boues d'épuration, dont on ne connaît pas exactement la composition. Une enquête de l'EPA a évalué qu'elles contiendraient plus de « 92 produits pharmaceutiques, des stéroïdes et des hormones. » Mais aucun de ces produits n'est soumis à des limites légales en regard de la réglementation en vigueur.

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Pour de nombreux agriculteurs, les biosolides sont moins chers que les engrais synthétiques. Les municipalités sont favorables à leur utilisation. Enfin, parce que certaines villes revendent près de 50% de leurs boues d'épuration aux fermiers, elles peuvent réduire la quantité de déchets qu'elles envoient en décharge à grands frais. San Diego, Portland et Edmonton, par exemple, traitent leurs déchets afin de produire des biosolides en quantité.

Cela explique pourquoi la demande augmente régulièrement. L'EPA n'a pas encore estimé la taille du marché potentiel, mais on sait que la production de biosolides s'est élevée à 7,2 millions de tonnes aux Etats-Unis en 2004, augmentant de 4% en six ans. Si la production avait continué d'augmenter à cette cadence, cette production serait de 8 millions de tonnes aujourd'hui. Les fermes bio ne peuvent pas utiliser des biosolides sans risquer de perdre leurs labels, mais pour les autres il est très facile de se procurer ces engrais localement.

Les promoteurs des biosolides affirment que ceux-ci sont très efficaces. « S'il y avait vraiment un impact négatif lié à l'utilisation de biosolides, ils sont moindres face aux bénéfices que l'on peut en retirer, » explique Ned Beecher, de l'Association du nord-est américain pour l'utilisation des biosolides et des déchets. Il pense que la réglementation de l'EPA est largement suffisante, et fait remarquer que l'agence a déjà examiné les risques posés par des dizaines de polluants, considérant qu'ils étaient minimes. « Ce n'est pas parce qu'il n'existe pas de seuil autorisé que le risque n'a pas été évalué, » ajoute Beecher.

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« Actuellement, l'environnement est exposé à de petites concentrations de polluants, mais de manière prolongée. »

Avant que les boues d'épuration ne soient utilisées dans les cultures, l'EPA exigeait déjà la mise en place de deux opérations successives afin de détruire les pathogènes : la digestion anaérobie, au cours de laquelle les bactéries décomposent les boues en l'absence d'oxygène, et la stérilisation à haute température. Malgré ces précautions, il est possible que des bactéries survivent et contribuent à propager des souches bactériennes résistantes aux antibiotiques. C'est un problème majeur, car une fois que ces superbactéries se sont répandues dans les cultures, les élevages et les hôpitaux, elles peuvent provoquer des épidémies et seront difficilement éradiquées par la pénicilline ou d'autres antibiotiques.

Edo McGowan, ancien chercheur en sciences de l'environnement désormais à la retraite et critique virulent de l'utilisation des biosolides, s'inquiète des résultats de la recherche sur les gènes résistants aux antibiotiques dans les sols traités par biosolides. Ces gènes, dit-il, sont facilement transportés par les équipements agricoles ou le vent, et sont absorbées par des bactéries qui peuvent être ingérées par des personnes et des animaux. « Certains de ces microbes sont increvables, » ajoute-t-il.

Il n'existe pas, à l'heure actuelle, de consensus concernant l'influence de l'utilisation des biosolides sur l'efficacité des antibiotiques : nous ne savons pas si l'antibiorésistance est un phénomène qui advient naturellement dans les sols, sans intervention humaine. « Pour l'instant, nous n'émettons que des hypothèses, » explique Marc Habash, qui effectue des recherches sur les bactéries contenues dans les biosolides à l'Université de Guelph en Ontario. « Il y a des gènes résistants aux antibiotiques dans les sols. De nombreuses bactéries les possédaient avant que nous ne commencions à utiliser des antibiotiques. »

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Les vers de terre semblent avoir absorbé certains polluants. Photo: schizoform/Flickr

Une partie de la recherche soutient les critiques. Une étude de 2012 menée par le chimiste Chad Kinney, de l'Université d'État du Colorado, a montré que les vers de terre présent dans les sols arrosés de biosolides contenaient un grand nombre de substances synthétiques, dont des médicaments et des produits d'hygiène ; Kinney s'est inquiété tout particulièrement de la présence de triméthoprime (un antibiotique utilisé notamment pour soigner les infections urinaires) et de triclosan (un biocide courant dans le savon pour les mains) dans les organismes des animaux.

Nous ne savons pas encore si ces composés chimiques sont capables d'affecter les populations de vers de terre, et Kinney précise qu'ils ont été détecté à faible concentration. Cependant, leur présence montre que les polluants issus des activités humaines migrent des biosolides aux organismes animaux. Cela laisse à penser qu'ils pourraient être réabsorbés par les humains.

En dépit de ces découvertes inquiétantes, Kinney consent à dire que les risques liés aux biosolides sont encore très théoriques, et difficiles à mesurer, tandis que leurs bénéfices, eux, sont évidents : ils permettent de désencombrer les décharges et de ramener les nutriments dans les sols. « Si les boues d'épuration ne sont pas conformes aux normes en vigueur, il n'y a qu'à s'en débarrasser. Mais vous perdez tous ces nutriments et ces composés organiques précieux qui peuvent être dispersés dans les sols. »

« Les risques associés au recyclage des déchets resteront peut-être nébuleux pendant des générations, voire ne seront jamais révélés, » poursuit Kinney.

Le problème, explique-t-il, c'est que la plupart des études actuelles se concentrent sur les risques à court terme et la mortalité. Les risques à long terme, comme la réduction de la fertilité, passent à travers les mailles du filet. « La toxicologie étudie généralement un seul composé chimique à la fois à court terme, et non les interactions de différents composés chimiques à long terme. Actuellement, l'environnement est exposé à des petites concentrations de polluants, mais de manière prolongée. Il est impossible d'en voir les effets actuellement. »

« Les effets apparaîtront dans longtemps, de manière discrète, » conclue-t-il. « Mais ils pourraient affecter des générations entières. »