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J'ai voulu savoir combien je valais sur le marché du dating sur Internet

Sur le site Whatsyourprice, il faut être prêt à payer pour décrocher un rencard. Et visiblement, je vaux moins cher qu'une PS4.

Je ne me suis jamais inscrite ni sur un site de rencontres, ni sur une appli de dating, ni même sur Tinder. Je suis de ces puristes de la drague, de celles qui pensent que tout se passe autour d'un verre de Chardonnay dans un bar plus ou moins miteux. De celles qui croient aux regards appuyés et au body language. Mais accoudée au zinc, comme dans la vie quotidienne, on t'inculque que rien n'est gratuit et qu'une femme se doit de coucher avec celui qui lui offre ses consos. C'est la loi de l'offre et de la demande, c'est triste, mais c'est comme ça.

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La première fois que j'ai entendu parler de Whatsyourprice, c'était au boulot. J'écrivais un article sur les nouvelles applications de dating et je suis tombée sur celle-ci. J'ai immédiatement pensé au buzz du faux site Loueunepetiteamie.com et je me suis dit que ces mecs étaient des génies du marketing viral. Que nenni ! Whatsyourprice est un vrai site et part du principe qu'il suffit de choisir sa proie, de faire une offre et de payer pour avoir un premier rencard. Une sorte d'eBay pour pécho, quoi. Sur ce site, le monde se divise en deux catégories : les « généreux », prêts à payer pour un rendez-vous, et les « séduisants », qui acceptent ou refusent les offres. Puis, une fois le prix établi, les deux partis se rencontrent sur des bases financières. D'ailleurs, pas question d'évoquer l'amour avec un grand A, ce n'est pas le sujet, ici. Dans un essai pour CNN, en 2014, le fondateur du site Brandon Wade a écrit : « L'amour est un concept inventé pour les pauvres ».

Derrière Whatsyourprice se cache donc Brandon Wade, le magnat des sites de rencontres « mutuellement avantageuses ». On lui doit notamment des sites très classes comme SeekingArrangement, SeekingMillionnaire, CarrotDating ou MissTravel.com. Un business florissant qui lui rapporterait plus de 10 millions de dollars par an. À la question « ça serait pas un peu de la prostitution, cette histoire de relations tarifées ? », il répond à qui veut bien l'entendre que « le premier rendez-vous ne signifie pas qu'il sera question de sexe ! Il y a bien sûr une chance pour que ça évolue dans cette direction, mais le prix à payer ne concerne que le tout premier rendez-vous ! » Me voilà rassurée car je n'envisageais ni de coucher avec quiconque, ni de faire de la taule pour racolage.

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Aucun ne m'a demandé ce que j'aimais dans la vie, mes hobbies, mon passé amoureux et/ou sexuel. Une fois le prix fixé, on passe aux choses sérieuses : baiser.

Si, au départ, on peut croire que les hommes et les femmes jouissent du même statut, la page d'accueil du site ne laisse que peu de place à l'interrogation. On y lit « date attractive women » et « get paid to date ». Les hommes doivent évidemment payer pour pouvoir s'inscrire, contrairement aux femmes.

Evidemment, c'est un site de rencontres, alors on me demande un tas de détails à l'inscription comme la couleur de mes cheveux, de mes yeux, mon poids, ma taille, si je fume, bois, mange, prie, aime. Mais aussi mon "ethnie", ma religion et tout un tas de détails, qui ne regardent que moi, sur ma condition financière, mon emploi et mes revenus Surtout, le site se veut clair sur la raison de mon inscription et je dois rapidement énoncer si je suis là pour me trouver un mari ou un « sugar daddy ». Je me suis donc inscrite comme une « séduisante » vivant à New York (ce qui est totalement faux, puisque je vis à Paris), super occupée, et j'ai attendu le client.

Mais pas tant que ça, en fait. En moins d'une heure, je reçois des offres, comprenez des enchères. La première offre était de 59 dollars, la deuxième de 100. J'ai accepté les deux. Sur Whatsyourprice, quand tu acceptes une offre, le mec peut t'envoyer des messages privés. Et là, plus aucune pitié, ni bonjour ni merde, ça donne les adresses mails et les numéros de téléphone direct. Et si tu ne réponds pas, ils s'énervent. Il faut avouer que ces mecs sont désarmants d'aplomb et d'assurance. Ils se sentent légitimes – à raison ? – puisqu'ils paient pour me rencontrer. Rapidement, j'ai fait monter les enchères à 300 dollars le rencard et c'est pour cette somme que Dan*, 18 ans, du New Jersey, m'a proposé de se voir le samedi soir suivant à Manhattan.

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La description de Dan sur son profil. " Une âme très sexuelle qui a besoin d'être satisfaite et qui sera plus que ravie de rendre la pareille. J'aime être dans le cœur de l'action et me faire des souvenirs fous avec les bonnes personnes. Je suis très ouvert d'esprit et avide de nouvelles expériences. Si tu cherches un « sugar daddy », je ne suis pas pour toi. Je suis un étudiant fauché, mais je suis séduisant et grand, avec une personnalité désirable. J'ai des buts et des ambitions, mais aussi des besoins et des désirs. Aide moi à les satisfaire ;"

Dan n'est pas majeur aux Etats-Unis, et Dan n'a donc pas le droit de boire de l'alcool dans son pays. Dan vient certainement de sortir du lycée et drague des nanas de 30 ans. Dan, surtout, a dû rassembler son argent de poche du mois pour pouvoir prétendre boire un verre avec moi. Je lui ai précisé que je voulais le paiement en liquide pour ne pas laisser de traces bancaires. Je ne voulais pas qu'il s'aperçoive que je ne vivais absolument pas à New York. Dan était super intéressé par mon « métier dans les médias » comme je l'avais décrit sur Whatsyourprice. Peut-être envisageait-il de prendre journalisme en matière principale à la fac. J'ai habilement brodé autour de mon emploi fictif. Car dans mes rêves les plus fous, je suis professeur de journalisme à Columbia. Il m'a demandé si je me faisais souvent draguer par des étudiants et a paru très flatté que je jette mon dévolu sur lui.

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Heinrich*, 52 ans, travaille dans la finance et a amassé la coquette fortune d'un million de dollars. Selon son profil et ses photos, il est plutôt bien bâti de son état et athlétique. Il recherche activement une femme drôle mais il est marié. Pour lever le doute, s'il en était besoin, il rappelle qu'il ne recherche rien de sérieux.

La description d'Heinrich.

On comprend donc que 300 dollars pour un rencard, ça lui en touche une sans faire bouger l'autre, à Heinrich. Il me précise qu'il ne va pas dans des bars ; « pas assez intime » pour lui. Comprenez « pas assez discret pour qui s'apprête à tromper sa femme ». Il me propose de le retrouver au bar de l'hôtel Gansevoort à Meatpacking. « Je réserve une suite », m'a annoncé Heinrich sans vraiment me laisser le choix. J'espère qu'il ne l'a pas payée d'avance. Car pour des raisons évidentes, je ne me suis jamais présentée à la réception du Gansevoort.

J'ai aussi parlé en ligne avec plusieurs autres mecs de Whatsyourprice, de 20 à 55 ans. Aucun ne m'a demandé ce que j'aimais dans la vie, mes hobbies, mon passé amoureux et/ou sexuel. Aucun, non plus, n'a voulu savoir ce que j'attendais de ce premier rencard. Une fois le prix fixé, on passe aux choses sérieuses : baiser.

Le soir de mon double date avorté à New York, alors que j'étais confortablement installée sur mon canapé parisien, j'ai reçu un torrent d'insultes dans la boite de messagerie, la plupart se félicitant de ne pas avoir payé une « michtonneuse comme moi en avance ». J'ai lu la totalité de ces messages avec précaution, il me rappelait tous que je n'avais pas plus de valeur qu'un meuble qu'on s'offre et qu'on jette. Puis j'ai désactivé mon compte.

*Tous les noms ont été modifiés pour des noms que j'aimais mieux.