La robotique s’inspire de la résistance des cafards

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La robotique s’inspire de la résistance des cafards

Le corps d’un cafard peut être compressé jusqu’à occuper 40-60% de son volume habituel sans encourir le moindre dommage.

Noé, posté à la poupe de son arche, aurait volontiers expliqué que toutes les créatures sont égales en dignité, que chaque espèce trouve sa place dans la grande aventure de la vie. Une formule agréable aux antispécistes, bouddhistes et autres biologistes de la conservation. Une formule dont on éprouve rapidement les limites après avoir fait la rencontre d'un isotopode géant. Hélas, il n'est pas besoin de crapahuter jusqu'à l'embouchure de l'Amazone pour tomber nez à nez avec des animaux dont l'aspect général inspire un mouvement de recul.

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Sur les quelque 4600 espèces de cafards qui peuplent notre planète, seules quelques unes sont considérées comme nuisibles et infestent nos habitations en semant leurs déjections riches en bactéries pathogènes, virus, champignons, sur votre nourriture et dans les recoins de votre cuisine. Ils transmettent des infections courantes telles que la salmonellose, peuvent provoquer des allergies et aggraver les symptômes de l'asthme, ils se reproduisent très rapidement et sont très difficiles à tuer, d'autant plus que certaines espèces ont développé une résistance aux insecticides.

Alors, comment éliminer individuellement de pareilles créatures lorsqu'elles se sont mis en tête d'infester votre doux foyer ? Pas de manière mécanique, en tout cas.

Si vous tentez d'écraser un cafard filant subrepticement devant vos pieds, il est probable que la créature s'écrase au sol quelques dixièmes de seconde avant de repartir crânement comme si de rien n'était. Comme l'ont mis en évidence des chercheurs du département de biologie intégrative de l'Université de Berkeley dans un article publié dans PNAS, le corps d'un cafard peut être compressé jusqu'à occuper 40-60% de son volume habituel sans encourir le moindre dommage. Cela permet à l'animal de se faufiler dans des failles très étroites dans les murs, planchers, cloisons, afin de vaquer à ses diaboliques activités. Cela leur permet aussi de s'échapper en cas de danger sans que sa course ne soit trop ralentie par son environnement. Imaginez Bruce Willis ramper à plus de 20 km/h dans les conduits d'aération de Die Hard : au-delà de la vision cauchemardesque que cela inspire, cela vous donnera une bonne idée de la furtivité du cafard dans un espace confiné.

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Les chercheurs ont également montré que le cafard est capable de se déplacer à une vitesse de 60 cm par seconde lorsqu'il est compressé (contre 150 cm par seconde à l'air libre sur un terrain uni). Cette compressibilité extraordinaire est permise par un exosquelette constitué de plaques reliées par de fines membranes élastiques qui font office de charnières. Telle une armure que l'on pourrait écraser comme un origami sans altérer sa forme, l'exosquelette du cafard le protège très efficacement (il peut supporter des forces équivalentes à 900 fois sa masse) sans pour autant sacrifier sa légendaire célérité.

Ainsi, lorsque Periplaneta americana de 9 mm de haut se retrouve à l'entrée d'un tunnel dont l'entrée ne dépasse pas les 3 mm, il en tapote d'abord prudemment les murs à l'aide de ses antennes, puis, lorsque les mesures sont faites, s'engouffre dans l'ouverture sans un regard en arrière.

La série d'expériences de l'équipe de Berkeley est intégré à un champ d'étude nouveau, la terradynamique. Celui-ci ambitionne d'étudier les forces et les mouvements à l'œuvre dans la locomotion chez les animaux qui se déplacent sur des surfaces solides, mais aussi dans le sable, la terre meuble, les fibres, etc. La compressibilité extraordinaire du cafard peut en effet inspirer le design de véhicules ou de robots utilisés pour parcourir des endroits réputés inaccessibles. De tels robots pourraient, par exemple, assister des secouristes de montagne pour déterminer la position exacte de randonneurs piégés dans des crevasses, se glisser à l'intérieur, puis filmer leur environnement afin que les secours puissent choisir l'équipement le plus adapté à l'opération.

Contrairement aux robots mous, qui absorbent bien les chocs mais ne sont pas suffisamment rigides pour se déplacer rapidement, les robots inspirés par le cafard combineraient habilement fermeté et flexibilité afin d'avoir une prise suffisante sur leur environnement tout en résistant à des contraintes mécaniques importantes : c'est la logique du roseau qui plie mais ne rompt pas. Par ailleurs, les nouvelles générations de voitures urbaines imaginées par les constructeurs automobiles et les ingénieurs en mécanique semblent également avoir pris le parti de privilégier les structures légères et ingénieuses sur les matériaux hyper résistants. Nous pourrions connaître un futur de voitures peu chères, inutilisables après un accident mais capables de protéger ses occupants pendant l'impact en absorbant la plus grande partie du choc.

Afin de tester les principes mécaniques qu'ils ont mis à jour en tentant d'écraser des dizaines de cafards à l'aide d'un piston en métal au mépris de toutes les recommandations de la Fondation Brigitte Bardot, l'équipe de Berkeley a décidé de construire son propre robot cafard hexapode, CRAM. Jaune, bombé, simple et efficace, il peut être compressé à 50% et trotter dans des tunnels minuscules telle la plus fringante des blattes.

Espérons tout de même que si ce prototype est un jour incarné en un robot de sauvetage en bonne et due forme, des ingénieurs bien inspirés l'affubleront d'un minois un peu plus engageant. Il n'y a rien de plus désagréable que d'être coincé sous des décombres depuis plus de douze heures et d'entendre la rumeur sourde d'une armée de cafards géants cliquetant dans l'obscurité.