FYI.

This story is over 5 years old.

Tech

Nous savons désormais comment cloner les primates – dont les êtres humains

Des chercheurs de l'Académie des sciences chinoise ont réussi à cloner des macaques crabiers pour la première fois, en utilisant la technique qui a produit la brebis Dolly il y a une vingtaine d'années.
Image : Qiang Sun, et al. / Chinese Academy of Sciences

À la fin du mois de novembre dernier, des chercheurs de l'Institut de Neurosciences de l'Académie des sciences chinoise ont été témoins d'un événement extraordinaire : la naissance de deux macaques crabiers parfaitement identiques sur le plan génétique, Zhong Zhong et Hua Hua – une référence au terme zonghua qui signifie "le peuple chinois". Ces singes sont les premiers primates clonés grâce à une technique appelée transfert de noyau de cellule somatique (SCNT, ou clonage thérapeutique), la même méthode qui a été utilisée pour concevoir Dolly la brebis il y a plus de vingt ans.

Publicité

Les chercheurs estiment que leur capacité à cloner des primates leur permettra d'aborder les maladies humaines selon un angle nouveau. De plus, l'événement marque en soi un petit exploit : les chercheurs se cassent le nez depuis plus de 20 ans sur la complexité de la machinerie cellulaire des singes, et avaient jusque là échoué à réaliser cette opération. La naissance de ces macaques clonés constitue donc une preuve de concept convaincante qui pourrait être suivie par le clonage d'autres espèces de primates, dont les humains.

"L'obstacle technique que constitue le clonage d'espèces de primates, dont les humains, est désormais brisé", explique Qiang Sun, qui dirige le programme de recherche de l'Académie des sciences chinoise. "En principe, le procédé pourrait être appliqué aux humains. La raison pour laquelle nous avons souhaité dépasser cet obstacle technique est que nous voulons produire des modèles humains utiles pour la recherche en médecine et santé humaine. Notre but ultime n'est pas, en soi, de cloner l'humain."

Hua Hua, le second primate cloné par SCNT. Image : Qiang Sun, et al. / Académie des sciences chinoise

Le transfert de noyau de cellules somatiques est un type de clonage reproductif qui consiste à prendre le noyau d'une cellule de l'animal à cloner puis à l'injecter dans un ovule fécondé donc le noyau a été préalablement retiré. En 1996, la brebis Dolly a été le premier animal cloné avec succès en utilisant cette méthode.

Au cours des vingt dernières années, 23 autres espèces animales ont été clonées par clonage thérapeutique, dont des vaches, des chevaux, des chats et des porcs. Le succès de ces expériences a rapidement suscité les craintes les plus vives ; on s'imaginait que l'humanité était sur le point de concevoir des bébés sur mesure ou de produire des clones humains faisant office de réserve d'organes. Cela a même incité le président Clinton à interdire l'utilisation de fonds fédéraux pour la recherche sur le clonage humain, en 1997. Cependant, franchir la barrière qui sépare le clonage de brebis du clonage de primates s'est révélé beaucoup plus difficile que prévu.

Publicité

Le premier primate cloné était, en réalité, un macaque rhésus nommé Tetra né en 1999. Il a été conçu par division embryonnaire, une technique proche du phénomène à l'origine de la conception de vrais jumeaux. Elle consiste à diviser un embryon de deux cellules en deux embryons distincts, rigoureusement identiques, qui vont ensuite se développer le plus normalement du monde. Bien que ce processus soit bien documenté et relativement simple à réaliser, il limite à quatre le nombre de descendants génétiquement identiques pouvant être produits à partir d'un seul embryon. Pour obtenir des populations de clones plus importantes, il faut avoir recours au SCNT – qui permet d'utiliser le noyau de n'importe quelle cellule de l'animal à cloner.

L'une des raisons pour laquelle les primates ont résisté à la technique du transfert de noyau de cellule somatique jusque ici est liée à la structure des ovules de primates. Dans les ovules de primates non fécondés, des systèmes de protéines appelés "fuseaux mitotiques" sont regroupés près des chromosomes de la cellule. Ce n'est pas le cas chez la plupart des embryons d'autres espèces de mammifères, où les fuseaux sont dispersés autour de la cellule. Or, les fuseaux sont chargés de guider les chromosomes au bon endroit durant le processus de division cellulaire qui produira un nouvel individu.

Au cours des dix dernières années, cependant, les chercheurs ont découvert que lorsque le noyau – qui contient les chromosomes – d'un ovule de primate est retiré de sa cellule, cela peut endommager ou réarranger la structure des fuseaux mitotiques. Ainsi, lorsqu'un nouveau noyau est injecté dans l'embryon, les fuseaux se trouvent dans l'incapacité de guider les chromosomes au bon endroit au cours de la division cellulaire. Les chercheurs ont réussi à produire des embryons de primates à quelques occasions, sur un coup de chance, mais les erreurs accumulées au cours de la division cellulaire ne permettaient pas aux clones de survivre plus de quelques semaines dans l'utérus de la mère.

Publicité

Zhong Zhong et Hua Hua. Image : Qiang Sun, et al. / Chinese Academy of Sciences

"Plusieurs tentatives de clonage de primates non-humains ont été faites", explique Sun à l'occasion d'une conférence de presse. "Elles se sont toutes soldées par un échec. C'est ainsi qu'on a eu une idée : peut-être que les noyaux cellulaires des espèces de primates se trouvaient, pour une raison ou pour une autre, incapables d'exprimer les gènes requis pour le développement embryonnaire."

Comme ils l'expliquent dans la revue Cell, Sun et ses collègues de l'Académie des sciences chinoise ont surmonté cette difficulté en optimisant le processus de transfert nucléaire afin de réduire les dommages occasionnés à l'ovule de primate, et en ajoutant de l'ARN humain à la cellule clonée. L'ARN a permis d'activer et de désactiver sur demande les gènes responsables de l'inhibition du développement des embryons de primate. Il s'agit, selon les mots de Sun, de "programmer" le noyau afin qu'il exprime les gènes nécessaire au développement embryonnaire.

Il a fallu un temps considérable pour affiner cette fameuse programmation. Selon les chercheurs, l'équipe a d'abord tenté d'utiliser le noyau de cellules adultes de 42 singes femelles. Parmi elles, 22 sont tombées enceintes, mais seulement deux ont mis bas d'un petit singe vivant. Hélas, les deux animaux sont morts quelques heures plus tard.

Les chercheurs ont eu plus de succès en utilisant le noyau de cellules de tissu conjonctif prélevé sur un foetus de macaque avorté. Ces cellules clones ont été injectées chez 21 femelles, dont 4 sont tombées enceintes. Parmi elles, deux ont avorté au bout de deux mois, et deux autres ont vu la naissance de deux macaques crabiers génétiquement identiques. Selon les chercheurs, les bébés sont toujours en parfaite santé, deux mois plus tard.

"Nous avons essayé différentes méthodes, mais une seule a fonctionné", résume Sun. "Nous sommes allés d'échec en échec avant de trouver la bonne piste, celle qui nous a permis de cloner des singes."

Selon Sun, il est possible d'appliquer la même méthode de clonage aux humains. Il estime également que le gouvernement chinois n'autorisera jamais l'extension de ces recherches aux cellules humaines (outre les problèmes éthiques que cela implique, la méthode possède un taux de réussite extrêmement bas). Il n'en est pas moins que le SCNT est un excellent candidat au clonage en masse de populations de primates, que Sun et ses collègues estiment nécessaires à l'étude des maladies humaines.