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Pitié, laissez le consentement en dehors de la blockchain

Le consentement doit être une notion fluide et flexible. Tout ce que la blockchain n'est pas.
Image : Shutterstock / Montage : Samantha Cole

Contrairement à ce qu'affirment les communiqués de presse qui s’entassent sans relâche dans ma boîte mail, tous les problèmes de l’humanité ne peuvent pas être résolus par la grâce de la blockchain. C’est évident, mais cela n’a pas empêché l’entreprise hollandaise Legal Things de concevoir des contrats de consentement numériques qui seront versés dans une blockchain. L’objectif : convaincre les humains de respecter les limites sexuelles de chacun et apporter des “preuves” de consentement infalsifiables.

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La semaine dernière, LegalThings a annoncé qu’elle lancerait bientôt une application mobile baptisée LegalFling. Son site officiel affirme que sa fonction sera de “vérifier le consentement explicite avant le sexe” : “d’un seul clic, […] LegalFling vous permet de demander le consentement de n’importe lequel de vos contacts. Installez-vous confortablement et attendez que votre partenaire vous donne sa confirmation.”

Les personnes qui utilisent l’application LegalFling avant de passer à l’action “signent” un contrat numérique dans l’application. Cette dernière attache un hash cryptographique (une série de caractères qui représentent le texte à chiffrer) à une petite quantité de cryptomonnaie qui est ensuite lancée dans le réseau Waves, une plateforme blockchain qu’on pourrait comparer à Bitcoin et Ethereum. Ainsi, le hash se retrouve inscrit dans la blockchain Waves, au vu et au su de tous.

Une chaîne de blocs, quel que soit le service qu’elle soutient - Bitcoin, Ethereum ou Waves -, peut-être décrite comme un livre de comptes public. Tout le monde peut consulter la liste de transactions inscrite dans les colonnes de cet ouvrage protégé par la cryptographie et d’importantes ressources informatiques. Chaque blockchain repose sur les internautes qui font tourner le logiciel dont elle dépend ; dès lors, il est quasiment impossible que quiconque puisse l'éditer en secret.

Bien sûr, le public a étrillé LegalFling. On lui a reproché d’être un mauvais concept lancé par des hommes (brrr) et de ne rien saisir au concept de consentement sexuel - qui ne saurait être géré par un quelconque document. Le consentement doit être un processus fluide qui peut être révoqué à tout moment, un délire bien éloigné de celui des contrats légaux. L’application promet qu’il suffira d’un coup de doigt pour annuler son consentement, ce qui ne change rien au fait que les modifications apportées à la blockchain sont permanentes.

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LegalFling soutient que ses contrats sont des “documents vivants” qui peuvent être complétés avec de nouvelles informations si le consentement est confirmé puis infirmé. Cependant, l’entrée qui confirme le consentement sera toujours là, même si elle n’est qu’une valeur de hachage. Il y a de quoi se demander pourquoi LegalThings a cru qu’utiliser la blockchain était absolument nécessaire.

“La liste des choses qui n’ont rien à faire sur la blockchain est très longue et ça, explique Eva Galperin, directrice de la cybersécurité à l’Electronic Frontier Foundation, jointe par téléphone. Cela reflète aussi une profonde méconnaissance du fonctionnement de la blockchain. La personne qui a proposé ça n’a pas compris la blockchain, le consentement, ni même le sexe.”

Rien qu’un instant, jouons le jeu de LegalFling. Imaginons que je suis en train de me préparer pour un rendez-vous et que je ne sais pas très bien ce qui va se passer. Plutôt que de communiquer avec l’autre personne (ce que Rick Schmitz, le CEO de LegalThings, décrit dans un communiqué de presse comme “un peu embarrassant”), je leur demande d’accepter une requête qui ressemble fort à des termes d’utilisation pour un produit – mon corps, en l'occurrence. Ces termes d’utilisation concernent différents actes sexuels, mais aussi d’éventuels nudes et sextos. Si mon rencard “signe” le contrat, les données générées par notre échange sont uploadées dans la blockchain.

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Que se passe-t-il si je change d’avis au milieu du rendez-vous ? Au milieu de l’amour ? LegalFling promet qu’il sera possible de revenir sur les termes du contrat. Cela signifie-t-il que je vais devoir interrompre mes activités sexuelles, sortir mon téléphone et appuyer sur “non” pour faire en sorte que l’autre partie soit contrainte d'arrêter illico son agression sexuelle ? Quelque chose me dit que cette idée est complètement fantasmatique, et peut-être même dangereuse.

“Revenir sur le consentement, c’est simple comme un “Non”, explique Arnold Daniels, un porte-parole de LegalThings, dans un mail adressé à Motherboard. L’application rappellera les règles du jeu à chaque partie. Comme il s’agit d’un gros sujet d’inquiétude en ce moment, nous voulons être sûrs que l’application vous rappellera à tout moment que non, cest non. L’avantage de LegalFling, c’est qu’il permet de faire cela au moment critique, c'est-à-dire juste avant le début de l’acte sexuel.”

Ce mode de pensée ignore ou méprend complètement le concept de consentement enthousiaste et affirmé qui s’exprime, d'ordinaire, tout au long de la rencontre. Le consentement n’est pas une transaction définitive, c’est une communication constante et fluide entre deux (ou plusieurs) individus qui doit être maintenue tout au long de l’interaction sexuelle.

Ici, même si vous utilisez l’application pour revenir sur votre approbation - ce qui revient à dire que votre date a fini en agression sexuelle - et qu’un nouveau hash est injecté dans la blockchain, le hash qui confirme votre consentement restera dans un bloc créé plus tôt.

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LegalFling soutient que ses contrats peuvent être amendés avec de nouvelles informations. Le problème, c’est que le principal argument de la blockchain est sa permanence : une fois que quelque chose a été téléversé en son sein, il est impossible de le modifier. Chaque bout de donnée qui est placé dans la blockchain est comme épinglé à une date particulière dans un format inaltérable. Un système bien pratique pour la gestion de chaîne d’approvisionnement ou les actes notariaux, mais pas pour le consentement.

Voilà pourquoi l’idée d’un livre de comptes pour le consentement peut devenir dangereuse. Le compte Twitter de Live Contracts, la technologie développée par LegalThings pour LegalFling, a échangé avec la chercheuse en anonymat et sécurité Sarah Jamie Lewis pour expliquer que l’application visait à devenir une “implémentation tech” d’un projet de loi suédois sur le consentement.

“Clairement, une telle implémentation pose beaucoup de problèmes, a affirmé Lewis dans une conversation privée Twitter avec Motherboard. Le principal, c’est qu’une victime a tout à fait le droit de consentir à un moment particulier et de revenir sur sa décision l’instant d’après. Dans le cas où quelqu’un ignorerait cette révocation pour commettre une agression sexuelle, l’existence d’un rapport de consentement explicite (même si ce dernier a été annulé verbalement par la suite) pourrait dissuader les victimes de se manifester, ou d’obtenir justice.”

LegalFling est une technologie nouvelle. Dès lors, impossible de dire comment ses “contrats vivants” seront perçus par une cour de justice. Contacté par Motherboard, l’avocat spécialiste de la technologie et des lois numériques britannique Neil Brown s’est montré dubitatif quant au poids judiciaire de LegalFling. “Le vrai test sera de voir si tout cela tient face à un tribunal, m’a-t-il expliqué dans un DM Twitter. Jusqu’à ce que ce soit accepté dans votre juridiction, invoquer un tel outil pendant une affaire pourrait bien être un quitte ou double.”

Au final, nous ne devrions pas tout simplement pas nous laisser guider par une application pendant nos rencontres intimes. Avec un peu de chance, ce ne sera jamais une obligation.

“Dire que l’on consent, c’est facile ! s’est exclamée Galperin pendant notre conversation téléphonique. Bien plus facile que faire quoi que ce soit sur la blockchain. Je ne voudrais pas coucher avec quelqu'un qui pense que c’est plus facile qu’obtenir le consentement de son partenaire.”