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Des présentateurs météo recrutés pour influencer les climatosceptiques

Aux États-Unis, tous les moyens sont bons pour tenter d'ouvrir les yeux du public sur la réalité du changement climatique.
Image : Shutterstock

L'ouragan Irma, l'un des plus violents jamais observés dans l'Atlantique, a traversé les Caraïbes avec une force incroyable. Après avoir fait au moins 28 morts dans les Antilles françaises, il s'est attaqué à la Floride au cours du week-end. Le maire de Miami Beach, Philip Levine, l'a baptisé "l'ouragan nucléaire" et a exhorté ses administrés à évacuer la ville. Irma est l'un des trois ouragans qui ont traversé l'Atlantique, une semaine à peine après que l'ouragan Harvey a submergé le Texas, provoquant des inondations dévastatrices et faisant au moins 70 morts.

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Les environnementalistes et les spécialistes du climat estiment que la violence croissante des tempêtes est l'un des effets indirects du changement climatique. Les modèles prédisent que les ouragans seront d'autant plus destructeurs que le niveau de la mer monte et les températures globales se réchauffent. Hélas, aux État-Unis, leur message est mis en doute par une large portion de la population, notamment chez les conservateurs. Ces derniers affirment que les libéraux et les "activistes" agitent le drapeau du changement climatique lorsque ça les arrange, notamment dans des situations de crise.

À la suite du passage de l'ouragan Harvey, le secrétaire à l'énergie américain Rick Perry a affirmé que ce n'était "vraiment pas le moment" d'évoquer le lien entre ouragans et changement climatique. Un homme politique britannique a renchéri en disant qu'il était "inhumain" de mentionner une telle corrélation dans un tel contexte.

Les présentateurs météo et les météorologues pourraient bien avoir un rôle à jouer pour contrebalancer cette tendance. Aux États-Unis, "ils sont perçus comme plus fiables que les autres journalistes, ont une meilleure position dans les médias que les scientifiques, et possèdent de meilleures aptitudes pour communiquer", m'explique Edward Maibach, chercheur en sciences sociales à l'Université George Mason, par email.

Cas concret : une vidéo du météorologue attitré de la chaine WKRG Alabama, Alan Sealls, a fait le tour de Reddit la semaine dernière. L'homme n'évoque pas le changement climatique à proprement parler, mais se contente de décrire en détail l'activité des ouragans ayant traversé l'Atlantique. Ces explications toutes simples ont remporté les suffrages du grand public, ce qui montre une fois de plus la portée exceptionnelle des interventions des présentateurs météo.

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Alan Sealls a fait le buzz en décrivant l'activité des ouragans. Video: WKRG/YouTube

Edward Maibach est l'une des forces motrices du mouvement Climate Matters, un programme américain qui recrute des présentateurs météo pour parler du changement climatique à la télévision. Lancé en Caroline du sud en 2010 sous forme d'un programme pilote, il fait aujourd'hui intervenir plus de 430 présentateurs météo dans 136 médias américains, selon un rapport publié jeudi dernier sur Scientia. Écrit par Maibacj, il explique que les allusions au changement climatique dans les bulletins météo ont augmenté de 1200% entre 2013 et 2016.

Les présentateurs météo sont ballotés par les forces et les idées politiques, comme nous tous.

Cette initiative est d'autant plus pertinente que les bulletins météo sont généralement la partie la plus appréciée et regardée des JT. Même quand leurs prévisions météorologiques sont mauvaises, ils représentent des visages familiers sur qui on peut compter. Et surtout, ils connaissent très bien leur public.

"La plupart des gens font l'expérience des effets concrets du changement climatique à travers des conditions météorologiques extrêmes", m'explique Bernadette Woods Placky, qui a passé 10 ans à faire des prévisions météo à la télé. "Vous ne pouvez pas ignorer ce genre de phénomène. Lorsque vous êtes sur le chemin d'un ouragan, vous êtes obligé de réfléchir différemment."

Image : Climate Matters

Malgré tout, les présentateurs météo sont ballotés par les forces et les idées politiques, comme nous tous. En début d'année, la météorologue Mish Michaels a été licenciée après avoir remis en question l'innocuité des vaccins et la réalité du changement climatique, selon un article paru dans The Boston Globe. Par la suite, elle a affirmé qu'elle n'était pas "climatosceptique".

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En 2016, moins de la moitié (46%) des présentateurs météo américains étaient convaincus par l'idée selon laquelle le changement climatique observé au cours des 50 dernières années était entièrement ou en partie dû aux activités humaines. 24% d'entre eux estimaient qu'à l'inverse, il "était entièrement ou en partie causé par des phénomènes naturels". 99% d'entre eux s'accordaient sur la réalité du changement climatique toutefois.

"J'évoque rarement le changement climatique de manière directe", explique David Finfrock, météorologue en chef chez NBC-5, à D Magazine. Il rappelle les contraintes attachées aux médias TV : les JT sont court et vont à l'essentiel. "Il est très difficile de rentrer dans les détails", ajoute-t-il. "Les réseaux sociaux sont plus souples. C'est là que je poste des données précises sur le changement climatique. À la télé, je n'en parle pas."

Les opinions des présentateurs météo américains évoluent rapidement. Un article de Maibach publié en 2017 rapporte que 80% d'entre eux s'accordent désormais sur le fait que le changement climatique est d'origine anthropique.

Il peut être difficile de trouver un équilibre entre exigence entre information et animation d'un format télévisuel. David Phillips, climatologue au sein de l'organisation Environment and Climate Change Canada, commente les événements météorologiques extrêmes dans les médias depuis de nombreuses années. "Aux États-Unis, les présentateurs météo ne peuvent pas se permettre d'apparaître comme 'partisans', ils ne peuvent pas prêcher en faveur du changement climatique", m'explique-t-il lors d'une interview téléphonique. "Ils doivent expliquer les phénomènes. Cet équilibre est très important". Phillips n'hésiterait pas à mentionner le changement climatique à la télévision s'il ne craignait pas de se faire des ennemis chez les environnementalistes, qui ne comprennent pas les contraintes avec lesquelles il doit composer. "Ils ne m'aiment pas parce qu'ils estiment que je ne suis pas assez clair, pas assez radical quand j'aborde le sujet."

"La plupart des Américains ne réalisent pas que les conséquences du changement climatique les attendent au tournant", ajoute Maibach. "Ils pensent que le problème intervient ailleurs, et que les principales victimes sont les ours polaires. Le fait est que le changement climatique se joue ici, maintenant, au coeur même de l'Amérique, et qu'il nous fait déjà du mal."