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On a demandé à des musiciens professionnels d'évaluer les morceaux composés par une IA

Une équipe de chercheurs britanniques a mis au point une IA qui génère de la musique traditionnelle irlandaise. Doit-on s'attendre à ce que des robots débarquent dans les pubs pour jouer du violon ?

L'intelligence artificielle a déjà prouvé à de nombreuses reprises qu'elle était en mesure d'effectuer des tâches répétitives de manière très efficace. Mais qu'en est-il de sa créativité, de sa fibre artistique ? Un groupe de chercheurs de l'Université Kingston et de l'Université Queen Mary de Londres ont tenté de répondre à cette question en programmant une IA qui compose de douces mélopées.

folk-rnn, l'algorithme de machine learning développé par les chercheurs, a été entrainé sur des milliers d'échantillons de musique irlandaise traditionnelle afin de produire des thèmes musicaux inédits. Selon Oded Ben-Tal, maître de conférences en technologies de la musique à l'Université Kingston, les résultats obtenus par l'équipe sont très impressionnants, et marquent sans doute un tournant dans l'histoire de la composition musicale : les humains et les machines peuvent désormais collaborer afin de créer des œuvres d'art.

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Le choix de la musique celtique repose sur des contraintes pratiques, explique-t-il. De fait, on en trouve des partitions de musique traditionnelle irlandaise en abondance dans le domaine public. « Pour pouvoir utiliser des méthodes de machine learning permettant de bâtir des modèles performants, nous avions besoin de grandes quantités de données », explique-t-il à Motherboard. Lui et son collègue Bob Sturm, maitre de conférences en médias numériques, ont pris la peine de nous expliquer leur projet en détail par email.

Pour leurs recherches, l'équipe a utilisé un répertoire public participatif de 23 000 partitions de musique traditionnelle en ABC, un langage informatique qui permet de représenter la musique en utilisant des lettres de A à G ainsi que des symboles.

D'un point de vue technique, la musique celtique est un genre musical particulièrement facile à modéliser par ordinateur, explique Sturm. « La collection de morceaux que nous avons utilisée possède une cohérence structurelle à plusieurs échelles de temps différentes, ce qui motive l'application des méthodes de modélisation statistiques », ajoute-t-il.

Une première version de folk-rnn, publiée en 2015, fonctionnait comme n'importe quel modèle de traitement du langage naturel, analysant les transcriptions ABC comme s'il s'agissait de textes rédigés, à la recherche de motifs récurrents et autres correspondances. Les données récoltées ont permis à l'algorithme de créer des mélodies originales. Dans sa seconde mouture, folk-rnn a gagné en raffinement et en efficacité.

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« J'ai été surpris de constater que plusieurs morceaux sonnaient vraiment irlandais. »

Ben-Tal et Sturm ont publié 3000 transcriptions générées par folk-rnn sous le titre « Sessions folk-rnn, Volume 1 à 10 ». Les versions synthétisées des morceaux créés par les différentes itérations de l'algorithme sont disponibles ici : « The Endless folk-rnn Traditional Music Session. »

Pour le moment, la qualité de la musique composée par l'IA a été évaluée par des musiciens humains exclusivement. « Au Royaume-Uni, il n'est pas difficile de trouver des gens qui jouent de la musique irlandaise », ajoutent Ben-Tal et Sturm. « Nous avons donc intégré des experts de ce genre musical à nos recherches, afin de mieux évaluer le comportement, le potentiel et la virtuosité de notre système. »

Motherboard a contacté le musicien et compositeur Daren Banarsë, qui a eu la chance d'examiner le premier volume des compositions de folk-rnn. « J'ai été surpris de constater que plusieurs morceaux sonnaient vraiment irlandais », raconte Banarsë par email. « Bien sûr, il a fallu que des humains interviennent pour retravailler les morceaux et les rendre plus convaincants. Mais certains étaient déjà parfaits, ou presque. Il n'y avait plus qu'une ou deux notes à modifier. »

Il précise que ce n'est pas parce que les morceaux étaient « parfaits » que le synthétiseur était en mesure de les jouer correctement. « En musique traditionnelle irlandaise, la partition n'est qu'une base sur laquelle s'appuyer, un squelette à partir duquel les musiciens vont improviser et interpréter le morceau », explique Banarsë. « Le musicien insuffle le style, le swing, l'énergie, tout ! Un synthé qui joue de la musique irlandaise, c'est abominable. »

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L'un des aspects les plus intéressants de la musique générée par ordinateur, ajoute Banarsë, c'est que « les erreurs » réalisées par l'algorithmes sont porteuses de nouvelles idées de composition. « Un morceau en particulier m'a beaucoup intrigué. La mélodie oscillait constamment entre le mode majeur et le mineur, de manière apparemment aléatoire. Stylistiquement parlant, ça n'allait pas. Pourtant, c'était très efficace, plutôt malin, et je n'aurais jamais eu l'idée tout seul. »

Ces dernières années, quelques entreprises et labos de recherche se sont aventurés dans le domaine nébuleux de la composition et de l'interprétation musicale par ordinateur. On peut citer par exemple le Projet Magenta de Google, qui vise à utiliser des machines pour « créer des œuvres d'art musicales originales ». Evidemment, comme toutes les activités où les IA interviennent ponctuellement, la crainte que les machines s'emparent de la production musicale en laissant les humains sur le carreau alimente déjà les débats.

Le travail de Ben-Tal et Sturm peut-il vraiment mettre les musiciens traditionnels irlandais au chômage ? Pour les chercheurs, c'est très improbable.

« Notre travail ne vise en aucun cas à remplacer les activités artistiques humaines par le travail d'un ordinateur », écrivent-ils. « Notre but, c'est de créer des systèmes artificiels capables d'augmenter la créativité musicale des humains. Ce seront des petits collaborateurs virtuels qui font des suggestions intelligentes et surprenantes, ouvrant de nouvelles possibilités, de nouvelles routes créatives. »

« En tant que compositeur, je ne m'inquiète pas une seconde pour mon avenir dans ce métier, » ajoute Banarsë. « Pourtant, la technologie progresse. Peut-être que je suis naïf. J'espère en tout cas qu'avant d'être obsolète, je pourrai adopter une IA comme assistante. Par exemple, je suis toujours rebuté par la composition d'une œuvre à grande échelle. Peut-être que je pourrais donner à l'ordinateur quelques paramètres - comme le nombre de musiciens, les émotions que je veux susciter, les noms de mes compositeurs préférés - afin qu'il me génère une structure de base. Je ne m'attends pas à ce qu'il produise un chef d'œuvre, mais ça sera déjà un bon début. Ensuite, je n'aurai plus qu'à me lancer. »