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Trop tard pour la neutralité du Net en Europe ?

La période de consultation publique sur la neutralité du Net dans l'Union Européenne se termine aujourd’hui.
Image: Flickr/Thijs ter Haar.

L'Europe n'a plus beaucoup de temps devant elle si elle veut sauver la neutralité du net.

Un mois après qu'un tribunal fédéral américain a établi des règles très strictes pour la protection du principe de neutralité du Net, selon lequel tout contenu ou service sur le web devrait être accessible de manière non discriminatoire, l'Europe a elle aussi considéré de prendre des mesures radicales en la matière.

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Une coalition d'éminents défenseurs d'un Internet ouvert et transparent, dont Sir Tim Berners-Lee, l'inventeur du World Wide Web, ont mis sur pied une campagne de la dernière chance et exhorté les responsables européens à résister à la pression de l'industrie des télécommunications et à renforcer la politique de neutralité du Net. En effet, la période de consultation publique sur le sujet se termine aujourd'hui.

« Préserver l'Internet ouvert est essentiel pour qu'il demeure un moteur de la croissance économique et un vecteur de progrès social. »

« La neutralité du réseau pour des centaines de millions d'Européens est à notre portée, » écrit Berners-Lee dans une lettre ouverte aux régulateurs européens. La lettre a également été signée par Lawrence Lessig professeur de droit à Harvard, et Barbara van Schewick, professeur de droit à Stanford ; tous deux sont des experts de politiques sur la technologie et défenseur de longue date de la neutralité du Net.

« Préserver l'Internet ouvert est essentiel si l'on veut qu'il reste un moteur de la croissance économique et un vecteur de progrès social, » écrivent-ils. « Il faut que le public s'adresse aux régulateurs pour exiger le renforcement de cette politique et une certaine intransigeance face aux aux tactiques de manipulation des opérateurs. »

À l'automne dernier, l'UE a adopté une loi, la Telecoms Single Market Regulation, qui est malheureusement bardée de failles juridiques permettant de contourner allégrement le principe de neutralité du Net.

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La loi autorise par exemple l'existence de « services spécialisés » qui pourraient utiliser des « voies d'accès rapides » en pay-to-play. Il s'agirait d'une énorme entorse à de la neutralité du net, puisque ces accès préférentiels créeraient une inégalité de traitement entre services : ceux qui peuvent se permettre de payer davantage pour un service prioritaire seront avantagés par rapport à ceux qui ne le peuvent pas.

Image: Flickr/Backbone Campaign.

« Les régulateurs doivent combler cette lacune en précisant que l'exception faite aux 'services spécialisés' ne peut pas être utilisée pour drainer du contenu Internet ordinaire, » expliquent Berners-Lee, Lessig, et van Schewick écrit. « Dans un monde où certains sites peuvent payer les opérateurs pour obtenir des accès prioritaires, les startups, les petites entreprises, les blogueurs, les artistes, les militants, et les citoyens européens en général seront lésés. »

La législation de l'UE laisse également la porte ouverte au « zero-rating, » une pratique qui permet aux entreprises de télécommunications d'exempter certains services des fameux « accords d'usage non abusifs » (qui limitent la quantité de données pouvant être transférée dans un laps de temps donné), incitant les consommateurs à utiliser certains services d'accès à Internet plutôt que d'autres, ce qui est encore une fois contraire au principe de neutralité du Net.

« Comme les voies d'accès rapides, le zero-rating rend certaines applications plus attrayantes que d'autres, » expliquent Berners-Lee, Lessig, et van Schewick. « L'Europe doit interdire le zero-rating, sans la moindre ambiguïté. »

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Comme aux États-Unis, les grosses sociétés de télécommunications européennes s'opposent vigoureusement à une législation visant à garantir la neutralité du Net.

La législation de l'UE est entrée en vigueur en avril, et le mois dernier, l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE), a sollicité la contribution du public pour déterminer selon quels principes serait appliquée la loi. Berners-Lee et ses collègues exhortent les partisans de l'Internet ouvert à contacter les organes de réglementation de l'UE et à faire pression sur eux afin de s'assurer que les failles de la législation seront rapidement comblées.

Comme aux États-Unis, les grosses sociétés de télécommunications européennes s'opposent vigoureusement à une législation visant à garantir la neutralité du Net, et font du lobbying auprès des régulateurs européens afin s'affaiblir davantage la loi.

La semaine dernière, une douzaine de géants des télécoms européens ont menacé de ne pas investir dans la prochaine génération de réseaux mobiles 5G si les principes de la neutralité du Net n'étaient pas assouplis dans l'UE.

Image: Wikimedia Commons.

« L'industrie des télécommunications met en garde l'UE ; sa politique actuelle pour garantir la neutralité du réseau tel que présentée par l'ORECE crée une incertitude importante autour de l'investissement sur la 5G, » écrit la direction du BT Group, de Deutsche Telekom, Orange et autres opérateurs dans un manifeste. « Les investissements sont susceptibles d'être retardés, sauf si les régulateurs adoptent une attitude plus positive à l'égard de l'innovation, et s'y tiennent. » Il s'agit bien sûr d'un chantage éhonté.

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Les défenseurs d'un Internet ouvert affirment que la neutralité du Net est essentielle pour ménager un environnement virtuel favorisant l'innovation et la croissance économique. Il n'est donc pas surprenant que nombre d'investisseurs européens et d'entrepreneurs soient en faveur de garanties fortes pour protéger la neutralité du Net dans l'UE.

Factory Berlin, un incubateur de start-up basée au cœur de la capitale allemande, est particulièrement actif dans l'organisation d'une coalition d'entrepreneurs européens autour de la campagne pour la neutralité du Net. Le groupe a été alarmé quand Timotheus Höttges, le PDG de Deutsche Telekom, a lancé l'idée d'un modèle de « partage des revenus » dans lequel les start-up payeraient « quelques deniers » afin de recevoir « une garantie d'une transmission de données de bonne qualité. »

« Nous pensons que les données et l'accès aux données fait partie du droit commun, et que le capital ne devrait pas avoir d'influence sur ce droit ; les entreprises ne doivent pas pouvoir décider de qui voit quoi, et à quel moment, sur le web, » expliquent les dirigeants de Factory Berlin dans un communiqué, ajoutant que la proposition de Höttges « revient à ce que votre fournisseur d'électricité vous demande de lui verser un revenu supplémentaire juste parce que vous faites un usage pertinent du CPU de votre ordinateur portable. C'est du vol. »

Les défenseurs d'un Internet ouvert craignent que la campagne de lobbying de l'industrie des télécommunications européenne soit couronnée de succès. La semaine dernière, Günther Oettinger, le commissaire européen à l'économie numérique et à la société, qui est en charge du dossier sur neutralité du Net, publié le manifeste 5G sur le site Web de la Commission européenne, et en a fait l'éloge sur Twitter.

« Nous, les utilisateurs ordinaires d'Internet, ne disposons pas de moyens de pression comparables à ceux des lobbyistes, » expliquent Berners-Lee, Lessig, et van Schewick. « Cependant, nous représentons des millions d'Européens, de startups, d'investisseurs, de petites entreprises, de militants, d'ONG, de blogueurs, d'artistes, nous avons connu la puissance d'un Internet ouvert, et nous voulons la protéger. »