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Dieu entend-t-il les prières en réalité virtuelle ?

On ira tous au paradis, avec un Oculus Rift sur le nez.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les religions se portent plutôt bien et la proportion d'athées, d'agnostiques et de personnes non affiliées à une religion devraient continuer à décroître dans les prochaines décennies. Même si les données démographiques sur les religions et la religiosité sont toujours à prendre avec des pincettes, on peut être certain que la foi constitue toujours un marché juteux.

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Avec les années, les vendeurs de sacré ont dû se renouveler considérablement. Il est bien loin le temps béni des coques de smartphone Notre-Dame de Lourdes, des kits à communion instantanée et des échantillons de terre de Jérusalem. Il était grand temps de suivre l'exemple du Saint-Esprit et d'abolir la matérialité grâce aux nouvelles technologies.

Vous vous êtes peut-être déjà émerveillés devant le guide de la miséricorde sur Internet ou l'application Hosana qui permet de prier avec ses amis et de mutualiser les requêtes au Très-Haut. Malgré le succès de la House of Prayer, l'église chrétienne de Second Life, de LifeChurchTV ou encore du baptême virtuel, les institutions religieuses traditionnelles commencent tout juste à réaliser le potentiel de la technologie pour convertir, rassembler les fidèles et rendre grâce à la divinité (citons l'exemple récent du Buddha bot). Pourtant, c'est certains, les débats théologiques sur le bien-fondé des églises virtuelles nous attendent au tournant.

Comme toujours, le New Age a un temps d'avance sur les grandes religions en matière de rapprochement du sacré et du virtuel, comme le prouve le projet d'Auriea Harvey et Michaël Samyn du studio Tale of tales. Le couple souhaitait adapter la pratique de la contemplation au support numérique, et notamment à la réalité virtuelle. Grâce à une campagne Kickstarter réussie en 2005, ils sont en train de développer Cathedral in the Clouds, un projet de cathédrale en réalité virtuelle permettant d'admirer l'art religieux inspiré par la Renaissance et l'architecture gothique, tout en profitant d'un espace spirituel immersif facilitant l'accès au sacré.

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« À partir de maintenant, l'espace céleste ne sera plus peuplé des chants des chérubins et des séraphins, mais résonnera du tumulte des moteurs de vaisseaux spatiaux se préparant au saut dans l'hyperespace. »

Il est bien loin le temps des heures de recueillement immobiles sur des prie-Dieu austères. Si la culture chrétienne avait tendance à promouvoir l'introspection, la privation sensorielle et l'isolement pour accéder au divin, ici, c'est l'exaltation des sens par l'intermédiaire de la réalité virtuelle qui est privilégié. Auriea et Michaël ne pratiquent aucune religion ; cependant, ils sont convaincus que « l'art sacré nous permet de contempler notre existence à l'échelle cosmique, » et qu'il est possible de « considérer la mythologie chrétienne de la même façon que la mythologie gréco-romaine, c'est-à-dire comme un ensemble de récits et de métaphores dont la force symbolique est immense. » Ils espèrent que les croyants trouveront dans cette cathédrale un lieu à la hauteur des édifices religieux en pierre dure qui parsèment la vieille Europe.

Selon les développeurs de Tale of Tales, baptisé en hommage au recueil de contes de Giambattista Basile, le temple est avant tout une image du monde, et il n'est pas nécessaire qu'il existe de manière matérielle pour remplir sa fonction. Ils n'hésitent pas à faire référence au philosophe Jean Hani pour appuyer leur idée : « L'autel chrétien dérive sa beauté de sa conformité avec l'archétype de la Jérusalem céleste. » Autrement dit, pas besoin de passer 300 ans à élever des voûtes à croisées d'ogives qui seront détruites à la prochaine guerre, une bonne église est avant tout un édifice dont la structure épouse les symboles qui vont bien. Et l'Oculus Rift permet désormais de bâtir une œuvre millénaire en quelques mois à peine grâce au crowdfunding.

« La Cathédrale dans les nuages est un objet sacré qui peut être transporté partout dans l'éventualité d'un besoin urgent de contemplation, » expliquent Auriea et Michaël dans la présentation de leur jeu au Club Innovation et Culture français. Ils sont néanmoins bien conscients que le fait de porter un lourd casque de réalité virtuelle sur le nez peut provoquer un inconfort limitant quelque peu l'accès au sacré. « La religion a toujours son lot de contraintes. Se dépêtrer du matériel de RV constituera une sorte de pèlerinage vers notre cathédrale, » rétorquent-ils.

Le plus étonnant dans ce projet, ce n'est pas tant les représentations de saints sous formes de dioramas virtuels, mais bien l'utilisation récurrente du mot « cyberespace, » que l'on croyait enterré pour toujours depuis la fin des années 90 suite à un accord tacite international. Apparemment, il vit toujours. Le crédo de Tale of Tales est inspiré de la journaliste Margaret Wertheim dans son ouvrage The Pearly Gates of Cyberspace : « À partir de maintenant, l'espace céleste ne sera plus peuplé des chants des chérubins et des séraphins, mais résonnera du tumulte des moteurs de vaisseaux spatiaux se préparant au saut dans l'hyperespace. »

Ce type de fusion entre futurisme, psychédélisme, art et spiritualité nous ramène trente ans en arrière, du temps où la réalité virtuelle était associée au dépassement de la perception ordinaire et à de nouveaux modes d'existence. En bon techno-hippies, Auriea et Michaëls sont persuadés que la réalité virtuelle incarne parfaitement les concepts d'éternité et de vie après la mort, et que le cyberespace est une sorte d'équivalent numérique du paradis. Sera-t-on un jour débarrassés desutopies des années 80 ? Pas avant la prochaine décennie, pour sûr.

En attendant, si la fusion entre réalité virtuelle et syncrétisme spirituel ne vous inspire pas, vous pouvez toujours faire du tourisme dans la cathédrale d'Amiens en slip sur votre canapé. La fusion entre Jésus, Matrix et Gaïa pourra bien attendre encore un peu.