J’ai travaillé comme forain pendant un été

Avec ses manèges chambranlants, ses jeux d'adresse louches et son ambiance sonore des plus caractéristique, le carnaval ambulant communément appelé fêtes foraines roule sa bosse depuis plusieurs décennies au plus grand malheur de votre portefeuille.

Oui, la principale mission de l'endroit est de vous faire vivre des moments magiques dans une ambiance des plus festives… mais tout en vous soustrayant le plus d'argent possible. La seule véritable magie à laquelle vous aurez la chance d'être confronté sera la vitesse à laquelle les dollars peuvent disparaître de vos poches.

Incursion dans la vie de Golden, un maître des jeux d'adresse qui s'est déplacé dans 16 villes différentes le temps d'un été.

VICE : À quoi ressemble la vie du forain typique?

Golden, surnom qu'il s'est fait attribuer pour aucune raison valable et que nous avons décidé de conserver : On vit dans des roulottes aménagées avec des lits qui sont littéralement séparés par des murs en carton. L'espace dans chacune des chambres est équivalent à la largeur de deux lits simples collés. Disons que le concept d'intimité est totalement différent, pas moyen de faire l'amour, à part peut-être le missionnaire. Sinon, oublie ça.

Était-ce les seules installations auxquelles vous aviez accès?

Non, quand même. Il y avait des toilettes chimiques. Quand on était chanceux, il y avait des toilettes accessibles dans les centres d'achat où nous nous arrêtions pour la semaine. Autrement il y avait les douches de nos roulottes qui étaient malpropres la moitié du temps. On avait aussi des laveuses et des sécheuses.

Comment se passaient vos semaines?

Chaque lundi, on déménage vers une nouvelle ville puis on s'assure de réinstaller l'ensemble des manèges, des jeux d'adresse et nos roulottes. Ensuite, on s'organise pour aller faire l'épicerie et faire le lavage du linge qu'on a porté toute la semaine parce que c'était notre seul moment possible pour le faire.

Une fois ces choses faites il y avait quelque temps mort où l'on se trouvait des cafés avec un accès à internet. Autrement on était à temps plein dans nos roulottes. Disons que c'était exigeant en termes d'horaire. Nos vacances étaient les déplacements entre les villes.

Est-ce vraiment possible de réussir les jeux d'adresse?

Au contraire, tous les jeux peuvent être réussis et de manière relativement simple dans la majorité des cas. Par contre, on contrôle une bonne quantité d'éléments pour nous éviter de nous faire scorer. On pouvait arrêter les parties quand on le voulait, évoquer de nouveaux règlements lorsque les clients étaient en voix de gagner ou même faire perdre les clients malgré leur victoire. Scorer c'est quand le client réussit le jeu en dépensant moins qu'il devrait habituellement pour gagner un toutou.

Donc il n'y a pas de prix fixe pour participer aux jeux?

Oui, dépendamment de la grosseur des toutous le prix de base pour une game pouvait être de 5, 10, 15 ou 20 $. Par contre, ce qui faisait la norme c'était de sortir les toutous au moins quatre fois plus chers que le prix coûtant.

Tu sais, j'ai déjà vu un gars qui a dépensé 400 $ pour avoir trois de nos plus gros toutous. Il y a aussi la fois où on m'avait mis au défi de sortir une peluche de singe vert-turquoise pour un bon prix. C'était une des choses les plus hideuses que je n'avais jamais vues. À la base, le singe avait une valeur de 2,50 $ et je l'ai laissé partir après avoir récolté 80 $.

Comment est-ce possible que des personnes dépensent autant d'argent pour des toutous?

Pour y arriver, on s'assurait d'expliquer les consignes de nos jeux sans trop entrer dans les détails. De cette façon, si jamais le client était talentueux et réussissait le défi avant d'avoir dépensé quatre fois le prix de la récompense, on se permettait d'inventer des règlements superflus! Et t'sais, pour gagner l'équivalent du salaire minimum, tu devais rentrer 100 $ bruts chaque deux heures, alors on ambitionnait un peu.

Et ça fonctionnait?

Toujours. Je n'ai jamais eu de contestation face aux règlements que je donnais, même si je les mentionnais après une victoire. Autrement ce qui fonctionnait à tout coup c'était de faire des « deals » avec nos clients.

Souvent après avoir dépensé 80-100$, les clients voulaient arrêter de jouer alors ce qu'on faisait habituellement; on jouait la game de la boss qui était tout près et on disait au client : « Donne-moi 40 $ et je te donne le toutou comme si tu avais gagné! Je ne suis pas censé faire ça, c'est un deal juste entre nous deux. »

Étiez-vous tous aussi manipulateurs?

J'étais loin d'être le pire, tu sais. Les gars des manèges sont des phénomènes. Avec eux, c'était un peu la folie. Ces gars-là étaient loin d'être les personnages les plus reluisants que tu pourrais croiser dans ta vie, mettons.

Imagine des gars tout frêles, la tête penchée par en avant sur la grosse drogue. Ça correspond pas mal à la description type du gars des manèges. Ils n'étaient pas méchants, mais disons qu'ils ne menaient pas la même vie que la majorité d'entre nous. Le soir, c'était un peu la folie. Les gars des manèges étaient toujours en train d'errer un peu partout. Ça s'engueulait, tout le monde était saoul et gelé comme des balles.

Avez-vous déjà eu des problèmes avec les autorités?

Les gars des jeux d'adresse et moi, non. Eux, oui. C'était prévisible dû au fait qu'ils étaient tous « pushers » pour arrondir leurs payes du carnaval - weed, hash, speed. Nomme-le, tu risques de pouvoir trouver quelqu'un parmi les gars des manèges pour t'en fournir. D'ailleurs après quelques semaines, j'ai remarqué qu'ils avaient leur réseau déjà bien établi. Chaque semaine et pratiquement chaque journée, il y avait des personnes qui débarquaient au carnaval en demandant un des gars des manèges. On savait très bien pourquoi ils étaient là.

En plus, la plupart d'entre eux avaient un mandat d'arrêt à leurs dossiers, donc on s'assurait de ne pas trop poser de questions. Souvent, la réponse à nos questions nous apparaissait sans qu'on l'ait demandé. À deux reprises durant l'été des gars se sont fait arrêter et on finissait par les voir réapparaître quelques semaines plus tard, ne sachant pas trop comment ils avaient fait pour revenir intégrer le carnaval.

Penses-tu retourner parcourir le Québec dans un carnaval l'été prochain?

J'crois pas. C'était tellement difficile. Quand il pleuvait et qu'il n'y avait pas de client! On ne se faisait pas d'argent et on se faisait chier dessus. J'étais plus capable de me faire insulter. Ça me faisait tellement chier je virais agressif et je finissais par envoyer chier les clients et c'était un cercle vicieux.

Par contre, j'ai définitivement fait plus d'argent durant cet été-là que j'aurais pu en faire dans une autre job, mais pas conséquemment au nombre d'heures que j'ai faites. C'est du sept jours/semaine. Ta vie, c'est le carnaval.

Merci Golden