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Aliens, démons et tentacules : bienvenue dans le monde des machinimas pour adulte

Comment des anonymes utilisent les moteurs graphiques de jeux vidéo pour créer d’étranges vidéos hardcore, entre délire geek et assemblage de cultures X.

Dans un décor désert et idyllique, ambiance vestiges antiques et mer azur, Lara Croft est allongée sur le dos, nue, jambes écartées. Seul son léger râle trouble le silence. Puis, le souffle d’un cheval. Léger travelling vers le haut, qui accompagne le regard anxieux de Lara. Face à elle, l’immense sexe en érection de l’animal. Inutile d’en dire plus sur la suite : vous vous en doutez.

Cette vidéo, intitulée « Lara with horse », totalise plus de 1 660 000 vues. Un score qui ne ferait pas rougir un youtubeur aguerri. Mais évidemment, pas question de zoophilie sur la plateforme de Google. « Lara with horse » est la plus regardée d’un site pornographique d’un genre un peu particulier : « Naughty Machinima », sous-titré « des films érotiques issus de jeux vidéo ».

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Désormais délaissé, le machinima a pourtant connu des heures de gloire. Mot-valise formé des termes « machine » et « cinéma », ce néologisme désigne un genre cinématographique qui se sert des moteurs graphiques de jeux vidéo pour créer ses propres histoires. « Il est apparu à la fin des années 90, à partir du moment où les développeurs ont commencé à donner la possibilité d’enregistrer des parties », raconte Isabelle Arvers, commissaire d’exposition et spécialiste du genre.

De là, les joueurs ont voulu partager en ligne leurs meilleurs speedruns — mais aussi créer des histoires. La technique de base est très simple : elle consiste à capturer des séquences de jeu, puis à éditer les vidéos obtenues en ajoutant les éléments voulus — de la musique, des dialogues ou des sous-titres, par exemple. Le résultat est une unité narrative bien différente du jeu d’origine. Jusqu’à voir ce travail — bien artisanal — facilité : « Très rapidement, les éditeurs de jeux y ont vu un gameplay émergent et ont commencé à intégrer des outils pour faire des films », dit Isabelle Arvers.

À l’époque, c’est Machinima.com — avant son rachat par les frères DeBevoise, entrepreneurs, et sa transformation en site commercial — qui défriche, publie un bon nombre de créations. Et leur offre une visibilité accrue. À mi-chemin entre avant-garde artistique et private joke de gamers, le succès est rapide : en 2002, le machinima a son premier festival en banlieue de Dallas, au Texas, et en 2005, Isabelle Arvers est l’une des premières à importer le genre en France avec une exposition au centre Pompidou, à Paris. Elle se souvient : « Il y a dix ans, la chaîne YouTube de Machinima.com était même devenue la plus regardée de la plateforme ! »

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Bill et John, court-métrage machinima français de 2004, réalisé avec le jeu Lock On : Modern Air Combat et sélectionné en 2005 au Machinima Film Festival.

C’est un peu avant les années 2010 que le genre se démocratise. En cause, l’arrivée des jeux en réseaux — tels que Second Life — qui permettent aux joueurs de s’enregistrer à plusieurs simultanément, pour faciliter le montage, complexifier le scénario et diversifier les angles de prises de vue. Mais surtout, les machinimas ne se font plus que directement dans le monde du jeu. La révolution est double. D’un côté, il y a les mods ; de l’autre, des logiciels spécifiques sont développés : Moviestorm, qui permet la réalisation de films d’animation, ou Source Filmmaker, outil de création 3D distribué par le studio américain de développement de jeux vidéo Valve, connu pour le FPS Half-Life.

Halo, Les Sims, Grand Theft Auto… Tous les jeux populaires y passent. Et forcément — règle 34 d’Internet — « si ça existe, il y a du porno à ce sujet. » D’où l’apparition de vidéos comme « Lara with horse ».

« Souvent, produire du plaisir dans le porno passe par la transgression d’une norme, en jouant avec les frontières morales de son public. En l’amenant aux frontières du dégoût ou de la honte », explique Florian Vörös, sociologue spécialiste des cultures pornographiques. Si on connaît l’engouement porno qu’a suscité le jeu Overwatch en 2016, on sait moins ce qu’il en est du reste. Car les machinimas porno exploitent toutes les possibilités offertes par le jeu et par l’animation 3D pour mettre en scène des délires complets. « C’est tellement de travail », raconte le créateur Zio Yumako sur un forum de fans de Second Life. « Mais je le fais pour l’amour de l’animation (et du porn). » Pourtant, même parmi les fans de jeu vidéo, certains y sont réfractaires. Par exemple, sur le forum d’Edgeworks Entertainment, un studio de production de machinimas, un internaute se demande si le porno machinima est plutôt « pervers » ou « effrayant ».

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Il est vrai que nombre de ces productions tournent autour de la zoophilie ou de rapports sexuels avec des démons, des aliens, des robots et autres personnages de jeu vidéo. Le tout souvent baigné dans la culture hentai, avec tentacules, seins surdéveloppés ou futanari – des femmes dotées d’un pénis surdimensionné.

Dans une « revue critique » de sites porno, ThePornDude explique son attrait pour ces vidéos : « Il y a des meufs avec des seins bien trop gros, qui peuvent se contorsionner dans des positions qu’une vraie fille ne serait pas capable de réaliser. Les queues sont toujours dures, et les chattes jamais sèches. C’est un genre amusant. » En fait, se balader sur un site comme Naughty Machinima, c’est avoir un aperçu de toute la culture geek — de la plus populaire à la plus sombre — des vingt dernières années. En quelques clics, vous tomberez nez-à-nez avec un porno furry — des animaux anthropomorphes — sur Second Life, une Draeneï — créature humanoïde du jeu World of Warcraft — en plein gang bang avec trois raptors, ou encore l’héroïne Samus Aran au lit avec un Metroid, une race d’aliens qu’elle combat dans le jeu éponyme.

Capture d’écran de la vidéo Shawnie’s Diary 2 - SL Furry

Des réalisations cryptiques parfois choquantes — ce dont les créateurs sont sûrement conscients car, malgré une trentaine de demandes, aucun n’a souhaité nous répondre. Pour Florian Vörös, cette surenchère n’a rien d’étonnant : « Le porno se caractérise par une mise en scène excessive des corps, et repose sur le fait d’aguicher le public avec du spectaculaire. Recourir à la 3D permet ainsi d’accrocher le regard. De toute façon, sur Internet, la pornographie est une performance. »

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Preuve de la diffusion de l’esthétique 3D : les tubes proposent tous des tags « animation », souvent mis en valeur dans des fenêtres pop-up publicitaires. Le sociologue se désole tout de même : « C’est très pauvre en termes de représentations : ce sont souvent des contenus très « warrior », de la fantasy bourrine, des orques… Alors qu’il existe des fictions beaucoup plus délirantes que cela. » Quoiqu’il en soit, les machinimas X, quand ils sont uploadés sur les sites pornographiques les plus connus, enregistrent des centaines de milliers de vues — parfois des millions.

C’est le cas de « Lara in trouble », court-métrage mettant — encore — en scène l’héroïne de Tomb Raider. Ce machinima de 17 minutes, réalisé par les Américains du Studio FOW grâce à une campagne de crowdfunding à 6 000 dollars, est sorti sur Internet en 2014. S’appuyant sur la scène polémique d’agression sexuelle du jeu paru en 2012, le film met en scène une série de viols. Et contrairement à des vidéos comme « Lara with horse », il s’agit ici d’une production professionnelle.

Depuis, Studio FOW, qui se présente comme « un groupe d’animateurs 3D qui produit un contenu sale, pervers et dégoûtant que personne ne devrait regarder », s’est taillé une réputation dans ce milieu confidentiel en proposant du contenu « avec les fétichismes que vous voulez voir ». La ligne est claire : « Nous transformons les plus belles filles du gaming en pornstars animées cochonnes, dans des vidéos au style mindbreak [dans le hentai, le fait de soumettre un partenaire jusqu’à le briser mentalement pour en faire un esclave, NDLR] / hardcore. »

Capture d’écran de la vidéo Lara in trouble

Un genre extrême ? Pour Fred Pailler, doctorant en science de l’information et de la communication à l’université de Nantes, avec les machinimas, il faut mettre cette notion en question. « Dire que c’est « extrême », c’est à la fois dire que ce n’est pas commun, pas normal, et pas légal. Ça peut aussi impliquer de la violence », explique-t-il. « Les discours anti-porno ont toujours dit que la pornographie était « extrême » pour en dénoncer l’aspect systématiquement violent — même lorsque les scènes décriées montrent des éléments plutôts communs et consentis par les acteurs et actrices. L’industrie du porno, à son tour, s’est souvent vendue comme « extrême » — pour le caractère sensationnel et sulfureux de l’étiquette. »

Mais avec les images synthétiques des machinimas, la donne est différente. « L’argument de la violence filmée, documentée — qu’elle soit répulsive ou attractive — s’effrite considérablement puisque « c’est virtuel et, forcément, faux » : la mise en scène est alors obligatoirement de l’ordre de la fiction, du délire. » Il n’empêche : ne pas avoir besoin du consentement des personnages n’interdit pas de réfléchir à la façon dont on le représente à l’écran.

Hardcore ou non, à l’heure actuelle, plus de 20 000 vidéos machinimas porno ont été publiées rien que sur Naughty Machinima — c’est-à-dire sans compter tous les autres sites porno. Business de studios d’animation ou sous-culture geek ? Les deux, mon capitaine. Mais toujours avec un supplément fandom furry.