Cuisiner le lait de kangourou est officiellement la plus mauvaise idée du monde

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Cuisiner le lait de kangourou est officiellement la plus mauvaise idée du monde

À la base, le lait de marsupial en poudre était destiné aux bébés koalas ou kangourous. Mais un chef néo-zélandais a quand même insisté pour en faire un dessert.

Au début des années 2000, chaque adresse un peu haut de gamme qui se voulait « branchée » se devait de proposer de la mousse dans son menu. Un responsable ? Ferran Adrià, grand chef espagnol et chimiste amateur, qui avait accouché du concept dans les cuisines d'El Bulli : tout ce qui pouvait être liquéfié au point d'atteindre un degré de viscosité suffisant pour retenir des bulles d'air était passé au siphon avant d'être servi aux clients.

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La mode des espumas est aujourd'hui considérée comme une caricature de la cuisine moléculaire. Adrià regrette d'ailleurs que tout le monde (mais surtout les participants d'Un dîner presque parfait, leur siphon tout neuf et leur sauce grumeleuse) ait fait de cette technique un symbole : « Il y a beaucoup d'autres procédés qu'on a développés avec beaucoup de succès. » Peut-être, mais c'est le seul assimilé par les participants d'Un dîner presque parfait.

La mousse a un véritable atout en cuisine : elle permet de mettre en valeur une saveur en particulier sans l'altérer ou la camoufler. Comme Adrià l'expliquait en mars dernier au journal canadien The Star, en injectant des bulles d'oxyde nitreux dans un ingrédient « on pouvait créer des mousses très aériennes, avec uniquement le goût du produit choisi ». C'est un réel avantage quand on veut tester une saveur inédite et totalement sous-utilisée… comme le lait maternel de marsupiaux australiens, kangourous, koalas ou wombats, par exemple.

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À Adélaïde en Australie,

une entreprise baptisée Womabaroo

propose du lait en poudre (une reproduction artificielle réalisée à partir d'échantillons), pour les zoos et les refuges animaliers. Sur le papier, ce lait est principalement composé de

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avec une dose bien chargée en protéines et en graisses. Une petite sélection de vitamines et de minéraux a aussi été ajoutée pour la forme.

C'est que le produit vise exclusivement un type de consommateurs : les bébés marsupiaux. Ce qui n'a pas empêché quelques curieux de se pencher sur la question. Parmi eux, Pierre Roelofs, grand nom de la scène pâtissière australienne.

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Roelofs vient de Nouvelle-Zélande. Il a fait ses classes en Suisse puis dans des restaurants étoilés en Angleterre et en Espagne. À présent, il organise des soirées au Café Rosamond à Melbourne où les convives peuvent déguster trois services de desserts. Il est connu pour faire des trucs complexes et de nombreuses expérimentations.

Lors de notre première conversation téléphonique, Roelofs avait souligné : « C'est vrai que j'aime surprendre les gens. Mais je suis un peu plus vieux et sage maintenant donc j'essaye de les intéresser plutôt que de les choquer. » J'étais persuadé qu'il pouvait faire un truc intéressant avec ce lait pour mammifères à poche abdominale et il a finalement cédé. « Ok, d'accord, je teste. »

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Je suis allé déposer le lait en poudre chez lui et on s'est retrouvé une semaine après pour un bilan. « Je ne voulais pas masquer la saveur naturelle de ce lait, donc je l'ai préparé de manière assez neutre. Pour obtenir une mousse, il faut simplement un liquide assez gras ou bien lui ajouter une autre substance qui puisse retenir les bulles de gaz, comme de la gélatine. Ce lait est déjà assez riche donc je n'ai pas eu besoin d'en ajouter. Je l'ai utilisé tel quel, avec un peu de sucre en plus. Je me suis dit que moins j'en faisais et plus le résultat allait être meilleur. »

Roelofs a donc dissous la poudre dans un peu d'eau chaude avant de l'allonger avec un litre d'eau froide. Il a ensuite ajouté 140 g de sucre en poudre, histoire d'en faire un dessert, et il a mis le tout dans un gros siphon qu'il a rangé trois heures au frigo. « Toutes les demi-heures je venais le secouer un peu pour que le mélange soit bien souple et aéré. »

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L'utilisation principale que Roelofs fait de la mousse lors de ses petites sauteries sucrées est de venir combler l'attente entre les desserts principaux. Il explique que « ça nettoie le palais avec de légères notes fruitées. C'est une sorte d'entre-plats que je sers souvent dans de très longs verres. » Et notre expérience n'a pas fait exception : « J'ai versé la mousse obtenue dedans dès qu'elle était suffisamment froide pour prendre, et j'ai fait quelques photos. »

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Aucun client prêt à dépenser son argent pour goûter les créations de Roelofs n'a testé cette espuma de lait de wombat ou de kangourou, mais le chef a partagé son ressenti sur Instagram : « On peut au moins dire que c'était marrant. » Mais surtout, ce qu'on veut savoir, c'est si ça a bon goût. « Non, pas tellement », a-t-il avoué.

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Oh. Zut.

« Je pense que mon préféré est le lait de koala, mais c'est plus sentimental qu'objectif. Franchement, ils avaient tous à peu près le même goût. » C'est-à-dire ? « Assez musqué je dirais, et boisé, et un peu métallique. » Ah, musqué ? « Âcre. Voilà, c'est le mot idéal. C'était vraiment pas super agréable en bouche. »

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Est-ce qu'il voudrait un jour retenter l'expérience ? « Je pense que si j'étais obligé de m'en servir à nouveau, j'essayerais de camoufler le goût avec un peu de crème et peut-être aussi de la vanille. Quoi que ce soit qui puisse enlever ce goût animal très fort. »