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L'étrange histoire de l'alunissage soviétique de 1959

En 1969, l'équipage d'Apollo 11 fut le premier à poser le pied sur la Lune. Mais dix ans plus tôt, les Soviétiques avaient ouvert la voie grâce à Luna 2.
Animation représentant la descente de Luna 2. GIF: Nick Stevens/YouTube

Le 20 juillet 1969, la NASA est entrée dans l'Histoire quand elle a permis aux premiers hommes d'atterrir à la surface de la Lune. Ce voyage incroyable, entrepris par l'équipage d'Apollo 11, est généralement considéré comme l'apogée de la course à l'espace entre les Etats-Unis et l'Union soviétique.

Mais dix ans plus tôt, en 1959, le programme spatial soviétique était clairement en avance sur la NASA. Et le 14 septembre de cette année-là, l'URSS réussit l'un des plus grands coups de l'histoire du voyage interplanétaire en faisant entrer en contact son engin spatial Luna 2 (ou Lunik 2, selon les traductions) avec le sol lunaire.

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C'était la toute première fois qu'un objet fabriqué par l'Homme touchait la surface d'un autre monde, et une étape cruciale en vue d'envoyer des équipages humains vers la Lune. Pendant des milliers d'années, les hommes avaient du se contenter de regarder notre satellite naturel de loin, et Luna 2 venait de prouver que sa surface était désormais à notre portée.

Le gouvernement soviétique fêta immédiatement cette victoire par une annonce radio qui interrompit les programmes de la radio d'Etat, qui diffusait à ce moment-là de la musique classique.

"Attention, ici Moscou, dit l'annonceur, à la "voix grave" selon le New York Times. Aujourd'hui, le 14 septembre à 00:02:24, heure de Moscou, la deuxième fusée spatiale soviétique a atteint la surface de la Lune. C'est la première fois dans l'Histoire qu'un vol spatial a été réalisé entre la Terre et un autre corps céleste."

La réaction initiale des Américains fut teintée d'incrédulité. Luna 1, la première "fusée spatiale" que les Soviétiques avaient tenté d'envoyer sur la Lune, avait raté sa cible de 5995 kilomètres, même si la sonde en question était tout de même devenue le premier appareil à quitter la gravité terrestre pour se mettre en orbite autour du Soleil.

Quoi qu'il en soit, les scientifiques américains avaient espéré que l'échec de Luna 1 soit une preuve que les systèmes de guidage soviétiques fussent incapables d'atteindre une cible en mouvement telle que la Lune.

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La NASA elle-même rencontrait des difficultés sur ce plan, mais il faut dire que l'agence n'avait été fondée que l'été précédent, en réponse à la crise du Spoutnik. Elle peinait à se remettre d'une série d'échecs publics, parmi lesquels l'explosion de la rampe de lancement de Vanguard 1 en 1957, censée être la réponse américaine au Spoutnik. Le projet se trouva par la suite affublé de sobriquets embarrassants tels que "Flopnik" ou "Kaputnik".

Mais les doutes initiaux concernant le succès soviétique se dissipèrent rapidement quand des chercheurs britanniques de l'observatoire de Jodrell Bank interceptèrent les dernières transmissions de Luna 2 avant sa collision avec la Lune, et confirmèrent leur authenticité. On ignore exactement où elle s'est écrasée, mais la sonde a pu transmettre de véritables données tout au long de sa descente fatale vers le Palus Putredinis, une mare lunaire.

La presse soviétique, qui établit rapidement un lien entre le succès de la sonde et celui du communisme

Comme Spoutnik, Luna 2 était de forme sphérique et équipée de plusieurs antennes. La charge utile contenait des compteurs Geiger, des détecteurs de radiation et de micrométéorites, et un magnétomètre. Ces instruments avaient pour mission de cartographier la ceinture de radiations de Van Allen qui entoure la Terre, et de déterminer si la Lune était elle-même encerclée de particules magnétiquement chargées (ce qui n'est pas le cas).

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Luna 2 fit aussi preuve d'un certain sens du spectacle en libérant un nuage de sodium gazeux en orbite le 13 septembre. Ce nuage de fumée aida les observateurs à suivre la trajectoire de l'appareil, tout en leur offrant une opportunité d'étudier la dissipation d'un gaz dans le vide spatial.

Mais la plus grande réussite scientifique de la sonde fut bien évidemment sa collision avec la Lune. Les véritables atterrissages (sans s'écraser) sur d'autres corps célestes ne débutèrent qu'en 1966, du fait d'un autre appareil du programme Luna qui alla sur la Lune ; on mesure donc combien ce premier contact historique, même si la sonde fut détruite, représenta un succès colossal pour le programme spatial soviétique.

Le timing de la mission était absolument parfait pour Nikita Krouchtchev, qui devait arriver à Washington le 15 septembre, soit le lendemain de l'impact, pour un voyage officiel aux États-Unis.

Le voyage fut émaillé de quelques accrocs - Krouchtchev fut par exemple très énervé qu'on lui interdise l'accès à Disneyland -, mais l'un des meilleurs moments pour lui fut celui où il offrit au président américain Dwight Eisenhower des répliques des sphères en acier ornées de symboles soviétiques que Luna 2 avait éjectées à la surface de la Lune juste avant de s'y écraser.

Réplique de l'une des sphères soviétiques éjectées par Luna 2 à la surface de la Lune. Image: Patrick Pelletier

Les sphères étaient ornées du blason soviétique et des lettres "URSS" en cyrillique, ainsi que de la date de lancement de Luna 2. Comme beaucoup des échanges entre les leaders américains et soviétiques au cours de la Guerre Froide, le geste semble relever autant de l'amitié sincère que d'une sorte de démonstration de force. C'est comme si Krouchtchev avait voulu dire : "C'est mignon que vos scientifiques veuillent atterrir sur la Lune ; peut-être qu'ils apprécieront ces babioles que nous venons d'y déposer."

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La tension sous-jacente est plus évidente dans les nombreux articles des journaux américains consacrés au succès de Luna 2. "L'URSS remporte une victoire cruciale dans la conquête spatiale en lançant la première fusée ayant atteint la Lune", dit par exemple le narrateur Ed Herlihy dans un court-métrage d'information intitulé "Le Lunik des rouges atteint la Lune."

"Le Lunik des rouges atteint la Lune" flash info consacré à la mission Luna 2. Video: International Astronautical Federation/YouTube

"Les observateurs occidentaux ont surveillé les deux radios du Lunik jusqu'au moment de l'impact, en plein milieu de la cible, soit au centre géographique de la Lune - une visée impressionnante à 400.000 kilomètres de distance", poursuit Herlihy. "Grâce à ce coup spectaculaire au timing parfait, la Russie réalise une avancée scientifique majeure, démontrant ainsi la précision et la fiabilité de ses missiles, et offre à Krouchtchev un outil de propagande idéal à la veille de sa visite en Amérique."

"Moscou a visé la Lune, et a mis dans le mille."

À l'instar d'Herlihy, de nombreux journaux américains oscillaient entre articles élogieux et craintes face aux capacités des missiles soviétiques, tout en lançant des piques aux médias d'État de Moscou.

Quant au clin d'oeil à la propagande soviétique, il fut validé par la presse soviétique, qui établit rapidement un lien entre le succès de la sonde et celui du communisme.

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"La presse soviétique n'a pas tardé à proclamer la supériorité de la science soviétique et, par extension, celle du système communiste dont elle dépend", écrit par exemple Max Frankel en Une du New York Times le 14 septembre 1959.

"Certains journaux n'hésitent pas à comparer la réussite soviétique avec les échecs américains de l'an passé dans le même domaine, poursuit-il. Et des commentateurs affirment que le succès soviétique n'a été possible que grâce à des équipements supérieurs à ceux des Etats-Unis."

Dans son article, Frankel se laisse toutefois aller à un soupçon de spéculation qui, rétrospectivement, est amusant à lire : "Plusieurs journalistes de la presse soviétique affirment ce matin qu'il est désormais clair que l'Homme ira prochainement sur la Lune."

Ces journalistes espéraient certainement que leur propre pays serait le premier à faire le "grand pas". Mais au final, dix ans à peine après l'exploit de Luna 2, le rêve de milliards de personnes sur Terre fut réalisé quand Neil Armstrong et Buzz Aldrin laissèrent leurs empreintes sur la surface de la Lune.

Entre ces deux moments, on assista indiscutablement à la décennie la plus folle de l'histoire de la conquête spatiale. Mais si le programme Apollo est resté dans toutes les mémoires, c'est bien Luna 2, voyageur intrépide, qui donna le coup d'envoi de nos aventures lunaires. Repose en paix, petite chose.