Jouer à "Persona 4" a fait de moi un meilleur ami

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Jouer à "Persona 4" a fait de moi un meilleur ami

Les personnages du jeu sont un peu devenus mes potes de substitution pendant quelques mois - une situation assez absurde pour me rappeler de m'intéresser à mes vrais amis.

Je ne sais pas ce que ça fait d'être adolescent dans le reste du monde, mais personnellement j'ai passé mon adolescence dans l'Angleterre des années 90, et je me souviens que les gens plus vieux que moi n'arrêtaient pas de me répéter que c'étaient les meilleures années de ma vie. Ça me faisait bien rire. Les cours et les exams ; le désespoir post-puberté à l'idée de savoir qui j'étais, maintenant que PJ & Duncan étaient devenus Ant & Dec (ne paniquez pas, tout est expliqué ici) ; les fausses cartes d'identité et les alcools sucrés affreux bus dans des parcs : franchement, le futur ne pouvait pas être pire.

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Entre 20 et 30 ans, à chaque fois que ces mots me revenaient à l'esprit, je les ignorais totalement. Qui avait pu sérieusement croire que mon adolescence serait meilleure que ma vie de jeune adulte, où j'avais enfin de l'argent (à rembourser, évidemment), des places sur les guest lists de concerts presque tous les soirs, et une table attitrée dans les bars les plus crasseux de Camden Town ? Le tout entouré de potes en permanence, que ce soit dans mon quartier d'origine ou dans tous les clubs et pubs de Londres.

Chacun sa route, chacun son chemin, comme disait le poète, mais maintenant que j'ai 35 ans, je repense à cette histoire de "meilleures années de ma vie". Mes parents, leurs amis, mes oncles et mes profs n'avaient peut-être pas tout à fait tort, en fait. Maintenant que j'ai des responsabilités et que je passe plus de temps avec mes propres enfants qu'avec mes amis d'enfance, je me retrouve un peu isolé, plus par mon âge que par la géographie. Je ne vois plus trop les gens avec qui je traînais à 13, 19, 22 ou 28 ans ; les potes avec qui je traçais en vélo, ou avec qui je prenais le train pour aller glander en ville, avant qu'on ait nos propres voitures.

Étrangement, c'est un jeu vidéo qui m'a fait prendre conscience de ma solitude en 2016, en me faisant réaliser que, tristement, je n'aurai (sans doute) plus jamais d'amitiés aussi fortes à l'avenir que par le passé, et que je ne peux rien y faire - ce sont les circonstances qui veulent ça. Persona 4 n'est même pas un nouveau jeu, mais il m'a accompagné sur de nombreux longs trajets cette année. Je l'ai terminé il y a quelques semaines, et depuis, je ressens un sentiment de vide inattendu, et je n'ai pas honte d'avouer que ce sentiment est tout aussi palpable que tout ce qui m'affecte dans "le monde réel".

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Je ne vous spoilerai pas ici ce qu'il se passe dans Persona 4, étant donné que le jeu est toujours disponible - et franchement, c'est le genre d'expérience à laquelle quiconque possède une Vita devrait consacrer quelques heures, juste pour voir. Je l'ai moi-même acheté plus ou moins sur un coup de tête, après avoir lu quelques critiques positives et vu qu'il n'était pas cher.

Et je me félicite vraiment de l'avoir acheté, puisque les personnages de Persona 4 sont en quelque sorte devenus mes amis de substitution pendant quelques mois en 2016. Le héros du jeu est un mec de 17 ans assez taciturne qui quitte une grande ville pour s'installer dans le petit village d'Inaba en avril 2011, au début de l'année scolaire. Le jeu se termine au mois de mars suivant, à supposer que vous preniez les bonnes décisions (sinon, il peut se prolonger jusqu'à décembre 2011, voire même jusqu'à l'été 2012), ce qui vous donne une année entière pour bâtir de nouvelles amitiés et les développer en profondeur.

Le jeu note tous les liens que nous nouez, en leur attribuant un score allant de 1 à 10, lequel évolue évidemment à mesure que vous passez plus de temps ensemble. Si vous atteignez le niveau maximal, l'ami en question sera non seulement votre ami pour la vie - et potentiellement même votre compagne/compagnon - mais aussi votre aide la plus précieuse lors des batailles que vous aurez à livrer dans l'étrange Midnight Channel. Vous ne verrez jamais rien de tout ça IRL, où personne ne colle une note à un mec croisé au lycée, avant de la modifier parce qu'il vous a filé des frites à la cantine. Mais quoi qu'il en soit, le jeu m'a poussé à réfléchir à tous les liens que je créais - et concrètement, vous ne pouvez pas devenir ami avec tout le monde en une partie, donc il faut être sélectif, un peu comme à la fac quand il y avait deux soirées au même moment.

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Alors que je l'avais immédiatement détestée, j'ai fini par passer pas mal de temps avec cette garce un peu débile d'Ai, puisque ça collait avec mes choix dans le jeu. J'ai aidé ma copine du club de théâtre, Yumi, à traverser quelques moments difficiles, même si j'aurais préféré faire des trucs plus funs avec Yosuke ou Chie. Par contre, je n'ai jamais vraiment accroché avec Rise, mais j'ai vu que mes autres potes l'aimaient beaucoup, alors pour maintenir la cohésion du groupe je l'ai parfois emmenée au cinéma quand elle avait très envie de voir un nouveau film, et je lui ai assuré qu'elle n'avait pas à avoir honte de son passé de pop star.

Comme dans beaucoup de jeux vidéo, de films et d'oeuvres de fiction en général, les incidents qui affectent les personnages principaux de Persona 4 représentent des versions extrêmes de choses auxquelles nous sommes tous confrontés. Des potes qui ont un coup de blues et ont besoin d'une épaule pour un soir ; des amis qui ont perdu quelqu'un et ont besoin d'en parler ; d'autres qui ont juste besoin d'un peu d'encouragements pour réussir ; et ceux qui se découvrent un coup de coeur au sein du groupe. Et quand j'y repense, l'essentiel du temps passé à ne rien faire en voiture ou chez des potes à l'adolescence était précisément consacré à ce genre de choses - à parler des filles, des parents, du lycée, des trucs banals mais importants en somme.

Ne me suis-je attaché à ces personnages que par nostalgie de ce qu'était ma vie, avant que la distance et les distractions de la vie d'adulte ne viennent entraver ma vie sociale ?

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Depuis que j'ai fini Persona 4 il y a quelques semaines, je me pose des questions. Est-ce que j'aime ces personnages à cause de ce que je suis maintenant, et parce que je n'ai pas beaucoup d'amis à qui parler facilement ? Ou est-ce que je me suis attaché à eux par nostalgie de ce qu'était ma vie, avant que la distance et les distractions de la vie d'adulte ne viennent entraver ma vie sociale ?

Peu après l'avoir terminé - enfin, après être parvenu à une fin possible, sachant qu'il est très possible que je m'y remette un jour - j'ai retrouvé des potes que je connais depuis mes 7 ans. On est sortis, on a discuté, on a débattu de nos situations actuelles - deux d'entre eux s'apprêtent à avoir des gosses, un autre est au bord du divorce (ouais, c'est pas évident, la trentaine) - puis on s'est à nouveau séparés.

C'était très cool pendant trois heures, mais on est très vite retournés à notre routine, chacun vaquant à ses affaires dans son coin. Flic. Électricien. Journaliste (et ça fait bien marrer mes vieux potes que je gagne ma vie comme ça). Trois d'entre eux ne sont même pas sur Facebook, ce qui rend impossibles ces micro-interactions que maintiennent artificiellement l'amitié en vie - un like par ci, un commentaire par là. On n'a pas vraiment prévu de se revoir, même si Noël est propice à ce genre de choses ; mais il y a dix ans, on se voyait souvent, et spontanément, sans rien prévoir.

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Les soirées et les après-midis passés avec vos potes sur Persona 4 se passent plutôt comme ça : très spontanément. Bien sûr, tout cela dépend entièrement d'un code que je ne comprendrai jamais, mais tout semble toujours parfaitement crédible et réaliste, et j'ai souvent été surpris par ce qu'il se passait à l'écran, au-delà de l'histoire centrale du jeu. Parfois, c'étaient des choses toutes bêtes, comme aller manger au resto chinois - mais quand vous venez de passer deux heures à combattre des ombres malfaisantes dans des sortes de bains-douches surréalistes, un grand bol de ramen est bienvenu. Et parfois, il ne suffit de rien d'autre que d'être bien accompagné pour passer un bon moment, même dans le monde réel.

Après Persona 4, j'ai cherché d'autres façons de passer le temps en voyage, Vita à la main, en espérant trouver quelque chose d'un peu similaire. J'ai commencé Broken Age et Final Fantasy IX, mais après m'être fait atomiser par un boss particulièrement coriace dans le dernier cité, je me suis tourné vers Actual Sunlight, du développeur indépendant Will O'Neill. Ce n'est pas un jeu très marrant, mais il était gratuit, alors pourquoi ne pas essayer ?

Et du coup, je me retrouve à me poser une autre question, en plus de celles qui me hantaient déjà depuis la fin de Persona 4 : me suis-je laissé berner par le design ? Vers le début d'Actual Sunlight, le texte (il y en a beaucoup dans le jeu) dit, au sujet de l'un des jeux vidéo préférés du héros, Evan Winter :

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"Ce ne sont pas des 'personnages riches et profonds dont les relations et les dialogues vous iront droit au coeur'. Ce sont des heures et des heures d'inepties qui témoignent d'une conception puérile de l'intimité, dans le seul but de vous faire croire à une fausse proximité avec des choses et des gens qui n'ont rien de tangible."

Ça a été comme un coup de poignard. Pendant une seconde, une minute, et plus encore, je suis resté planté dans mon fauteuil sans appuyer sur X, à encaisser ce que je venais de lire. Me suis-je senti trahi par Persona 4 ? M'étais-je laissé berner, à investir du temps et des émotions dans un groupe de gens que je ne rencontrerai jamais (car ils n'existent pas, j'en suis bien conscient), en établissant des parallèles avec mon propre vécu ? Deux stations ont défilé par la fenêtre ; non, je ne crois pas. Mais ça m'a fait du bien de m'arrêter quelques instants pour y réfléchir, et ça m'a permis de sceller mon départ d'Inaba.

Ce n'est pas que mes amis virtuels aient remplacé quiconque, ou quoi que ce soit. C'est juste qu'ils soulignent la nécessité de maintenir les liens qui ont bâti ma personnalité, forcément façonnée, comme nous tous, par les personnes qui nous entourent. Ces avatars virtuels sont creux, sans intérêt, et je n'ai pas vraiment d'emprise sur leur destinée. Ce n'est pas le cas des amis que je laisse s'éloigner, en ne faisant aucun effort juste parce qu'avant, je n'avais pas à faire d'efforts. Ma vie sociale est entre mes mains, et moi seul peux la contrôler.

Alors merci, Persona 4, de m'avoir rappelé que je pouvais être un meilleur ami, et qu'il me suffisait d'envoyer un texto pour organiser un truc avec mes vieux potes en décembre. Et que rien ne nous oblige à ressasser de vieux souvenirs de nos soi-disant meilleures années, même s'ils nous paraissent géniaux a posteriori ; il ne tient qu'à nous de créer de nouveaux souvenirs tant que nous le pouvons, et rien ne nous en empêche, si ce n'est nous-mêmes.