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Les nouvelles technologies nous poussent-elles à mentir plus que d’hab' ?

Les moyens sont multiples et les tentations sont fortes.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
mensonge réseaux sociaux
Montage Vice © Thibault Hollebecq

Est-ce que les gens mentent plus qu’avant ? Si l’on se fie aux nombreux éditoriaux publiés ces dernières années qui ont annoncé avec des trémolos dans la voix que « L’ère de la post-vérité commence », « Oui, je serais capable de vous mentir » ou « la vérité est morte avec l’élection de Trump », on serait tenté de monter dans le train en marche. Pourquoi se retenir de pourfendre cette société du numérique qui a doté le monde d’autant de canaux de communication que d’opportunités de désinformer quand il suffit d’une citation alarmiste d’Arendt – « Le sujet idéal d’un régime totalitaire, ce n’est pas le nazi ou le communiste convaincu, mais celui pour qui la distinction entre le fait et la fiction, le vrai et le faux n’existent plus » – pour conquérir son auditoire ? 

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Profil subtilement augmenté sur un site de rencontre, mytho envoyé par texto pour éviter un dîner rasoir, excuse bidon balancée dans un Slack pro pour justifier le retard d’un papier, les nouvelles formes du mensonge sont multiples et les possibilités légion. Doit-on tenir pour autant considérer les avancées technologiques comme responsables d’un accroissement de cette « flétrissure qui souille la nature humaine » ? David Markowitz a voulu en avoir le cœur net. Dans un article publié sur The Conversation le 8 novembre dernier, ce professeur assistant spécialisé dans l’analyse de data sur les réseaux sociaux à l’université de l’Oregon, a réexaminé une étude de 2004 qui tentait déjà de répondre à la question : si le progrès a facilité les échanges, est-ce qu’on ment plus qu’avant ?

Dans cette enquête, Jeffrey Hancock, chercheur à l’université de Stanford, accompagné de Jennifer Thom-Santelli et Thompson Ritchie, avait observé les habitudes de communication de 28 étudiants. Ces derniers devaient recenser sur une période de sept jours chaque interaction sociale en définissant sa nature ; face à face, par téléphone, par messagerie instantanée ou par e-mail, et le nombre de mensonges énoncés lors de ces échanges. Hancock était parti du postulat que certains aspects de la technologie utilisée pour communiquer – distance entre les interlocuteurs, réponses synchrones ou diluées dans le temps – pouvaient prédire les comportements plus ou moins dissimulateurs. Les chiffres lui donnèrent raison ; on mentait plus par téléphone que par courriel.

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« Ces chiffres, qui ont presque 20 ans, suggèrent que les gens dissimulent la vérité quand le médium utilisé est synchrone et sans enregistrement. Ils ont plus de mal à le faire lors d’une conversation en chair et en os ou via un e-mail qui conserve une trace du message », explique Markowitz. Il estime aussi que les moyens de communication ont bien changé depuis la publication de l’étude – on passe moins de coups de téléphone mais on s’écrit plus de messages sur les réseaux sociaux – et que les chiffres d’Hancock devraient être confrontés à cette réalité.

Après avoir réuni un panel de 250 personnes, Markowitz a donc analysé leur manière de communiquer et en a tiré des conclusions similaires à celles de l’étude d’Hancock : les mensonges fusent plus nombreux sur les médias synchrones et sans enregistrement comme le téléphone ou les chats vidéo (pas encore entré dans les mœurs en 2004) et toujours aussi peu par e-mail. Si Markowitz juge infimes les différences mesurées, deux facteurs peuvent expliquer ces résultats : l’influence de la personnalité des individus observés – celui qui ment beaucoup continuera de mentir quel que soit le médium concerné – et la nature des canaux – le mail, plus souvent employé dans un cadre professionnel, donc moins propice au mensonge.

Mettre à jour l’étude d’Hancock permet de réfuter une idée reçue à propos des nouvelles technologies : oui, les gens communiquent beaucoup plus qu’avant sur les réseaux sociaux mais ces interactions sociales ne sont pas forcément de moins bonne qualité. Les données de Markowitz tendent à prouver qu’on ne risque pas plus de tomber sur des interlocuteurs malhonnêtes en ligne qu’IRL. « La croyance que le mensonge est inhérent à l’ère digital ne correspond pas aux chiffres », conclut le chercheur.

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