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Société

On a discuté avec des Français bloqués à Wuhan, ville chinoise mise en quarantaine

« Cette crise a commencé il y a plus d’un mois. Ça fait des semaines qu’on entend parler de ça ici. »

Les trois premiers Européens contaminés par le coronavirus chinois seraient Français. Placé en quarantaine, l’un des trois patients a déclaré être « passé par Wuhan » avant son retour en France. Cette ville de 11 millions d’habitants a la particularité d’accueillir de nombreuses firmes françaises (Renault, PSA, Alstom, Total, L’Oréal), une antenne de l'Alliance Française, et donc son lot d’expats : environ un millier. Elle est aussi l’épicentre d’une mystérieuse pneumonie, nommée 2019-nCov, qui a déjà fait 106 morts et touché plus de 2000 personnes dans le pays. Mise en quarantaine depuis jeudi dernier, il est désormais impossible de s’en échapper. VICE a pu échanger avec des Français vivant à Wuhan , mégapole devenue ville fantôme, en attendant que la France arrive à les rapatrier.

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Axel, étudiant, 25 ans

« Je suis étudiant en master de géotechnique, ça fait deux ans et demi que je suis à Wuhan. Je n’ai pas trop d’informations. Il y a peu de choses à la télé, les Chinois ne communiquent pas beaucoup. La ville est calme, tout est fermé : les centres commerciaux, les marchés, les gens restent chez eux, il n'y a rien à faire. Je suis les réseaux sociaux, sur les groupes WeChat [l’équivalent de WhatsApp en Chine, NDLR] je suis en contact avec des Chinois qui partagent des infos. Par ce biais quand quelque chose arrive tout le monde est au courant. On a reçu des consignes basiques. Se laver les mains, sortir avec un masque, c’est à peu près tout.

Au niveau de la nourriture, c’est compliqué. Hier, je cherchais à aller faire les courses parce qu’on m’avait informé que les Chinois s’étaient rués sur les marchés et avaient tout vidé. Donc je suis allé au Walmart mais il était fermé. Du coup pour manger j’ai fait des réserves de KFC, j’ai pris six sceaux et des burgers que je stocke au frigo. Là où je vis, dans le quartier étudiant, tous les commerces sont fermés. Au niveau de l’atmosphère, les rues sont désertes, mais il faut préciser que c’est souvent le cas à Wuhan pendant les vacances d’hiver. Il y a peu d’activité pendant cette période, et là c’est accentué par la mise en quarantaine. C’était le Nouvel an hier, et c’est resté très calme. Les lieux de concentration de personnes, bars, boîtes de nuit, sont tous fermés.

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« Dans les groupes We Chat on rigole ça parle de Resident Evil ou de Walking Dead pour décrire la situation »

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Wuhan, cette semaine. Photo de Jonathan.

Ce qu’il faut savoir c’est que cette crise a commencé il y a plus d’un mois, ça fait des semaines qu’on entend parler de ça. Et personne ne prenait ça vraiment au sérieux, les gens en parlaient, mais ça semblait être une rumeur. Tout s'est accéléré il y a deux semaines, et je dirais que ça a vraiment débuté la semaine dernière, et ça coïncidait avec le départ en vacances. J’avais prévu d’aller en vacances aux Philippines, mais avec la situation je ne sais plus trop. En tout cas, je n’ai pas prévu de quitter Wuhan. De toute manière tous les transports sont à l'arrêt. Les aéroports et les gares sont fermés, et ni les métros ni les bus ne fonctionnent. Pour l’instant, chez les étrangers je pense que personne ne mesure la gravité de la situation. Dans les groupes WeChat on rigole ça parle de Resident Evil ou de Walking Dead pour décrire la situation. Ça ressemble encore à une blague. Les gens vont commencer à s’inquiéter quand la nourriture va commencer à manquer. »

Rémi, professeur de français, 33 ans

La soupe de chauve-souris, bouc émissaire idéal

« Ça fait dix ans que je suis en Chine. En ce moment on est dans une ville fantôme. Moi je devais aller dans la famille de ma copine, qui habite dans une province proche de Shanghaï, mais notre avion a été annulé à cause de la crise, donc on a dû rester sur Wuhan. Elle est plutôt rassurée parce que ses parents ne vivent pas ici. Et elle reçoit plus de news en tant que Chinoise par rapport à moi qui suis étranger. Mais d’après ce qu’elle me raconte, ce n’est pas alarmant. Le Consulat français a créé un groupe WeChat, ils essayent de réunir tous les Français de la ville dans ce groupe. Là-dessus on reçoit des informations « officielles », les gens posent leurs questions. On peut voir que beaucoup sont affolés par la situation. La dernière info concernait les visas, certains ont leurs visas qui vont bientôt expirer ils ne savent comment les faire renouveler.

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Le consulat essaye de calmer les choses. Et tous les jours on reçoit un mail, dans lequel on est tenu au courant des updates du virus. Sur le groupe WeChat, les derniers messages évoquaient des bus qui pourraient partir de Wuhan vers Changsha [ville à 350 km au Sud, NDLR]. Ce n’est pas forcément le top. Une fois, arrivés là-bas l’hébergement et la nourriture seraient à nos frais, et on serait mis en quarantaine une quinzaine de jours. J’ai un ami qui, lui, est parti pendant les vacances dans un petit village dans le Sichuan, le consulat lui a conseillé de rester là-bas pendant quinze jours, sans sortir. Pendant ces quinze jours où il est bloqué dans le Sichuan, il doit prendre sa température deux fois par jour. Tous ceux qui ont quitté Wuhan avant la mise en quarantaine ont eu des checks de température avant de partir. Mais ici, à Wuhan, il n’y pas d’examens de santé aléatoires, on ne s’occupe que de ceux qui présentent des symptômes.

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Wuhan, cette semaine. Photo de Jonathan.

Jonathan, ingénieur informatique, 32 ans

« Il y a 8 ans j’ai terminé mes études en Chine, je suis resté et ça fait 5 ans que je vis à Wuhan. La situation est étrange. Il y a très peu de voitures dans les rues. Et là on vient d’apprendre qu’à part les déplacements d’urgences, c’est interdit de se déplacer en voiture. Il y a eu une pénurie de nourriture le premier jour quand le gouvernement a annoncé Wuhan en quarantaine, et, tout de suite après, les gens ont couru au supermarché pour dévaliser les rayons. Genre : « Il faut faire des réserves pour survivre. » Du coup les rayons de supermarchés ont été vidés. Mais aujourd’hui on peut trouver des fruits et légumes, de l’eau, de la nourriture. Après, tous les commerces qui ne vendent pas nourriture sont fermés. Je ne pense pas qu’on soit proche d’une pénurie, ici il y’a encore des gens qui ont vécu la grande famine, donc s’il y a un manque de nourriture la situation deviendrait incontrôlable. Et ça le gouvernement le sait. Concernant le masque il n'y a personne pour nous forcer à le porter, d'autant plus que la plupart des superettes vendent des masques hors de prix, et on n’est pas sûr de la qualité. Moi, personnellement, j'ai fait le choix d'en porter un. Mais je ne suis pas si inquiet, la période du Nouvel an est toujours particulière, il ne se passe pas grand-chose.

Il faut tout de même dire que les gens psychotent énormément, il faut se rappeler que ce sont des personnes âgées, des gens déjà malades qui ont succombé au virus, moi je suis encore en forme. Et si jamais je devais tomber malade, j’avertirais les gens autour de moi, je leur dirais de ne pas venir chez moi, de ne pas venir me voir. Et je porterais mon masque pour éviter de transmettre mes microbes. Ayant travaillé à l’ambassade j’ai des contacts à Pékin qui me tiennent au courant, et je regarde France 24 pour prendre la température.

Si j’avais voulu quitter Wuhan je pense que j’aurais déjà pu le faire, enfin je suis pas sûr à 100%, mais je pense que j’aurais eu mes chances, il y a des personnes qui disent qu’elles ont réussi à passer. Je ne sais pas si c’est possible ou pas, il y a trop de rumeurs à ce sujet. Après sortir de la ville par le train c’est impossible, le foyer de concentration du virus est ici, et les autorités ne veulent pas que ça sorte. Les gens qui doivent vraiment stresser sont ceux qui n’ont pas vécu ici depuis longtemps, qui parlent pas la langue, qui connaissent moins la culture. Comme je t’ai dit, je ne stresse pas, mais on sent que le niveau d’inquiétude monte un peu. Limiter les déplacements en voiture, en taxi, en Didi [l’équivalent d’Uber en Chine NDLR], ça peut être chiant pour bouger et Wuhan c’est quand même une grosse ville. Cette restriction de liberté me fait un peu peur. »

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