Alors que la 28e édition des Jeux Olympiques vient tout juste de se terminer dans la chaleur brésilienne, la question du dopage reste toujours d'actualité. Le mot est sur toutes les lèvres des athlètes comme des officiels. Dans l'ombre des disciplines qui nous ont fait rêver pendant quinze jours, des sports peu médiatisés ont aussi à lutter contre ce fléau. Y compris certains dont il est difficile, a priori, de penser qu'il y a matière à contrôle. Un rapport publié en 2014 par l'Agence mondiale antidopage (AMA) mettait en lumière des tests effectués dans (quasiment) tous les sports reconnus mondialement. Un document bien fourni et assez surprenant où l'on retrouve des cas positifs dans des disciplines aussi obscures pour le grand public que le sauvetage sportif, la course d'orientation ou le tir à la corde. Dès lors, comment les fédérations, les sportifs réagissent ? Quelle place est accordée à la lutte contre le dopage ? Tour d'horizon de quelques disciplines pas vraiment dans l'actu.
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Les cas de boulistes portés sur la bédave
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Comme la plupart des disciplines sportives reconnues mondialement, la pétanque fait l'objet d'une surveillance face au dopage. Sans doute pas celle où les protocoles sont les plus élaborés, faute de gains substantiels, mais des cas positifs existent et ont bien existé. Ce que confirme Clément Meneghin, en charge des contacts presse à la fédération française de pétanque et de jeu provençal (FFPJP). « Pour être transparent, il y en a eu, je dirais, une vingtaine en dix ans. Deux ou trois à cause du cannabis, mais sur la vingtaine de cas il y en a eu quinze parce qu'ils étaient mal informés sur les autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT). »L'expérience de Philippe Quintais l'a déjà confronté à la problématique. S'il n'a jamais eu l'impression de jouer contre des mecs chargés, il a connu un ou deux boulistes « pris au niveau de la fumette ». « On les connaît ceux qui font ça, explique le champion français. On sait très bien qu'avant une partie importante on ne les trouve plus pendant 10 minutes… » Dans un sport où les qualités mentales sont au moins aussi importantes que la précision des gestes, les anti-stress (alcool, stupéfiants…) aident certains à décompresser. Philippe Quintais détaille sa vision de la discipline: « La pétanque, c'est un peu à l'image du tireur de penalty au foot ou du serveur au tennis. On se retrouve tout seul, tout le monde vous regarde et il y en a que ça fait dégoupiller. Il y en a qui usent et abusent des anti-stress et le fait qu'il y ait des contrôles ça fait au moins un peu peur, surtout dans les grosses compétitions. »
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Que l'on soit joueur de haut niveau ou amateur passionné, la tendance à l'utilisation de « relaxants » pas toujours licites est sensiblement la même. L'absence de frontière entre la sphère professionnelle et récréative est le principal problème d'un sport pas toujours perçu comme tel par tous. Les championnats de France ou des tournois comme le Mondial la Marseillaise, qui peut accueillir 12 000 participants, sont de bons exemples. « Les gens qui y vont sont qualifiés dans leurs départements respectifs, développe l'ancien champion du monde. Quand vous jouez au niveau départemental, vous pouvez très bien gagner sans faire partie des joueurs de haut niveau. Et lorsque vous arrivez aux championnats de France il n'y a rien ni personne qui vous dit que vous pouvez être contrôlé. C'est souvent à la fin de la compétition que les tests ont lieu. Alors, heureusement, on va dire à 90%, ce sont les meilleurs qui gagnent, donc ceux qui sont au courant. Mais ça pourrait très bien arriver que ce soit des anonymes et qu'ils se retrouvent embêtés parce qu'ils ne savaient pas… »D'ici quelques jours, Stéphane Houssais et sa bande risquent eux aussi de connaître l'envers du décor des contrôles antidopage. Le président de l'association des jeux bretons de Casson s'apprête à rejoindre Malmö et la Suède pour la première participation française… aux championnats du monde de tir à la corde (5 au 12 septembre). « On est habitués à pratiquer pieds nus, à l'ancienne, plaisante-t-il. Là pour le Mondial, on a dû apprendre à mettre les chaussures. » Mais pas à quitter le kilt, encore heureux. De cette tradition des jeux de force bretons comme le lancer de la pierre lourde (ar maen pouez), le court bâton (bazh yod), le lever de la perche (sevel ar berchenn), le lancer de la gerbe (ar voutelenn), le lever d'essieu (an ahel), la course au meunier (redadeg gant ur samm) ou donc le tir à la corde (chech fun), c'est tout un héritage transmis par les anciens qui se veut préservé. Dans l'ombre médiatique la plus totale, la Fédération nationale des sports athlétiques bretons (FNSAB) veille au grain.
Le tir à la corde entre histoire olympique, folklore et sport de gaillard(e)s
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À l'Ouest, l'ouverture de ces disciplines à tous - petits et grands, femmes comme hommes - dans une ambiance folklorique est le gage d'une transmission générationnelle réussie dont la corde est en quelque sorte l'emblème. Pour donner davantage d'importance à cette ancienne épreuve olympique (au programme de 1900 à 1920) l'association s'est affiliée à une autre fédération, celle du sport en milieu rural (FNSMR). Cette structure multisports, recensant plus d'une centaine d'activités et près de 50 000 licenciés, offre comme l'explique Guillaume Pasquier, son chargé de communication, « une alternative en axant la pratique sur le loisir » même s'il lui arrive « de manière exceptionnelle de traiter la partie haut niveau ». « Sans la FNSMR, nous ne pourrions pas participer aux championnats du monde », confirme Stéphane Houssais. Une relation "gagnant-gagnant" qui, espèrent-ils tous les deux, sera profitable à toutes ces disciplines qui manquent de moyens financiers et matériels pour exister au plan médiatique et à attirer des sponsors. Pour financer l'escapade suédoise des trois équipes masculines et de l'équipe mixte inscrites dans la compétition, Stéphane Houssais et son asso ont d'ailleurs mis en place un crowdfunding sur la plateforme Fosburit, qui a tout de même pu leur rapporter un peu plus de 6 000 euros.Malgré un manque d'exposition, la problématique du dopage dans une activité aussi anonyme que le tug of war (tir à la corde) existe belle et bien. « Il ne faut pas croire, c'est un vrai sport, défend le Ligérien. L'hiver on soulève de la fonte, on fait des grosses séances d'abdos… Ça rigole pas ! » L'Agence mondiale antidopage (AMA) a réalisé 107 contrôles (en et hors compétitions) dans la discipline en 2014, pour un cas suspect. « Ça ne m'étonne pas qu'il y en ait, il faut tenir le choc, confesse Stéphane Houssais. Même si la fédé internationale contrôle plutôt ceux qui ont des résultats, on commence à taper à la porte du Comité international olympique (CIO) donc c'est peut-être amené à se renforcer… »
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Les fléchettes disent oui à l'alcool mais non à la coke
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S'ils ne suent pas à grosse goutte les professionnels du lancer de fléchettes doivent eux aussi se soumettre aux contrôles antidopage. En 2014, l'AMA a effectué 94 tests pour huit cas suspects, c'est-à-dire des cas où des substances interdites ont été relevées (mais sans prendre en considération les éventuelles AUT auxquels les sportifs ont droit). Le code antidopage de l'IDF, structure presque exclusivement centrée sur les pointes souples, est calqué sur celui de la fédération internationale de voile. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il est l'un des rares à autoriser la consommation d'alcool pendant les compétitions. « Nous ne pensons pas qu'il est nécessaire d'exclure l'alcool car il n'améliore pas la capacité du joueur », ajoute Robert Nisbet. C'est sûr qu'a priori, difficile de penser que lever le coude en enchaînant les pintes permet de viser dans le mille. Le vice-président de l'IDF confie volontiers que la lutte contre le dopage n'occupe pas une part très importante de leur activité. « La force physique et l'endurance ne sont pas très pertinents dans la performance d'un joueur de fléchettes. J'ai eu vent des rumeurs par le passé sur certains qui utilisaient de la cocaïne mais j'ai également entendu dire que cette drogue n'améliorait pas la capacité du joueur; ça lui donne juste l'impression qu'il est en train de mieux faire. »« Je ne sais pas si d'autres organisations dans le monde des fléchettes conduisent de sérieux tests antidopage de façon continue, poursuit Robert Nisbet. Je pense qu'à la suite des récents scandales de dopage moins l'attention est placée sur le dopage dans les fléchettes, mieux c'est. Nous n'avons pas de grave problème dans notre milieu mais, même si j'avais tort, je ne suis pas sûr que faire une grande visibilité au dépistage des drogues serait bénéfique au sport. On a les outils pour traiter le problème s'il se pose, mais je suis plutôt favorable au fait de garder toute action qu'on pourrait prendre discrète. »
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Le Mölkky veut rester un loisir pour amateurs
Lancé par une entreprise finlandaise il y a 20 ans, le jeu de quilles en bois connaît un succès grandissant. Impossible d'être passé à côté cet été que ce soit sur la plage, dans un square, sur un terrain vague… Ou même au bureau. Moins lourd à transporter qu'un jeu de pétanque et plus stylé à lancer qu'une boule de bowling abandonnée à une vitesse folle sur le parquet, le Mölkky entend bien rester un loisir même si quelques compétitions s'organisent ici et là dans l'Hexagone. Les championnats du monde, disputés les 20 et 21 août derniers en périphérie de Rennes, ont d'ailleurs sacrés des Français. Preuve qu'il y aurait matière, pourtant, à tenter quelque chose. « Il n'y a pas de professionnels, 100% des joueurs sont amateurs, rajoute Fabian Schomann. Si on joue c'est pour le plaisir. L'esprit libre du Mölkky est essentiel, on laisse le professionnalisme à d'autres disciplines. L'idée, à la base, est de rapprocher une partie de la population qui s'est vue exclure des autres activités justement parce que la pratique "réglementaire" – certificat médical, condition physique etc – l'a très largement emporté sur la partie loisirs. »
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Sauver des vies sans mettre la sienne en danger, le pari du sauvetage sportif
Une fédération internationale, l'ILS (International Life Saving), est en charge de l'organisation des compétitions qui regroupent deux types d'épreuves, en eau plate ou sur les côtes. C'est également elle qui veille au bon respect du règlement antidopage. La cinquantaine de pages servant de référentiel est un premier indicateur de l'intérêt porté à la question. Sur le site de l'ILS, la liste des athlètes suspendus est affichée à la vue de tous. Nom, prénom, date de naissance, infraction, durée de la sanction… Tous les éléments sont placardés. De quoi en dissuader plus d'un. Un pays est principalement montré du doigt : l'Australie. L'autorité antidopage du pays y met pourtant du sien en rendant ses rapports publics et en suspendant les fautifs deux ans voire plus.
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Plus de 230 tests urinaires et sanguins ont été effectués en 2014 (pour cinq cas positifs). « Nous avons des contrôles antidopage assez fréquents en sauvetage sportif », confirme Margaux. Après la folie olympique dans la chaleur brésilienne, l'agenda de la nageuse française ne désemplit pas. Elle a disputé la coupe du monde à Chartres (26 et 27 août) et s'envolera, début septembre, pour les Pays-Bas avec sa bande du club des Aqualoveurs pour une autre compétition internationale, à savoir les Mondiaux de sauvetage sportif.Dans ce conglomérat de disciplines pas vraiment mainstream, bien d'autres auraient pu s'ajouter à une liste loin d'être exhaustive : hockey subaquatique, jeu de go, montgolfière… Des sports reconnus comme tels mais qui n'ont pas l'aura médiatique pour être sur le devant de la scène. Ce qui ne les empêche pas d'être à cheval sur les réglementations et l'auto-contrôle, notamment en matière de lutte antidopage. Investir contre cette modification des performances via l'absorption de substances interdites est un moyen pour les fédérations de renforcer leur légitimité. Certaines ont même franchi un cap en matière de prévention. C'est le cas de la pétanque ou du rugby à XIII qui bénéficient des prestations d'une entreprise spécialisée dans la prévention du dopage.Lancée il y a quelques années, l'entreprise Sport Protect travaille aujourd'hui avec ces deux structures ainsi qu'avec des milliers de sportifs, professionnels ou amateurs, pour leur transmettre la meilleure information possible sur les substances prohibées. « Il y avait une lassitude par rapport à l'inertie des institutions, explique Dorian Martinez, fondateur de Sport Protect et ancien directeur (et créateur) du numéro vert « Écoute dopage ». L'idée était de répondre aux besoins réels des sportifs : est-ce que je peux prendre ce médicament ? Ce complément alimentaire ? » Des bases de données répertoriant les médicaments et les substances ainsi qu'un label pour les compléments ont été créés. Aujourd'hui ce sont 100% des licenciés jouant à la pétanque ou au rugby à XIII qui peuvent bénéficier du dispositif. « Mine de rien, la pétanque, c'est près de 300 000 adhérents, poursuit-il. Il y a toujours des boutades dans le milieu où l'on dit que l'EPO, c'est pour "eau, pastis, olive". Quand on parle de dopage, on n'a pas la pétanque qui vient en premier. Je pense que pour certains sports comme le Esport, il y a l'idée selon laquelle, si on est intégré dans la lutte antidopage, on est donc considéré comme un vrai sport. Pour la pétanque c'est pragmatique : ils ont eu des cas de dopage réels ou par inadvertance. Pareil pour le rugby à XIII où la prise de masse est importante, où beaucoup de compléments alimentaires sont sur le marché et nécessitent un tri. » Une prestation visiblement à faible coût puisque, selon Dorian Martinez, la fédération de pétanque ne débourserait pas plus de 3 000 euros par an pour s'offrir ce service. Soit un centime d'euro par licencié.Le chef d'entreprise (et aussi psychologue du sport) aimerait toucher davantage de fédérations mais il pointe deux problématiques beaucoup plus terre-à-terre : « Une partie d'entre elles sont gérées par des gens qui ne pensent qu'à leur réélection et n'ont que peu d'intérêt pour leurs licenciés. C'est de la cuisine interne, de la politique telle qu'elle est décriée de plus en plus ces derniers temps. Et ça je l'observe depuis 20 ans ! L'autre phénomène c'est les fédés plus structurées qui ont une mauvaise représentation du dopage. Pour elles, c'est un sportif qui a volontairement triché. Mais des emails ou des coups de fil que je reçois, la plupart sont contrôlés positifs alors qu'ils ne sont pas dans une démarche de tricherie. » 80% d'entre eux seraient négligents selon lui.
Mieux vaut prévenir que guérir pour certaines fédérations
Depuis dix ans, la lutte contre le dopage en France est organisée par l'AFLD (Agence française de lutte contre le dopage). C'est elle qui définit un programme et diligente des contrôles soit directement, soit par l'intermédiaire des Directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS). Mais une prérogative essentielle lui échappe encore : le pouvoir disciplinaire. L'AFLD régule les procédures mais n'est pas censée sanctionner. De fait, ce sont les fédérations sportives qui doivent condamner leurs propres sportifs en cas de triche. Quand on sait que les performances attirent plus de licenciés et donc davantage de subventions, difficile de casser le cercle vertueux… En juillet 2013, le médecin Jean-Pierre Mondenard expliquait devant la commission sénatoriale sur l'efficacité de la lutte antidopage qu'il était « nécessaire de séparer la lutte antidopage du monde sportif car on ne peut pas à la fois courir après les médailles et empêcher les sportifs de s'en donner les moyens. » Un avis partagé par Bernard Mortellier.Le secrétaire général de la fédération française de course d'orientation (FFCO) évoque une affaire de contrôle positif reprise par l'Agence car elle jugeait la sanction de la commission fédérale pas assez sévère. Une histoire finalement soldée par un lavage de tout soupçon pour le sportif en question. « Autant que l'AFLD et son équipe de juristes et médecins règlent les problèmes disciplinaires plutôt que nous », estime-t-il. Pourtant les tests positifs ne sont pas légion dans le milieu. « Il n'y en a eu aucun, à part peut-être un oubli de présentation au contrôle, une fois, explique Bernard Mortellier. Il n'y a rien à gagner chez nous. » Mais comme toute fédération délégataire capable d'organiser ses propres compétitions, la course d'orientation doit se conformer aux règles de lutte antidopage prévues par le code du sport. Une « bonne chose » selon lui car « cela permet de lever le doute ».Comme pour tous les sports mis en avant dans cet article, Bernard aimerait que l'on parle plus de sa discipline. Des pratiques diverses de l'orientation (à pieds, en VTT ou à ski). De ses 8 000 licenciés. De la cinquième place de la France au classement mondial. Des titres internationaux remportés par les femmes et les hommes tricolores. D'ailleurs, qui est au courant qu'un orienteur – Thierry Gueorgiou – a remporté 13 titres de champion du monde, soit autant que Jeannie Longo et un de plus que Philippe Quintais ? Maintenant, vous.