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Après 10 ans de débats, le projet de loi sur la neutralité religieuse ne satisfait personne

Le projet de loi vise à renforcer la neutralité de l'État, et non pas à rompre définitivement avec la religion, insiste la ministre Vallée.
Le crucifix dans le salon bleu de l'Assemblée nationale du Québec. (Photo : Wikimedia/Jeangagnon)

« Une coquille vide », un projet qui «ne va nulle part»; la caquiste Nathalie Roy n'a pas ménagé ses mots pour décrire le projet de loi favorisant la neutralité religieuse de l'État, qu'elle juge « incomplet ».

Après 10 ans de controverses, de consultations et de projets de loi avortés, le gouvernement du Québec espère clore le débat sur la laïcité et les accommodements raisonnables en débutant les travaux sur le projet de loi 62.

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Une vingtaine de groupes ont refusé l'invitation de la ministre de la Justice Stéphanie Vallée à venir présenter leur point de vue en commission parlementaire. Ils étaient indisponibles, ou ils avaient déjà exprimé leur opinion, explique la ministre Vallée. La péquiste Agnès Maltais avance que ces groupes n'ont pas intérêt à se déplacer, car leur avis n'est pas pris en compte par le projet de loi actuel.

Est-on laïcs? Non. Nous sommes neutres.

Le projet de loi vise à renforcer la neutralité de l'État, et non pas à rompre définitivement avec la religion, insiste la ministre Vallée. Selon la loi, le gouvernement sera neutre, mais ses employés n'auront pas à l'être, tant que leurs croyances n'affectent pas la qualité des services donnés.

Les partis de l'opposition dénoncent cette nuance. Ils se désolent, entre autres, de l'absence du mot «laïcité» dans le texte du projet de loi. « [L'État] ne prend pas position. C'est décevant, martèle la péquiste Agnès Maltais. La séparation entre l'Église et l'État n'est inscrite à aucun endroit dans notre corpus législatif. Nous aurions ici une belle occasion de l'inscrire. »

Pas de voile, pour votre sécurité

Dans une mesure qui vise uniquement le voile intégral, la loi 62 exige que les services gouvernementaux soient donnés et reçus à visage découvert, « pour des raisons de sécurité, d'identification et de communication », rappelle Vallée. Des exceptions pourront être accordées, mais on ignore lesquelles.

L'opposition dénonce l'absence des recommandations Bouchard-Taylor en ce qui concerne l'interdiction de port de signes religieux ostentatoires pour les employés en position d'autorité, une position qui représente pourtant un « réel consensus » au sein la société québécoise, rappelle Nathalie Roy.

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Entendu en commission parlementaire, le groupe Pour la défense des femmes du Québec (PDF) considère que le projet de loi ne va pas assez loin, et souhaite que le port du voile intégral soit banni à l'échelle de la province, jugeant qu'il porte atteinte à la dignité des femmes.

Les accommodements enfin encadrés?

Une section du projet de loi vise à encadrer les accommodements religieux sans tout à fait les restreindre, ce qui soulève aussi de nombreuses inquiétudes. « Les accommodements sont souvent des signes avant-coureurs de l'intégrisme religieux et un début de rupture avec la société » prévient Diane Guilbault, vice-présidente de PDF Québec.

L'organisme féministe dénonce les « effets pervers des accommodements religieux », et craint que de céder aux demandes d'accommodements alimente « les points de vues extrémistes ». La présidente du groupe, Michèle Sirois, questionne en outre la neutralité d'une telle décision. « Permettre des accommodements religieux, c'est appuyer des revendications religieuses, et non pas être neutre », déplore-t-elle.

L'Association des commissions scolaires anglophones du Québec a fait entendre un point de vue tout autre à l'Assemblée nationale. Selon ses membres, le projet de loi s'attaque à un problème inexistant. Ils ne relèvent aucune demande d'accommodements religieux au sein de leurs 340 écoles, et assure que si c'était le cas, ils sauraient y répondre eux-mêmes, en accueillant la diversité. « C'est sûr que c'est difficile de se faire dire [que son projet de loi] est inutile », s'est excusé avec un sourire le président de la Commission scolaire Central Québec, Stephen Burke.

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Une décennie de débat religieux au Québec: une histoire en bref

Le débat sur les accommodements raisonnables a commencé vers 2006, lorsque plusieurs controverses éclatent dans les médias. La Cour suprême permet à un jeune sikh de porter son kirpan à l'école, puis les vitres d'un YMCA, où l'on voit des femmes s'entraîner, sont givrées à la demande d'une communauté juive hassidique. L'année suivante, la salle de réception d'une cabane à sucre est vidée pour laisser un groupe de musulmans y faire la prière. Tous ces cas suscitent de vives réactions dans la sphère publique.

Cette même année, le gouvernement Charest commande les consultations des commissaires Bouchard et Taylor sur les pratiques d'accommodements reliées aux différences culturelles. Les 37 recommandations du rapport sont rendues en 2008. Le gouvernement actuel assure avoir déjà appliqué 80% d'entre elles.

Beaucoup de ces recommandations « prioritaires » ont été ignorées, dont la production d'un livre blanc sur la laïcité, l'ajout d'une interdiction à l'incitation publique à la discrimination dans la Charte québécoise des droits et libertés, ainsi que l'octroi de plus de moyens aux organismes d'information et de protection du citoyen comme la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et au Conseil des relations interculturelles.

En 2009, puis en 2010, les libéraux proposent deux projets de loi. Le premier, qui compte répondre aux demandes des communautés culturelles, est abandonné; on lui reproche notamment de ne pas assurer l'égalité homme-femme, car celle-ci ne prime pas sur les demandes d'accommodements religieux. Le second projet vise à bannir le voile intégral dans les services publics. Il ne voit pas le jour, tandis que des élections sont déclenchées en 2012, et que le Parti québécois prend le pouvoir.

La Charte des valeurs est proposée en 2013 par Bernard Drainville. Le projet d'interdire le port de signes religieux ostentatoires dans la fonction publique est abondamment critiqué, malgré un appui de 51% de la population en février, un mois avant le déclenchement des élections de 2014.

Le Parti québécois déclenche les élections en mars, mais c'est le Parti libéral qui est élu à majorité. Contrairement à leurs prédécesseurs, les libéraux ne préconisent pas le discours identitaire. Il est toutefois repris par la CAQ en mars 2015. Avec les élections de 2018 qui approchent, le gouvernement libéral a tout intérêt à mettre rapidement le couvercle sur la marmite.