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Facebook censure une photo de guerre pour nudité

Sous prétexte de "protéger ses utilisateurs", le réseau social s'arroge sans vergogne le droit de censurer des photos à forte valeur historique, y compris dans le cadre d'articles de presse.

Une fillette fuit un bombardement au napalm pendant la guerre du Vietnam. Parce qu'elle s'est débarrassée de ses vêtements incendiés par les bombes, elle est nue. Elle court et crie vers l'objectif. C'est l'une des photographies les plus emblématiques du journalisme de guerre, une image mille fois affichée et pastichée. Pourtant, Facebook n'en veut pas.

Il y a quelques jours, le compte officiel du quotidien norvégien Aftenposten a inclut le célèbre cliché dans une publication consacrée aux photographies ayant changé l'histoire de la guerre. Le réseau social a réagi mercredi 7 septembre en faisant parvenir un mail d'avertissement à ses administrateurs : "nous plaçons des restrictions sur la nudité, afin de limiter l'exposition des différentes personnes utilisant Facebook à du contenu sensible", explique le courrier, avant de demander la suppression ou la pixellisation de l'image. Quelques heures plus tard, Facebook a fait disparaître de lui-même la photographie de la page du journal.

Ce vendredi 9 septembre, Aftenposten a riposté en publiant une lettre ouverte adressée au fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg. Espen Egil Gansen, le rédacteur en chef du quotidien, y écrit tout d'abord : "Cher Mark. Je vous suis sur Facebook, mais vous ne me connaissez pas. (…) Je vous écris pour vous dire que je ne me plierai pas à votre demande de suppression d'une photographie documentaire de la guerre du Vietnam prise par Nick Ut. Ni maintenant, ni plus tard." Il poursuit : "Pour être honnête, je ne me fais pas d'illusions sur le fait que vous lirez cette lettre. J'ai tout de même décidé de l'écrire, parce que je suis énervé, déçu et même effrayé de ce que vous êtes sur le point de faire à un élément de base de notre société démocratique. (…) Je pense que vous abusez de votre pouvoir".

"Les médias libres et indépendants ont un rôle important dans la publication d'informations, y compris des photos, qui peuvent parfois déplaire et que l'élite voire les citoyens ordinaires ne veulent pas avoir à supporter, mais qui peuvent justement être importantes pour cette raison", explique ensuite Espen Egil Gansen, avant de souligner que les médias portent la lourde responsabilité de réfléchir à ce qu'ils publient au cas par cas. Il sentence : "Ce droit et ce devoir, que tous les journalistes du monde doivent exercer, ne devrait pas être sapé par des algorithmes codés dans votre bureau californien."

La lettre est encore longue, le rédacteur en chef a visiblement le coeur gros. Il accuse Facebook de mépriser le jugement des professionnels de l'information, de ne pas faire la différence entre la pédopornographie et les images documentaires, de faire croire qu'il est possible d'établir des règles globales sur ce qui peut être publié ou non. Espen Egil Gansen propose ensuite des solutions au réseau social : adapter ses conditions d'utilisations aux différents pays dans lesquels il est accessible, traiter les rédactions différemment des utilisateurs lambda. Si le journaliste se débat ainsi, c'est qu'il sait que son journal ne peut pas quitter le réseau social pour de bon. "Même pour un grand média comme le Aftenposten, Facebook est difficile à éviter, écrit-il. A vrai dire, nous ne voulons pas vraiment vous éviter, parce que vous nous offrez un superbe canal de distribution de nos contenus."

Erna Solberg, la Première ministre norvégienne, a manifesté son soutien au Aftenposen en publiant la photographie sur sa page Facebook ce vendredi. Quelques heures plus tard, elle avait disparu. "Ce que Facebook fait en supprimant des photos de ce type, aussi bonnes soient leurs intentions, c'est d'éditer notre histoire commune", a-t-elle regretté. Le réseau social s'est défendu en jouant la carte de l'inflexibilité : "Nous reconnaissons que cette photographie est iconique, a affirmé un porte-parole de l'entreprise, mais il est difficile d'autoriser la photo d'un enfant nu dans un cas et pas dans d'autres." On retient la leçon : la nudité n'est jamais bonne sur Facebook. Ni au nom de l'information, ni au nom de l'art.