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La mode des Cafés Mortels bat son plein

Les cafés dédiés aux discussions sur la mort gagnent en popularité, et le concept ne choque plus personne.

Photo: Alice Carrier/Flickr

Au second étage du Hunan Manor, à Manhattan, la mort rôde.

Panisa Khunprasert et Mike Ma étaient de parfaits inconnus avant de se rencontrer au Death Café de New York. À présent, ils sont confortablement installés autour d'un verre pour causer de la Grande Faucheuse. Ma évoque ses grands-parents récemment décédés, et décrit le fardeau émotionnel qu'il a dû supporter lorsqu'il s'occupait d'eux à l'hospice. Khunprasert raconte le décès de son frère et de sa sœur dans un accident de voiture treize ans auparavant, et le déni de la tragédie qui a hanté sa famille jusqu'alors.

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« Mes parents sont très terre-à-terre, et pas très portés sur les démonstrations affectives » explique Khunprasert, une étudiante de master, lors de sa première soirée au Death Café NYC. Elle s'intéresse de près au sujet de la mort, souvent tabou dans son entourage ; c'est l'occasion pour elle d'avoir des discussions qu'elle n'aurait jamais eues avec ses amis ou sa famille. « L'important, c'est d'aller de l'avant. »

Même si l'inéluctabilité de la mort va de soi, la recherche en psychologie nous apprend que les gens continuent de redouter la mort, et refusent souvent d'en parler en détails. Les Cafés mortels, créés en 2004 par le sociologue suisse Bernard Crettaz, ont l'ambition de débarrasser la mort des interdits qui pèsent sur elle dans les conversations de tous les jours. Les participants à ces réunions se rassemblent pour parler du dernier sommeil devant des boissons et des assiettes bien garnies, sans perdre l'appétit pour autant.

Intrigué par le mouvement initié par Crettaz autour des cafés mortels, Jon Underwood a importé les idées de ce dernier à Londres en 2011, où le concept a rapidement gagné en popularité. Un établissement financé par crowfunding a vu le jour quelques temps après.

Audrey Pellicano, quant à elle, a créé le Death Café NYC en suivant le modèle d'Underwood et Crettaz : pas de musique, pas d'interventions orales risquant de couvrir les conversations. Juste quelques hérétiques bravant les normes sociales pour parler de philosophie et de leurs expériences personnelles de manière un peu abstraite.

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« Nous voulions encourager les gens à parler de tout ce qui les hante et dont ils ne peuvent parler à personne d'autre » explique Pellicano.

Pellicano a découvert le concept de café mortel par un contact LinkedIn situé à Colombus, dans l'Ohio. Après avoir travaillé plusieurs années comme assistant aux personnes en deuil, elle a réalisé que le seul fait d'évoquer le deuil dans un lieu public contribuait à apaiser les personnes ayant subi la perte d'un être cher. De même, le fait de déconstruire les tabous sur la mort permet d'affronter la perspective de la fin de vie et de tout ce qui l'accompagne.

Comme il n'y a pas eu de café mortels à New York avant 2013, Pellicano a organisé sa première réunion au Pain Quotidien, à Chelsea. Six personnes se sont déplacées : elle-même, ses deux enfants vingtenaires, et trois autres personnes qui étaient tombées sur son annonce sur Meetup.com. Selon Pellicano, ses enfants ont passé deux heures à évoquer la mort de leurs chiens et celle de leur père, tandis que les inconnus ont parlé de leurs expériences personnelles avec la mort.

Par la suite le groupe a grossi, rassemblant entre 12 et 15 personnes en moyenne à l'occasion de la réunion mensuelle. Le record a été de 75 personnes. Pellicano explique que les réunions attirent des personnes d'origines et d'âges très différents, mais qui entretiennent toutes une certaine fascination pour la mort : des personnes en deuil ressentant le besoin de se confier, des étudiants obsédés par le concept de mortalité, ou encore des individus désireux de raconter des histoires embarrassantes sans se sentir jugés. Par exemple, des histoires sur le fantôme d'un membre de la famille qui les aurait appelés depuis l'au-delà la nuit précédente.

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Lors de la réunion de novembre du Death Café NYC, Joel herm, un habitué, à demandé aux participants à sa table de s'engager dans une expérience de pensée ; ils devaient choisir un objet qui les représenterait après leur mort. En tant qu'ingénieur informatique chez

Lifetrend

, Herm est venu au Death Café NYC pour la première fois dans le cadre des recherches de son entreprise. Les discussions philosophiques auxquelles il a assisté l'ont intrigué au point qu'il continue à se rendre aux réunions à titre personnel. « Je crois que je suis venu au café mortel avec des idées déjà bien arrêtées sur le monde, les êtres humains, la vie et la mort. Mais ici, on se pose des questions très particulières sur la mort… et j'ai continué à venir parce que chaque nouveau participant renouvelle un peu ces questions. »

Après avoir passé la mort au crible pendant presque deux heures, les participants affirment qu'ils voient désormais le trépas d'un bon œil, et affichent même un air réjoui. Cela ne surprend en rien le consultant funéraire Todd Van Beck, qui pense qu'accepter la mort améliore la qualité de vie des individus de manière significative.

« J'ai vu des gens arrêter l'alcool, prendre des bonnes résolutions, devenir plus indulgents, décider enfin de vivre pleinement… parce qu'ils avaient enfin affronté l'idée de la mort. »

Khunprasert, comme d'autres d'ailleurs, quitte la réunion le visage rouge d'avoir trop ri. Émotionnellement parlant, elle se sent plus légère.