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politique

Non, l’ingérence étrangère n’a pas fait basculer l’élection de 2015 en faveur de Trudeau

Mais, juste au cas où, les Libéraux chuchotent à propos de possibles réformes.
Photo by Elizabeth McSheffrey.

Les tentatives d'influencer les élections par des puissances étrangères suspectes sont un phénomène politique en croissance dans le monde, mais le Canada fait pour l'instant bande à part. Toutefois, un rapport « explosif » soumis à Élections Canada affirme que des organisations étrangères, comme Leadnow et Tides Foundation, ont fait entrer au Canada des valises pleines d'argent qui ont fait pencher la balance en faveur des libéraux de Justin Trudeau.

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C'est gros, si c'est vrai. Mais ce ne l'est probablement pas. Voici pourquoi.

Sans surprise, à la tête de Canada Decides, le groupe derrière ce rapport « explosif », on trouve trois proches du Parti conservateur : l'ex-députée conservatrice Joan Crockatt, qui a perdu son siège par quelques voix en 2015 aux mains du libéral Kent Hehr; Brent Chapman, le mari de l'ex-députée conservatrice Kerry Lynne Findley; et Chad Hallman, un étudiant en science politique et militant conservateur sur le campus de l'Université de Toronto.

Les allégations d'influence de la politique canadienne au moyen de capitaux étrangers remontent à un bon moment déjà dans les cercles conservateurs. En 2012, le ministre des Ressources naturelles d'alors, Joe Oliver, avait prévenu que des environnementalistes radicaux financés par des groupes d'intérêt étrangers cherchaient à déstabiliser l'industrie pétrolière canadienne. Plus tard, dans ses audits, l'Agence du revenu du Canada a disproportionnellement ciblé des groupes de défense de l'environnement et des organisations caritatives qui s'étaient opposées aux conservateurs. Les Libéraux ont depuis mis fin à cette pratique.

Pendant la campagne électorale de 2015, c'est en particulier le militant de droite Ezra Levant, suivi par d'autres commentateurs de Rebel Media, qui a lancé ces accusations de financement étranger. Elles ont ensuite été reprises par d'autres médias de droite. Qu'affirment-ils précisément? De riches partisans des libéraux aux États-Unis, dont le milliardaire américain d'origine hongroise George Soros, auraient rempli les coffres de groupes anticonservateurs plutôt que le Parti libéral afin de ne pas contrevenir aux lois limitant ou interdisant les dons directs aux partis politiques. C'est ce à quoi le Canada Decides fait écho dans son rapport.

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Si les dons d'entreprises et de syndicats aux candidats et aux partis politiques sont interdits et ceux des particuliers limités à 1550 $ par année, les règles concernant les dons aux autres organisations, caritatives ou sans but lucratif par exemple, sont beaucoup moins strictes. Les dons à ces dernières sont limités et les dons de l'étranger sont interdits dans les six mois avant le déclenchement des élections — mais, en dehors de cette période, tout le monde peut accepter autant d'argent qu'il le veut de n'importe qui, de n'importe où.

Évidemment, le financement des partis politiques au pays n'en est pas moins exempt de problèmes. Cependant, il y a peu d'indices qui montrent que des capitaux étrangers ont fait basculer l'élection fédérale de 2015, comme le laisse entendre le rapport.

Bien qu'on puisse verser un montant en théorie infini à un groupe tiers en dehors de la période précédant les élections, la limite pendant cette période électorale est strictement limitée : 439 410,81 $ en publicité et 8788,22 $ dans une même circonscription. En entrevue avec Yahoo! en août 2015, un expert en science politique de l'Université de Toronto, Nelson Wiseman, a suggéré que ces limites ont joué un rôle dans la décision de Stephen Harper en faveur d'une campagne électorale hâtivement déclenchée et longue. Non seulement cette longue campagne limitait la somme d'argent qui pouvait être donnée à une organisation tierce, mais ces dernières devaient faire avec les 8788 $ pendant une bien plus longue période que prévu. Une limite draconienne au travail qu'elles pouvaient accomplir.

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Le cas de Leadnow, un des groupes nommés à la fois dans le rapport de Canada Decides et fréquemment par les discours de droite, est particulièrement intéressant. Il s'agit d'un groupe d'activistes en faveur de « n'importe qui sauf le Parti conservateur » qui a organisé un vote stratégique en 2015 dans 72 circonscriptions pivots, définies comme suit : celles où, en 2011, soit un candidat conservateur avait gagné avec moins de 15 % des voix, soit un député libéral, néo-démocrate ou vert l'avait emporté par moins de 5 % des voix devant un conservateur arrivé deuxième. L'objectif affirmé était de soutenir le candidat, qu'importe le parti, qui avait les meilleures chances de battre le candidat conservateur dans ces circonscriptions selon les résultats des sondages. Le groupe a ciblé 11 circonscriptions prioritaires — où les militants ont fait campagne sur le terrain — et appuyé officiellement des candidats dans 18 autres.

Même si les candidats que Leadnow avait appuyés ont été élus dans une proportion d'environ 82 %, le groupe a admis dans son bilan qu'il était difficile d'évaluer avec précision à quel point les résultats étaient attribuables à leurs activités. De plus, ce succès est relatif. Le groupe a favorisé Justin Trudeau parce qu'il s'attendait à ce qu'il mette en place des politiques environnementales progressistes et effectue une réforme du mode de scrutin : il est permis de croire qu'en fin de compte, les militants ne seront pas ravis du rendement de cette cabale internationale contre la puissante industrie pétrolière.

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Nous savons aussi combien les organisations tierces ont dépensé au cours de la campagne : seulement 137 545,75 $ pour ce qui est de Leadnow, à l'échelle du pays. La fondation Avaaz, une organisation de gauche de New York qui comprend une division canadienne, a dépensé un maigre 24 458,22 $. Greenpeace? 2887,58 $. Le groupe écologiste 350.org? 1098,61 $.

En comparaison, le Parti conservateur a dépensé près de 20 millions de dollars en publicité pendant la campagne électorale, sans compter ce qu'ont dépensé les équipes de campagne locales.

Donc, bien qu'un resserrement des règles encadrant le financement des partis politiques reste bienvenu, surtout en politique provinciale, il y a peu de risques que le rapport de Canada Decides fasse éclater un scandale national et rende illégitime le résultat de l'élection de 2015. Toutefois, comme les libéraux se préparent à présenter une réforme justement pour résoudre les problèmes que souligne ce rapport, ils pourraient ainsi donner aux auteurs exactement ce qu'ils demandent.

La démocratie n'est-elle pas merveilleuse?

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