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Comment le traçage des portables permet de mesurer la popularité des drogues

Croisée à l'analyse toxicologique des eaux usées, l'étude des données cellulaires a permis à des scientifiques d'identifier les habitudes de défonce de quartiers entiers.
Image : wk1003mike/Shutterstock

Bienvenue au 21e siècle, une époque où il est tout à fait possible de découvrir comment on se drogue dans telle ou telle ville en analysant des déjections. En fait, comme je l'ai déjà écrit chez Vice, l'analyse toxicologique des eaux usées est même une pratique courante dans de nombreuses parties du monde parmi lesquelles l'Europe, l'Australie, la Chine est quelques coins des États-Unis.

La faiblesse de l'analyse toxicologique des eaux usées, c'est qu'elle dépend d'une variable compliquée : la taille des populations étudiées, qui varie grandement tout au long de l'année. Après tout, le nombre d'habitants d'une ville comme Londres peut beaucoup évoluer en peu de temps à cause du tourisme, des déplacements en transport en commun… Dès lors, comment savoir à qui appartient cette urine infusée à la cocaïne ?

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Une nouvelle étude de l'Institut norvégien pour la recherche sur l'eau d'Oslo propose de résoudre le problème en utilisant les données de localisation de nos smartphones. En d'autres termes : traquer nos téléphones et corréler leur position aux quantités de MDMA retrouvées dans les égouts.

« Le comptage des connections au réseau cellulaire peut fournir des informations anonymes sur les schémas de mouvement des individus dans une zone définie, écrivent les auteurs du papier, publié le 20 septembre dans la revue Environmental Science & Technology. Cela pourrait permettre d'adapter les biomarqueurs de chacun des échantillons à une population précise (et dynamique) correspondant à la période à laquelle l'eau usée testée a été prélevée. »

Pour mettre leur théorie à l'épreuve, les chercheurs ont sélectionné 13 drogues, notamment les amphétamines et la Ritaline (méthylphénidate), la MDMA, la métamphétamine, la cocaïne et même la carbamazépine, une molécule utilisée dans le traitement de la schizophrénie. L'année dernière, des échantillons ont été prélevés à Vestfjorden Avløpsselskap, une usine de traitement des eaux usées d'Oslo dont dépendent 600 000 personnes.

Plus précisément, les prélèvements ont eu lieu en période de vacances, en juin et juillet. Pendant ces mois, la population d'Oslo baisse de 30,5% en moyenne. Un scénario catastrophe idéal pour une étude épidémiologique de ce genre.

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Après avoir fait faire un tour de centrifugeuse à leurs éprouvettes d'eau d'égout, les chercheurs ont utilisé une technique appelée spectrométrie de masse pour y repérer les drogues recherchées grâce à leur poids atomique.

En combinant les données obtenues à un système de surveillance des réseaux, les chercheurs ont effectué plus de 33 millions de mesures sur les lignes de Telenor, un opérateur téléphonique majoritairement public qui couvre la Scandinavie, l'Europe de l'Est et une partie de l'Asie. En temps normal, ces systèmes non-intrusifs sont utilisés pour mesurer la qualité de la connectivité d'un réseau.

« Tout ce dont le système a besoin pour repérer la présence un appareil, c'est que le signal de ce dernier soit capturé par le réseau cellulaire, écrivent les chercheurs. Ces données de signalement sont une manière idéale de mesurer la population en temps réel : c'est un système très fiable, qui est même utilisé par les systèmes de messagerie en cas d'urgence. »

Bilan de l'expérience : la MDMA et la cocaïne sont plus en vogue dans les eaux usées le week-end (merci Sherlock) mais les amphétamines, la meth et les médicaments restent stables tout au long de la semaine.

Cependant, il arrive que la population d'Oslo connaisse des variations de 40% sur seulement 24 heures. Si les chercheurs s'étaient intéressés à une population statique, comme c'est la norme pour ce genre de recherche, ils seraient parvenus à la conclusion erronée que l'utilisation de médicaments tandis que l'utilisation de drogues reste inchangée pendant les vacances, et ce en dépit de la chute de population. Les données cellulaires permet d'arriver à des conclusions beaucoup plus précises.

Évidemment, ce genre de test toxicologique à grande échelle représente une menace pour la vie privée. Le programme d'analyse des eaux usées de Nouvelle-Zélande a été mené en étroite collaboration avec la police. En Australie, les autorités ont sélectionné les régions dont les habitants bénéficiaires de l'aide sociale allaient être soumis à un test toxicologique après avoir analysé leurs eaux usées. Cette méthode a même permis aux policiers australiens de découvrir un laboratoire de MDMA estimé entre 10 et 20 millions de dollars.

La rencontre de l'analyse toxicologique des eaux usées et des données cellulaires est encore plus menaçante pour notre intimité. Les chercheurs norvégiens assurent qu'ils ont caché les informations liées aux « stations de base identifiées par un numéro selon leur région géographique » et que les « données ont été débarrassées de tout élément d'identification susceptible de faire remonter une piste jusqu'à l'utilisateur. »

Mais que se passerait-il si cette information n'était pas cachée ? Dans le futur, à mesure que ce genre de recherche gagne en popularité, nous pourrions bien trouver des conséquences profondes aux découvertes des scientifiques. Surtout si leur travail s'appuie sur des antennes relais gérées par le gouvernement.