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Vivre avec une moitié de cerveau

Comme de nombreux patients dont les crises d'épilepsie sont devenues invivables, Amanda a subi une opération qui l'a privée de son hémisphère gauche.
Bruce Campbell dans Man With the Screaming Brain (2005). Image : Capture d'écran.

Amanda Caldwell est une jeune femme de 24 ans, récemment diplômée de l'Université de Long Beach City College, en Californie. Durant ses études, elle a été DJ, responsable des programmes d'une radio locale, et a co-fondé le club des étudiants handicapés de sa fac. Elle a la ferme intention de vivre de sa plume et a déjà gagné de nombreux prix pour ses écrits de fiction.

Amanda a une vie parfaitement normale, à ceci près qu'elle ne possède que la moitié de son cerveau.

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"Mon handicap est invisible pour les yeux," m'explique Caldwell par téléphone. "Quand les gens me voient marcher dans la rue et qu'ils remarquent que ma démarche est un peu particulière, ils se disent que j'ai probablement fait un AVC lorsque j'étais plus jeune. Ils ne se doutent pas qu'on m'a retiré une grosse partie du cerveau."

Le cas de Caldwell est moins rare que ce que l'on imagine. De nombreuses individus ont subi une ou plusieurs opérations chirurgicales les ayant privés d'un fragment de cerveau. Certains sont devenus orthophonistes. D'autres, coureurs d'ultra-fond de haut niveau. Les raisons pour lesquelles il a fallu effectuer une résection partielle de leur encéphale sont assez variées, mais dans tous les cas, les résultats heureux de ces opérations montrent, une fois de plus, à quel point le cerveau humain est robuste et résilient.

"Pour faire court, il y a deux raisons principales pour lesquelles un individu peut perdre des morceaux de cerveau : la maladie, ou le traumatisme", m'explique Gary Mathern, neurochirurgien pédiatrique à l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA). Il a pratiqué plusieurs hémisphérectomies au court de sa carrière. Selon lui, les traumatismes crâniens peuvent parfois causer des lésions suffisamment graves pour qu'une partie du cerveau cesse de fonctionner, mais lorsqu'il s'agit de retirer un fragment de cerveau grâce à des méthodes chirurgicales, c'est généralement à cause d'une maladie.

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Le plus souvent, c'est parce que ladite maladie provoque des crises d'épilepsie que le chirurgien propose d'effectuer une résection. Ces maladies affectent souvent de jeunes enfants, et deviennent si handicapantes que retirer la partie du cerveau impliquée est souvent la seule option disponible.

"Les crises atteignent parfois un point où elles sont si fréquentes que l'enfant ne peut plus se développer correctement : son cerveau ne connait jamais d'état de repos – il n'a pas le temps de se remettre de la dernière crise qu'il doit déjà en affronter une autre", m'explique Mathern. "La seule option raisonnable à ce stade est de couper les parties à l'origine des crises – ce qui peut correspondre à de très larges sections du cerveau. Ainsi, le reste de l'encéphale peut se développer normalement."

Le cerveau flottant dans le film The Brain from Planet Arous (1957).

C'est exactement ce qui s'est passé dans le cas de Caldwell. Durant toute son enfance, elle a connu des crises épileptiques récurrentes à raison de trois ou quatre par jour, suite à un accident vasculaire cérébral survenu avant sa naissance. On lui a diagnostiqué une paralysie cérébrale, puis une épilepsie. Elle a essayé plusieurs types de médicaments, dont des traitements expérimentaux. Hélas, les crises étaient de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues. L'année de ses cinq ans, à l'occasion de son dernier jour en classe de maternelle, elle a connu une crise terrifiante qui a duré plus de 20 minutes, et qui n'a pris fin qu'après que les ambulanciers l'ont transportée à l'hôpital.

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"C'était le genre d'attaque qu'on ne voit que dans les films. J'avais des convulsions très impressionnantes, et je salivais de la mousse", ajoute Caldwell. Même si elle ne se rappelle pas de l'événement, ses parents lui ont décrit en détails. "C'était vraiment affreux."

À ce moment-là, elle a été retirée des essais cliniques auxquels elle participait, au grand désespoir de ses parents. Ils imaginaient que toutes les solutions thérapeutiques avaient été épuisées, et que leur fille allait progressivement succomber aux crises. Finalement, les médecins ont recommandé le dernier traitement éligible : une hémisphérectomie. Peu après son 6ème anniversaire, les chirurgiens ont ouvert le crâne de Caldwell, ont détaché ses deux hémisphères cérébraux l'un de l'autre, et en ont retiré un. Depuis ce jour, elle n'a pas eu la moindre crise.

Sa rémission n'aura pas été facile pour autant. Parce qu'on lui avait retiré tout l'hémisphère gauche, Caldwell a dû "apprendre" à la moitié droite de son cerveau à contrôler la partie droite de son corps. À présent, elle peut marcher, courir (même si elle ne gambade pas comme un cabri), et peut bouger son bras droit – même si elle ne contrôle pas encore sa main. De même, elle peut effectuer toutes sortes de rotations avec sa jambe et sa cheville droite, voire, les bons jours, faire bouger ses orteils. Fait remarquable : elle n'a jamais eu besoin de ré-apprendre à parler, ce qui est pourtant le cas de la majorité des patients ayant subi une hémisphérectomie.

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"Je crois que j'ai vraiment toutes mes capacités de ce côté là", me confie-telle. "J'ai eu un AVC alors que j'étais toujours dans le ventre de ma mère, et selon mon neurologue, mon cerveau avait déjà eu le temps de spécialiser mon hémisphère droit, afin qu'il soit le seuil privilégié du langage. Le côté droit était déjà le gardien de ma capacité à communiquer."

Non seulement Caldwell n'a aucun mal à parler, mais elle est particulièrement douée pour ça. Elle s'exprime de manière vive et spontanée, passe d'un sujet à l'autre avec la plus grande aisance, et décoche blague sur blague. Cependant, elle éprouve quelques difficultés à effectuer d'autres tâches. Elle fond facilement en larmes, submergée par l'émotion, a dû mal avec les mathématiques un peu trop complexes, et a eu besoin d'un tuteur pour l'assister dans ses études à la fac. Ce décalage entre une rémission impressionnante et de petits dysfonctionnements cognitifs et moteur illustre bien la nature intriquée, incertaine et hyper-complexe du cerveau : nous en savons encore peu sur ses capacités à guérir.

"C'est terrifiant, parce que je ne sais pas du tout quelles capacités je vais pouvoir retrouver."

C'est cette incertitude qui a poussé Seth Wohlberg à lancer le projet R.E. Children, une association sans but lucratif qui finance la recherche sur l'encéphalite focale de Rasmussen – une maladie neurologique extrêmement rare qui provoque des crise d'épilepsie. Elle est généralement traitée par hémisphérectomie. La propre fille de Wohlberg a été diagnostiquée à l'âge de 10 ans et a subi cette opération immédiatement après. Sept ans plus tard, elle va très bien. Wohlberg pense néanmoins qu'il est nécessaire de trouver une méthode moins invasive pour traiter cette forme d'encéphalite.

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"Je pense que c'est un miracle que des gens puissent vivre avec une moitié de cerveau, mais il y a un revers à la médaille", m'explique-t-il par téléphone. "La démarche est très violente. C'est comme si vous vous blessiez à la main, et que le chirurgien vous disait 'ah, dans ce cas je vais devoir vous couper tout le bras'."

Le projet R.E. Children a permis de lever des fonds pour la recherche sur cette maladie, et finance également les dons de tissus des personnes opérées.

Évidemment, tous les patients ne s'en sortent pas aussi bien que Caldwell. Mathern m'a expliqué que retirer une partie du cerveau pouvait avoir des conséquences imprévisibles, créant parfois la surprise chez les neurochirurgiens les plus expérimentés. Il est très difficile d'évaluer quelle masse du cerveau il est possible de retirer sans compromettre les capacités du patient à court et à long terme.

De même, l'âge du patient au moment de l'opération est un facteur déterminant du succès du traitement. Plus il est jeune, plus la plasticité du cerveau est importante. En vieillissant, la capacité de notre cerveau à se réorganiser sur le plan spatial diminue. Mathern est bien placé pour le savoir : il a subi un accident vasculaire cérébral il y a deux ans. L'AVC a affecté son lobe frontal droit et a altéré sa motricité fine. Pour un chirurgien, c'est ce qu'il pouvait arriver de pire.

"Je ne m'en suis pas encore sorti. Je ne sais pas à quel point je pourrai progresser. Je ne serai peut-être plus jamais capable d'opérer quelqu'un à nouveau", explique-t-il. "C'est extrêmement frustrant, car je ne peux plus vivre comme avant – c'est également terrifiant dans la mesure où je ne sais pas quelles capacités je vais pouvoir retrouver."

Dans son malheur, Mathern sait mieux que quiconque que son cerveau lui réserve peut-être quelques bonnes surprises. Espérons qu'en accroissant les connaissances médicales sur le sujet, il parvienne à améliorer sa propre santé.