Boaty McBoatface et la magie des référendums sur Internet

Le public l'exige : le nouveau navire océanographique du Natural Environment Research Council (NERC) doit être baptisé Boaty McBoatface. En lançant un référendum en ligne pour nommer son nouveau bâtiment de recherche le mois dernier, cet organisme public britannique spécialisé dans les études environnementales ne s'attendait sans doute pas à ce que la vox populi soit si blagueuse. Plus de 27 000 personnes se sont prononcées en faveur de ce nom un peu ridicule après qu'il a été lancé sur Twitter par l'ancien présentateur de la BBC James Hand. L'afflux de votants a été tel que le site du sondage est tombé dimanche.

Ça aurait pu être pire. Les autres suggestions du public incluent Usain Boat, Notthetitanic et Pingu. De plus, le référendum organisé par le NERC ne prendra fin que le 16 avril prochain. Un revirement de situation est toujours possible, bien qu'improbable : lundi 21 mars, "Boaty McBoatface" avait 25 000 voix d'avance sur son challenger, le très recevable "Henry Worsley". Et quoi qu'il arrive, le NERC aura le dernier mot. L'organisme a spécifié dans les règles de son référendum qu'il serait le seul à décider du nom définitif du "vaisseau de recherche royal" de 128 mètres. C'est à croire que quelqu'un avait prévu que la consultation numérique serait braquée par des rigolos.

L'histoire récente des sondages sur Internet a largement prouvé que les mouvements de foule numérique comme celui qui a porté Boaty McBoatface sont très vite arrivés. En 2009, la marque de pâte à tartiner Vegemite a du baptiser l'un de ses nouveaux produits "iSnack 2.0" après que 48 000 personnes se soient prononcées en faveur de ce nom au cours d'un référendum web. Trois millions de pots ont été distribués avant que le produit ne soit renommé Vegemite Cheesybite.

La ville d'Austin a également fait les frais de la démocratie Internet. Quand la capitale du Texas a décidé de renommer sa décharge en 2011, elle a organisé un plébiscite sur son site officiel. Les participants, libre de soumettre leurs propres idées et de voter pour celles des autres, se sont largement prononcés en faveur de "Fred Durst Society of Humanities and Arts". Quoi que très amusant, ce vilain hommage au chanteur du groupe de néo-métal Limp Bizkit n'a pas séduit les responsables politiques d'Austin. La décharge s'appelle désormais Austin Resource Recovery, au mépris des voix rigolardes de 27 000 personnes.

Dans certains cas, ces référendums qui déraillent ne sont pas le fruit d'un élan spontané. Plusieurs sites communautaires sont devenus experts dans l'abordage des consultations sur Internet ; le forum 4chan est l'un de ces plus fameux pirates. Le 13 août 2012, Mountain Dew a demandé à ses consommateurs de donner un nom à sa nouvelle boisson au goût de pomme. Les vilains utilisateurs de l'imageboard ont saboté le sondage en votant massivement pour "Hitler did nothing wrong", "Fapple", "Grannies Squirt" et tout un tas d'autres blasons très incorrects. 24 heures après l'ouverture des urnes, Moutain Dew a mis un terme au scrutin. "Nous avons perdu face à Internet", avait alors déclaré la marque sur Twitter.

Bien joué, Mountain Dew.

Les autres faits d'armes de 4chan au contact de référendums web incluent : manipuler le Time 100 pour écrire des bêtises, tenter d'envoyer Justin Bieber en concert en Corée du Nord, élire un enfant handicapé égérie d'une marque de savon norvégienne… D'autres sites communautaires sont bons à ce jeu, sans l'humour obscur de 4chan. En 2007, Reddit a ainsi fait baptiser une baleine Mister Splashy Pants par Greenpeace. Grâce à son plébiscite, l'ONG de protection de l'environnement espérait attirer l'attention sur la cause des cétacés. Elle ne s'attendait sans doute pas à un tel succès : l'affaire Mister Splashy Pants a fait assez de bruit pour convaincre le Japon d'interrompre sa chasse aux baleines à bosse.

Reddit a également tenté de faire jouer Taylor Swift dans une école pour malentendants - sans succès, évidemment. En guise d'excuses, la chanteuse et les organisateurs du sondage incriminé ont tout de même versé 50 000 dollars à l'établissement et distribué des tickets gratuits à ses élèves. C'est la magie de la démocratie du web : une blague douteuse peut se transformer en triomphe. On espère que le Natural Environment Research Council s'en souviendra au moment fatidique.