Le Weird Facebook se rebelle contre ses maîtres

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Le Weird Facebook se rebelle contre ses maîtres

Contre la nébuleuse de pages humoristiques qui essaiment sur Facebook, Mark Zuckerberg a choisi la répression. Mais c'était sous-estimer la force des mèmes.

Le sens du mot « mème » évolue à toute vitesse. Lorsqu'il est né sous la plume du biologiste de l'évolution Richard Dawkins en 1976, il désignait une idée, un comportement ou un style qui se transmet d'individu en individu à la manière d'un gène. Selon cette définition, « les slogans, les modes vestimentaires, les technique de poterie » sont des mèmes. Avec l'avènement du web, le terme a évolué pour qualifier les innombrables représentations, éléments de langage et attitudes qui naissent, se propagent et mutent grâce aux internautes, du planking à SpongeGar. C'est sous cette acception qu'il s'est peu-à-peu fait connaître du tout-venant. En se diffusant, il a vu son sens s'élargir. Désormais, il n'est pas rare de voir un macro ou un simple montage qualifié de mème. Ce glissement sémantique se manifeste de manière éclatante sur le Weird Facebook, une nébuleuse de pages humoristiques aux titres inspirés : Spicy Saddam Memes, Young Thugga La Meme, Real Alcoholic Memes, Amphetameme, etc.

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Les contenus qui circulent sur le Weird Facebook sont parfois des mèmes Internet au sens strict du terme. On y croise des blagues venues de Twitter comme You vs the guy she told you not to worry about ou Starter Pack, des Slav Squat, du Nut Button, ou des références à l'univers de la vaporwave. Dans la majorité des cas, ces classiques nagent au milieu d'images amusantes, déprimantes ou absurdes : une photo de Shaquille O' Neal endormi, un gif de poules qui picorent des nuggets, ou encore des captures d'écran de Snapchat à l'authenticité discutable. Les responsables de ces pages semblent poster ce qui les amuse, tout simplement. Nombre d'entre eux produisent même du contenu original. Quoique fantasque, cette ligne éditoriale séduit les internautes : The Best of Starter Pack Memes a attiré plus de 600 000 personnes depuis son ouverture en décembre 2014 et Nihilist Memes compte presque 1,1 million de fans.

Ce succès étonne les observateurs de la culture web. Ces pages ont-elles tiré parti du mystérieux algorithme qui gouverne votre fil d'actualités ? Sont-elles parvenues à attirer le public en pratiquant un humour typique d'Internet, relents racistes, sexistes et homophobes en moins ? Jusqu'à l'apparition du Weird Facebook, les principaux producteurs de contenu amusant—4chan, Reddit, Twitter—s'illustraient tant par leur créativité que par leurs bouffées d'intolérance plus ou moins ironiques. À l'inverse, les producteurs de mèmes qui ont trouvé refuge chez Mark Zuckerberg ont, quant à eux, choisi l'ouverture d'esprit. Pas de contenu ni de commentaires discriminatoires chez eux, même pour plaisanter : « Les gens en ont marre de voir des membres du Ku Klux Klan de 13 ans régner sur le humor game, » affirme l'un des administrateurs de la page I Play KORN to my DMT plants, smoke blunts all day & do sex stuff dans le New York Magazine. A son sens, les abonnés de sa page doivent pouvoir rire tous ensemble. Les règles de transparence imposées par le réseau social achèvent d'unir la communauté du Weird Facebook : « Ces gens voient toute ta vie, » indique l'administrateur de Cabbage Cat. « C'est plus personnel, et ils deviennent des fans loyaux. »

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Avec ses membres bien identifiés et ses blagues tout public, le Weird Facebook incarne un nouveau courant de l'humour Internet. Il rappelle que l'on peut être créatif sans s'immerger dans une communauté de puristes anonymes et s'amuser sans écorcher les minorités. Grâce à Nihilist Memes et ses confrères, le plus grand réseau social du monde est redevenu cool, au moins un peu. Rien ne présageait le succès de ces groupes ; au mois d'août 2014, le Daily Dot a montré que leurs principaux administrateurs étaient indifférents à l'attention médiatique et que Facebook n'encourageait en rien leur existence. « (Sa) politique semble opposée au développement organique de groupes créatifs étendus et dynamiques » relève le magazine. Malheureusement pour ces pages, la paix a été de courte durée. Au mois de juillet dernier, Facebook a supprimé plusieurs d'entre elles sans prévenir. Cabbage Cat (75 000 abonnés) et Gangster Popeye (55 000 abonnés) ont été les premières à disparaître.

Facebook se justifie en affirmant que ces pages avaient violé les termes d'utilisation du réseau social. Le goût de l'administrateur de Cabbage Cat pour les blagues sur les blancs a peut-être joué : « Mes dernières publications parlaient… d'avocats trop épicés pour les Caucasiens, » explique-t-il au Daily Dot. « Les pages qui font des blagues sur les enfants noirs qui n'ont pas de père et des trucs du genre deviennent énormes (…), mais si vous dites que les avocats sont épicés ou que les blancs préfèrent le missionnaire, (votre page) va être désactivée. »Quant à la disparition de Gangster Popeye, elle pourrait avoir été causée par un montage qui proclame : « Je suis ce que je suis et ce que je suis est le Président des Etats-Unis. » Dans les deux cas, Facebook a frappé sans avertissement. Sad Screenshots Taken Out Of Context (550 000 abonnés) a disparu à son tour il y a environ deux semaines, toujours sans explication. Les pages Everything Is A Social Construct, Kevin 3, Creme de la amphetameme et NSW semblent avoir subi le même sort.

Le 11 août dernier, les pontes du Weird Facebook se sont révoltés en lançant la campagne #FreeTheMemes. Plus de 90 pages se sont immédiatement jointes au mouvement. Ensemble, elles entendent dénoncer ce qu'elles considèrent comme des politiques de modération injustes et arbitraires. La première étape de cette manifestation numérique consistait à superposer un f inversé sur fond rose sur sa photo de profil. Le lendemain, les administrateurs des groupes impliqués ont diffusé simultanément un message appelant les internautes à contacter la Federal Trade Commission pour se plaindre de la situation. « La FTC est une entité gouvernementale qui régule les sociétés privées et protège les consommateurs contre la fraude et le monopole, » explique le texte. « Retournons la politesse à zucc (Marck Zuckerberg, ndlr). » Quelques lignes plus bas, les architectes de #FreeTheMemes montrent qu'ils ne sont pas dupes : « Tout ça ne changera peut-être rien (…) mais dites-vous que c'est un geste fort. »

Il y a en effet bien peu de chances que Facebook se montre réceptif à cette révolte. À moins que ses actionnaires ne décident que leurs intérêts sont en jeu, le réseau social ne modifiera probablement pas ses règles de modération. « Somme toute, je pense que la FTC ne fera rien, » explique le meme activist Guillermo Thomas au Daily Dot. « Tout ceci montre au moins que la meme community est très unie (…). Facebook a entamé un génocide de mèmes, et nous allons finalement contre-attaquer. C'est avant tout symbolique, mais ça attire l'attention sur un problème auquel tous les admins de ces pages ont été confrontés. » Un peu plus d'une semaine après le lancement de l'opération #FreeTheMemes, la réaction de Facebook se fait toujours attendre. Le combat n'a pas fait disparaître la crainte de nouvelles suppressions mais le moral reste bon : après tout, les mèmes en ont déjà vu d'autres.