Je me suis acheté une voiture en revendant des vaisseaux sur "Star Citizen"

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Je me suis acheté une voiture en revendant des vaisseaux sur "Star Citizen"

J'ai vu là une belle opportunité de me faire du fric, de me marrer un peu, et d'acheter des vaisseaux sans culpabiliser. J'ai foncé.

Quand j'ai précommandé Star Citizen en 2013, j'espérais un jeu assez fun, qui m'avait été vendu, en gros, comme un croisement entre War Thunder et EVE Online. Plus de trois ans après, j'ai une histoire beaucoup plus drôle à raconter que n'importe quelle aventure intergalactique : grâce à un vaste marché gris de vaisseaux spatiaux destinés à un jeu qui n'existe même pas encore, j'ai réussi à faire quelques milliers de dollars de profit. C'était tellement facile et tellement beau que même si Star Citizen ne devait jamais sortir, j'aurai de toute façon déjà gagné.

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Le premier truc qui m'a branché sur le jeu, c'était une pub. Chaque vaisseau présent dans le jeu est produit par une entreprise fictive mais crédible qui fait sa promotion par le biais de campagnes de pub, et j'ai eu l'impression qu'on me vendait une voiture, avec une certaine emphase sur les performances et le design.

Franchement, j'ai cru que c'était une blague, tellement c'était parfait. Cette pub pour une BMW de l'espace, avec sa voix off façon Don Draper, est ce qui m'a donné envie de jouer au jeu. Je n'avais pas particulièrement envie de me transformer en Space Draper, mais je rêvais de détruire les superbes vaisseaux de luxe de l'élite spatiale. J'ai donc acheté le forfait de précommande le moins coûteux, qui me donnait accès au jeu et à un vaisseau de base, sans chichis. Ça m'allait bien, étant donné que ma caisse IRL était une bonne vieille Ford Escort - ce qui se fait de plus banal.

Comme Cloud Imperium Games (CIG) prévoyait de sortir Star Citizen en 2015, soit deux ans dans le futur, mes ambitions destructrices marinaient dans un coin de ma tête. J'ai reçu un mail m'informant que la "garantie à vie" ne serait bientôt plus disponible à l'achat, et que certains vaisseaux allaient disparaître de la boutique du jeu.

Jusque-là, tous les vaisseaux bénéficiaient de la garantie à vie, ce qui signifiait qu'ils seraient remplacés gratuitement s'ils étaient détruits, au lieu de devoir payer une assurance dans le jeu. J'ai décidé d'utiliser une carte-cadeau reçue pour mon anniversaire pour m'acheter un deuxième vaisseau, un peu plus luxueux que le premier. Il coûtait 80$ et il n'était pas vendu avec une précommande du jeu, ce qui faisait que je ne pouvais pas l'échanger contre ma Space Escort. C'était difficile à justifier, mais sur les images, il ressemblait à un truc tout droit sorti de F-Zero. Bref, je me suis retrouvé avec deux vaisseaux.

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Les forums officiels du jeu étaient blindés de gens qui se vantaient d'avoir claqué des sommes folles et de posséder des garages (théoriques !) remplis de merveilles spatiales. Pour déconner, j'ai posté un faux message où je faisais semblant d'être pris par le remord, et moins d'une heure plus tard, j'ai reçu un message d'un type qui me demandait si je voulais revendre mon vaisseau. Ça m'avait tout l'air d'être une arnaque, alors j'ai tenté d'identifier tous les moyens par lesquels je pourrais me faire baiser par un plan pareil. Au final, le risque de perdre un vaisseau qui n'existait même pas était moins apparent que la perspective de récupérer plus d'argent que je n'en avais mis dans mon achat initial. J'ai donc accepté de lâcher mon vaisseau dès que l'argent figurerait sur mon compte, et j'ai donné à l'acheteur mes coordonnées PayPal.

146 dollars sont apparus presque aussitôt sur mon compte, soit bien plus que ce qu'on avait dit. Ça m'a un peu fait flipper.

146 dollars sont apparus presque aussitôt sur mon compte, soit bien plus que ce qu'on avait dit, et près du double du prix original du vaisseau. Ça m'a un peu fait flipper. Quand je lui ai demandé, il m'a avoué s'être planté sur le taux de conversion Euro-Dollar, mais que je pouvais garder la différence puisque je lui faisais une fleur. En gros, c'était une sorte de pourboire pour service rendu. Mais pendant trois jours, je n'étais pas tout à fait serein, jusqu'à ce que le virement soit tout à fait définitif. Je lui ai donc envoyé mon vaisseau, et j'ai attendu qu'un e-mail vienne m'informer que l'argent avait été retiré de mon compte ; ce mail n'est jamais arrivé.

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Voyant bien que je m'étais fait de l'argent dans cette affaire, j'ai décidé de traîner un peu au sein de la communauté et d'en apprendre plus sur la valeur de certains vaisseaux sur le marché de l'occasion. J'ai découvert que malgré les avertissements de CIG concernant la fin de la garantie à vie, les gens qui avaient soutenu Star Citizen dès le début bénéficiaient de certains privilèges. Comme j'avais précommandé le jeu au tout début, je pouvais non seulement toujours acheter des vaisseaux dotés de la garantie à vie, mais je pouvais ensuite les revendre à des gens qui n'y avaient pas accès puisqu'ils s'étaient inscrits après moi. J'ai donc vu là une belle opportunité de me faire du fric, de me marrer un peu, et d'acheter des vaisseaux sans culpabiliser. J'ai foncé.

Ce statut d'"early adopter" conférait à certains un pouvoir considérable sur le marché. Comme les vaisseaux bénéficiant de la garantie à vie coûtaient autant que ceux qui n'en bénéficiaient pas, des gens envoyaient de l'argent à des intermédiaires pour réaliser des transactions. Sur les forums officiels, des threads entiers étaient consacrés à ces transactions, et les "pourboires" étaient vivement encouragés. CIG avait en somme créé un marché où des gens pouvaient faire du profit en se contentant de faire l'intermédiaire entre CIG et les mecs qui voulaient posséder les meilleurs vaisseaux au lancement du jeu, qui ne surviendra que dans quelques années dans le meilleur des cas.

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CIG a fini par bannir ces pratiques des forums officiels, et les vendeurs/acheteurs se sont alors réfugiés sur Reddit et d'autres sites. Je me suis donc retrouvé à surveiller le marché sur cinq forums de fans différents, mais aussi sur le subreddit Starcitizen_trades, qui servait de plaque tournante.

Alors que les communautés de fans se chauffaient au sujet des diverses organisations déjà très structurées (ça parlait de rangs, de hiérarchies militaires, d'insignes, et même de manuels d'instructions), le subreddit demeurait relativement neutre. Le marché des vaisseaux sur Reddit avait adopté une posture très libérale. La modération servait simplement à garantir que les différents threads n'étaient pas pollués par de faux vendeurs.

À mesure que le temps passait et que les sommes recueillies augmentaient de plusieurs millions par mois, CIG se mit à vendre de plus en plus de vaisseaux pour des périodes limitées, ou à réintroduire dans la boutique des vaisseaux censés avoir disparu. Et il n'y avait pas que les vaisseaux ; d'autres trucs liés à Star Citizen se vendaient à des prix insensés au sein de la communauté. Des trophées virtuels vendus par CIG s'achetaient pour 5$, et se revendaient pour 30$. Les gens qui s'étaient abonnés au magazine mensuel consacré au développement du jeu pouvaient acheter des objets purement cosmétiques pour 5$, et les revendre ensuite pour deux ou trois fois ce montant.

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Puisqu'on ne pouvait pas les comparer dans le jeu, et que la plupart d'entre eux n'existaient que sous forme de JPEGs, il était impossible de calculer la valeur relative de chaque vaisseau. On pouvait seulement estimer que la garantie à vie valait potentiellement des centaines de dollars pour les plus grands vaisseaux, au vu ce que payaient les gens.

Des théories sans fondement concernant le fonctionnement éventuel du jeu poussaient de très nombreux joueurs à croire que leurs investissements dans les vaisseaux - qui atteignaient parfois des milliers de dollars - finiraient par valoir le coup une fois que le jeu sortirait. Ils voulaient croire que leur Space Renault Fuego serait surpuissante une fois dotée du bon équipement, et qu'il serait absurde de ne pas se préparer à l'avance. Tout cela était très subjectif et ne reposait sur rien, et pourtant des milliers et des milliers de dollars étaient dépensés chaque jour à cause de ce genre de raisonnements - et la plupart du fric revenait à CIG, ne nous y trompons pas. Ce marché était en somme de la finance pure, gravitant autour du subreddit Starcitizen_trades.

Quand j'osais demander des prix supérieurs au marché pour mes biens virtuels, on me félicitait et on vantait mon courage, car ça faisait grimper les prix ; à l'inverse, quand je vendais à des prix plus bas, on s'empressait d'enterrer mon message à coups de downvotes avant que je ne déprime le marché. Le désir de vaisseaux spatiaux était si grand que des gens proposaient des clés pour d'autres jeux, de la monnaie issue d'autres MMO, et des services tels que du web design ou des portraits personnalisés de votre pilote.

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Mais ce que j'ai préféré, ce sont les fois où j'ai vu des mecs proposer d'échanger des voitures ou des motos - des moyens de transport bien réels - contre des vaisseaux totalement virtuels. Je guettais en permanence des news consacrées à Star Citizen - pas au sujet du jeu lui-même, mais en quête d'informations susceptibles d'avoir un impact sur le marché dans lequel je m'étais jeté à corps perdu.

La transaction la plus compliquée et la plus louche que j'aie menée a commencé quand j'ai entendu dire que le service clients de CIG permettait aux gens d'acheter un vaisseau limité à 300 exemplaires. Un e-mail plus tard, envoyé depuis mon statut de client privilégié, j'étais sur liste d'attente.

J'ai commencé à prendre ces transactions très au sérieux. Je me suis mis à insister pour qu'on s'appelle par Skype, pour éviter les faux comptes et les scams.

CIG venait de me donner la possibilité (éventuelle) de dépenser 300$ pour acquérir un vaisseau que je pourrais aisément revendre 2000$. J'avais déjà trouvé un acheteur, qui était hyper heureux que j'accepte de le lui lâcher pour seulement 1800$. Il était prêt à payer un tiers de la somme d'avance, en attendant de toucher son salaire. Deux semaines plus tard, il m'a expliqué qu'il devrait en fait attendre un peu plus longtemps, la faute à des problèmes de voiture sans doute plus importants qu'un vaisseau spatial. Deux semaines plus tard, ses comptes n'existaient plus. J'ai attendu un mois, sans le moindre moyen de le contacter, puis j'ai fini par revendre le vaisseau plein pot à quelqu'un d'autre. Et sachant que j'avais la quasi-certitude d'au moins m'y retrouver dans chaque transaction, comment réinvestir cet argent ?

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J'ai commencé à prendre ces transactions très au sérieux. Je me suis mis à insister pour qu'on s'appelle par Skype, pour éviter les faux comptes et les scams. J'ai aimé discuter avec ces gens, et leur enthousiasme pour le jeu était communicatif. Quand je repense à ces discussions, je souris encore : je me souviens notamment d'un Texan qui était super chaud pour devenir pilote de bombardier, et dont la bonne humeur ne s'était effacée que quelques instants, le temps pour lui "d'avoir l'honnêteté" de m'informer qu'il était shériff et que si je l'arnaquais, j'en subirais les conséquences légales où que je sois.

Un ingénieur originaire de Malte qui achetait un camion poubelle de l'espace fut ravi de m'expliquer comment il aurait dessiné le vaisseau en question pour le rendre plus réaliste. Alors que je bossais (je suis caissier), un mec se pointa quelques minutes avant la fermeture et remplit un caddie entier de cartes de baseball. Il m'expliqua qu'il se faisait plein de fric en les revendant sur eBay. Il faisait la même chose que moi. J'étais content de les voir heureux, même si au final ils profitaient des mauvaises décisions des autres.

Quelques semaines après le début de l'hiver, le moteur de ma Ford Escort m'a soudainement lâché. Il fallait que je trouve une nouvelle voiture. Étant donné que l'essentiel de mes économies des deux dernières années se trouvait investi dans des vaisseaux spatiaux virtuels, il ne me restait plus qu'à me tourner vers ce marché. Vendre des vaisseaux à bas prix et négliger les bonnes manières en contactant directement les gens pour conclure des deals m'a valu quelques remontrances, mais ça a surtout été efficace. Mon budget voiture dépendait totalement de ma capacité à vendre des vaisseaux avant le week-end. J'envoyais des mails non-stop, en me laissant volontairement avoir car je savais bien que les choses concrètes valaient mieux que les JPEGs de vaisseaux.

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J'ai appelé mon oncle, concessionnaire aguerri, pour qu'il m'aide à remplacer mon Escort pétée. J'étais tout à fait incapable de faire ça seul. Contrairement aux vaisseaux de Star Citizen, il s'agissait de véhicules bien réels, pas forcément fiables et potentiellement affligés de problèmes indétectables à l'oeil nu. J'avais fait une petite liste de ce que je cherchais, de ce que j'étais prêt à dépenser, et j'avais exactement un jour pour choisir une caisse. Au pire du pire, je pouvais toujours me rabattre sur ce PT Cruiser mis en vente pour 800$ juste à côté de chez moi. Mais je préférais éviter.

On est allés faire un tour au fameux Roseville Automall de Sacramento, où mon oncle m'a tenu éloigné des vieilles caisses pétées et rouillées qui puaient le plastique brûlé et ne valaient clairement pas les sommes indiquées. Le parking de Sierra College se transforme en foire aux voitures le week-end, et c'était clairement là que se trouvaient les bonnes affaires. Là-bas, les gens vendaient leurs caisses directement, et n'avaient pas l'intention de tenter de refourguer des épaves pendant des mois. Ils voulaient vendre vite, et pratiquaient donc des prix compétitifs. Autrement dit, il y avait de l'action.

Ses questions n'étaient pas celles qu'aurait posé quelqu'un de très intéressé et d'un peu naïf. C'étaient des frappes chirurgicales.

Après un petit tour du parking, on a repéré deux voitures à des prix normaux et en état relativement correct. Parmi elles, une Toyota Corolla marron, clairement mieux que mon Escort. Elle avait peu de kilomètres au compteur et elle était super propre, comme s'il n'y avait jamais eu besoin de la nettoyer. Mais le temps que j'appelle, elle était déjà vendue. Mon choix s'est alors porté sur une Hyundai Elantra de 2007, d'une couleur qu'on m'a présentée comme un "bleu Seattle". Elle avait plus de 170.000 km au compteur, mais elle était nickel. Et pour éviter le PT Cruiser, j'étais prêt à prendre le risque.

J'ai regardé mon oncle faire le boulot à ma place. Il a appelé le propriétaire et lui a posé des questions avec une fausse voix nasillarde, comme s'il lui faisait une blague. Ses questions n'étaient pas celles qu'aurait posé quelqu'un de très intéressé et d'un peu naïf. C'étaient des frappes chirurgicales, pour voir ce que le vendeur savait vraiment et lui mettre le doute concernant l'état réel de sa voiture.

Avait-elle été entretenue régulièrement ? Les pneus étaient-ils neufs ? Quand la courroie de distribution avait-elle été changée ? Les sièges semblent un peu usés : la voiture a-t-elle été conservée dans un garage envahi par les rats ou les souris ? C'était de la magie, pas le genre de trucs qu'on peut faire avec de faux vaisseaux. Son analyse des réponses du vendeur était simple : le fait qu'il continue à tenter de vendre la caisse alors qu'on lui manquait totalement de respect indiquait bien qu'il voulait vraiment la vendre. Alors ça a été mon tour de l'appeler.

La voiture de l'auteur, acquise en revendant des vaisseaux virtuels.

Moins d'une heure plus tard, j'avais testé la voiture et on discutait déjà du prix. Le mec voulait 5.500$, ce qui objectivement était raisonnable. J'ai demandé quand elle devrait repasser le contrôle technique, et quand la batterie avait été remplacée. Il a dit qu'il pouvait descendre jusqu'à 5.250$. J'ai demandé s'il savait quand la courroie avait été changée, et il a avoué qu'il n'avait pas retrouvé les papiers. J'ai laissé un silence après ça. Il a ouvert la bouche pour dire un truc, et a finalement proposé de baisser le prix à 4.800$. J'avais vraiment l'impression d'être dur avec ce mec, en lui faisant baisser autant son prix. Est-ce que j'étais vraiment honnête ?

Je suis ressorti de la banque avec une enveloppe pleine de billets de 100$, le fruit de deux années passées à dealer des vaisseaux spatiaux. C'était un peu répugnant de me dire que c'était de l'argent que d'autres avaient investi dans des babioles virtuelles qui ne leur serviraient peut-être jamais. Mais j'avais su convertir ce rien en une voiture qui était désormais la mienne.

Savoir que cette folie absurde qui s'était emparée d'autant de gens allait financer ma caisse m'a soulagé. Quand le vendeur et moi avons signé les papiers et conclu le deal, il m'a remercié.

Aujourd'hui, j'ai presque totalement arrêté de m'intéresser aux ventes de vaisseaux incessantes de Star Citizen. J'ai revendu tout ce qui traînait dans mon hangar, conservant seulement une petite poignée de vaisseaux au cas où j'aurais un jour envie de jouer au jeu - s'il finit par sortir. Et ma caisse fonctionne parfaitement, même sans nouvelle courroie de distribution.