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Crime

Pourquoi j’ai décidé de me faire enfermer seul pendant un mois

Depuis le 12 décembre, James Burns a accepté d'être filmé 24 heures sur 24 dans le but de dénoncer l’inhumanité des cellules d‘isolement.

Quelques heures avant d'être placé en isolement pour la première fois de sa vie, James Burns découvrait Jurassic Park au cinéma en compagnie de sa mère. Il n'avait que six ans à l'époque mais il s'en souvient encore comme d'un affreux cauchemar. Sa mère se droguait. Passer la journée en tête-à-tête avec elle relevait du calvaire. Sur le chemin du retour, sa mère l'a volontairement abandonné devant un établissement psychiatrique. En effet, après de nombreux problèmes de comportement à l'école, les services de l'enfance de Denver avaient jugé que James courrait un réel danger.

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James n'a jamais oublié les gants en latex portés par le personnel, qui n'a pas hésité à baisser son pantalon pour lui injecter une dose de chlorpromazine afin de le tranquilliser. Le personnel soignant l'a laissé dans une « pièce feutrée » – certes différente d'une cellule d'isolement en milieu carcéral mais tout de même traumatisante pour un gamin de six ans.

Ce jour marquait le début d'une histoire de plus de 15 ans entre James et le système carcéral américain. Au fond du gouffre, James a racketté des dealers et a commis plusieurs infractions violentes – même s'il n'était pas le membre le plus sadique de sa bande. Dès lors, James a séjourné à plusieurs reprises en prison et dans des établissements psychiatriques.

Vous serez sans doute surpris, mais James a la ferme intention de renouveler l'expérience – de façon volontaire cette fois – en passant 30 jours dans une cellule d'isolement de la prison du comté de La Paz, en Arizona. Vous pouvez suivre l'intégralité du déroulement de son séjour derrière les barreaux sur VICE.com. Il espère ainsi mettre en lumière les aspects les plus sombres du système carcéral américain.

« Je ne veux pas plaider une quelconque cause – je veux simplement ouvrir le débat, précise James. Devons-nous poursuivre une telle pratique ? Aucune étude fiable ne démontre les bienfaits de l'isolement sur la sécurité au sein des établissements pénitentiaires et, a fortiori, au sein de la société. Au contraire, les personnes isolées développent souvent des maladies mentales ou physiques après leur séjour en isolement. En connaissance de cause, pourquoi poursuivons-nous dans cette voie ? J'aimerais vraiment que les gens réfléchissent à ça. »

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Sur le principe, l'isolement consiste à passer « 23 heures, seul, dans une petite cellule, derrière une lourde porte d'acier, avec un lit de camp, des toilettes et un lavabo » comme le décrivait un rapport de l'ACLU en 2014 – acronyme pour American Civil Liberties Union. Un séjour en isolement est caractérisé par une absence totale ou quasi-totale d'interactions humaines et de lumière naturelle. Vous n'avez pas le droit de lire. À l'inverse de la plupart des autres pays démocratiques – dont la France, où la pratique de la cellule disciplinaire reste marginale – les États-Unis affectionnent particulièrement le placement en isolement – dans les prisons locales, les prisons d'État et les prisons fédérales mais aussi dans les établissements psychiatriques. Partout. D'après de nombreuses enquêtes, les cellules d'isolement accueillent entre 65 000 et 100 000 personnes dans le pays de l'Oncle Sam. Le mois dernier, une étude de la Yale Law School, réalisée en collaboration avec les directeurs des prisons d'État américaines, a mis l'accent sur le fait que 6 000 détenus sont actuellement en isolement pour une durée de trois ans ou plus. Comme la majeure partie des problèmes liés à la justice et aux prisons en Amérique, l'isolement concerne de façon disproportionnée les hommes de couleur.

Si le fait d'enfermer des gens dans une cellule exiguë était un tant soit peu efficace, on pourrait l'entendre – tout en critiquant fortement l'inhumanité d'une telle mesure. Le problème, c'est que rapport après rapport, on observe que l'isolement tend à rendre les gens plus violents.

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La cellule où James Burns a l'intention de passer un mois. Toutes les photos sont de Daniel Brothers

L'expérience de James ne ressemblera pas trait pour trait à celle d'une cellule d'isolement – il pourra demander à être libéré à n'importe quel moment. Des employés de VICE le surveilleront 24 heures/24 et 7 jours/7. En dévoilant son quotidien heure après heure, il espère lever le voile sur ce qu'est une cellule d'isolement.

« Au bureau du shérif du comté de La Paz, nous sommes très fiers de notre prison et du travail du personnel pénitentiaire », a déclaré le lieutenant Curt Bagby dans un communiqué. « Nous n'avons aucun problème à accepter la présence des caméras dans notre établissement car nous nous efforçons de suivre les lignes directrices imposées par l'État d'Arizona. Nous sommes heureux de montrer ça au public parce que nous n'avons rien à cacher. Nous comprenons la volonté de VICE de mettre en lumière cette pratique et sommes prêts à la dévoiler. Nous savons pertinemment que les retours ne seront pas forcément positifs envers nos services mais si aider VICE signifie ouvrir le dialogue, alors nous voulons être impliqués. »

Dans le texte suivant, James décrit en quelques lignes en quoi consiste son projet.


Avant tout, sachez que je ne veux pas me poser en victime. J'assume la responsabilité de mes actes parce que nous avons tous le choix. Aussi imparfait soit le système, je me suis moi-même mis dans des situations délicates. Je regrette deux choses : la première, tous les crimes que j'ai commis, car il y avait des victimes. La seconde est d'avoir servi d'exemple à des jeunes – notamment mes frères et sœurs et d'autres enfants du quartier qui nous ont vus et ont pensé que c'était une bonne idée de suivre nos pas.

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Les gens qui tentent de se représenter une cellule d'isolement pensent qu'il s'agit d'un donjon lugubre où la lumière du jour ne transparaît quasiment jamais. Dans les faits, la réalité est tout autre. Je parlerais davantage d'un enfer lumineux. Un enfer stérile, mais lumineux. L'isolement est la monotonie poussée à l'extrême. Repensez à un jour où rien ne va, vous êtes épuisé, tout le monde vous énerve et multipliez ce sentiment par 100.

Les cellules d'isolement ont une influence sur certaines parties de votre cerveau – et rétrécissent physiquement quelques fragments de celui-ci. La science a prouvé les dangers de cette pratique : des maladies mentales et physiques peuvent se développer après un séjour en cellule d'isolement. À mon sens, l'isolement n'a pas sa place dans notre société moderne.

La majorité des détenus sont libérés un jour ou l'autre. Certains ont passé une grande partie de leur vie dans des prisons de haute sécurité, dont 15 années en cellule d'isolement. Quand ils sortent, ils sont brisés, à la limite – voire plus – de la folie. Pourquoi créer un danger inutile pour la société ? Le système pénitentiaire ne fonctionne pas pour de nombreux détenus. C'est un échec cuisant.

Je n'étais qu'un enfant lors de mon premier séjour en isolement. Je ne comprenais pas la gravité de la situation. Pour cette expérience, j'ai peur d'être poussé dans mes retranchements mais je garde espoir. Je veux me pointer devant cette porte et la refermer à tout jamais.

Vous pouvez retrouver le live de James dans la vidéo ci-dessus ou sur le site.