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L’Europe prépare son réseau ferroviaire à affronter des tempêtes magnétiques

Une éruption solaire de grande ampleur pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur la circulation des trains

Si vous étiez à Cuba le 1er septembre 1859, vous avez sans doute remarqué quelque chose d'étrange dans le ciel nocturne. En effet, il est probable que ce dernier se soit subitement drapé des couleurs étincelantes de l'aurore boréale, un phénomène rarissime à cette latitude. Fou d'excitation, vous avez tenté d'envoyer un télégramme à vos amis pour leur rapporter votre observation, en vain : la plupart des lignes de télégraphe étaient hors d'usage ce jour là. Rien de grave cependant ; vos compères américains auraient sans doute montré peu d'enthousiasme à la lecture de votre récit. En effet, l'aurore boréale de 1859 a été si lumineuse qu'on pouvait lire le journal en pleine nuit jusque dans les états du nord-est.

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Fort heureusement, la plus grosse éruption solaire enregistrée à ce jour a eu lieu à une époque où l'humanité était encore dépourvue d'un large réseau électrique. Si un événement similaire survenait aujourd'hui, les conséquences seraient probablement catastrophiques. En outre, de nombreux secteurs seraient mis en péril : l'aviation et les télécommunications, par exemple. Ces secteurs doivent donc se préparer à affronter des événements météorologiques extrêmes dus à l'activité solaire. Des événements qui pourraient nous attendre au tournant dans les années à venir.

Récemment, les compagnies ferroviaires européennes ont organisé une conférence destinée à évaluer les plan d'action prévus pour affronter une tempête magnétique de grande ampleur. Conclusion : les stratégies imaginées jusque là ne sont pas du tout adaptées à une situation de crise.

La conférence s'est tenue à Londres en septembre, et a permis de discuter les enjeux à l'intersection de la météorologie de l'espace et du transport ferroviaire—à la demande du Joint Research Council qui a publié le compte-rendu de la conférence vendredi dernier.

Le rapport examine dans quelles conditions les phénomènes météorologiques spatiaux, en particulier les orages magnétiques provoqués par les éjections de masse coronale ou les éruptions solaires, pourraient endommager ou perturber les réseaux ferroviaires. Il explique également comment éviter de telles perturbations. Selon le rapport, les phénomènes météorologiques spatiaux peuvent avoir un impact direct (par l'intermédiaire des circuits de voie et des systèmes électroniques associés) ou indirect (pannes électriques, interruption des communications ou des liaisons GPS) sur les trains. À ce titre, ils constituent une variable essentielle dans l'évaluation de la sécurité des infrastructures concernées.

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L'étude des phénomènes météorologiques extrêmes est particulièrement délicate, compte-tenu de leur rareté et du peu de fiabilité des prédictions à leur sujet. Cependant, de nombreux gouvernements ont pris conscience qu'un événement similaire à celui de 1859 pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur nos sociétés accoutumées à l'automatisation. Les Etats-Unis, par exemple, ont demandé à la National Science and Technology Council (NSTC) de définir des buts à atteindre à court terme et de développer une stratégie pour préparer la nation à une telle menace.

Le rapport précise que cette prise de conscience n'a pas encore atteint le secteur ferroviaire, en dépit de la grande vulnérabilité de ce mode de transport. Les stratégies de préparation et de prévention varient selon les pays, et le rapport insiste sur la nécessité d'une coopération internationale pour l'établissement de protocoles d'intervention et de solutions de gestion des risques. Les pays où les réseaux ferroviaires se prolongent très au nord (la Suède, le Canada, la Russie, etc.) ont déjà connu des problèmes et ont commencé à discuter des moyens de faire face en prenant en compte les spécificités de leur contexte national.

En dépit de ces projets et des études préexistantes, le rapport note une tendance inquiétante de l'industrie ferroviaire mondiale : la dépendance croissante aux systèmes automatisés, qui bien souvent n'incluent pas les redondances intégrées de leurs prédécesseurs non automatisés. La dépendance au Système Mondial de Navigation par Satellite (GNSS), dont on a démontré la vulnérabilité aux phénomènes météorologiques spatiaux, est particulièrement préoccupante. Hélas, il est devenu un outil essentiel pour le contrôle de l'état des voies, pour le positionnement des trains, et pour les communications en général.

Sans une alternative efficace au GNSS, son dysfonctionnement au cours d'une tempête solaire conduirait à la perte des fonctions précitées ainsi qu'à la désactivation des systèmes de commandement et de contrôle. Selon le rapport, ces derniers sont d'une importance telle que même une courte interruption pourrait avoir des impacts démesurés. Leur rétablissement, quant à lui, pourrait être long et pénible.

Malheureusement, le rapport précise également que la dépendance des chemins de fer au GNSS est très mal évaluée : il est difficile de déterminer l'impact réel d'une panne. Sans études approfondies, cet impact restera sans doute sous-estimé.

Le rapport conclut enfin que les opérateurs ferroviaires doivent commencer à prendre en compte la météo spatiale dans leurs opérations, même si la fréquence des événements redoutés demeure assez faible. Il faut nourrir des efforts ciblés pour comprendre l'impact d'une tempête magnétique sur les réseaux ferroviaires, et sensibiliser l'industrie à ce genre d'événements. Enfin, il note qu'il est nécessaire de développer la coopération internationale, afin que les informations scientifiques sur les phénomènes concernés et sur les protocoles de gestion de crise circulent mieux ; ce n'est qu'à cette condition que nous pourrions alléger le fardeau porté par les administrations nationales en cas de défaillance de nos chers TGV.