"Thumper" est le jeu le plus taré de l'année, et il va vous défoncer la gueule

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"Thumper" est le jeu le plus taré de l'année, et il va vous défoncer la gueule

"Thumper" m'a littéralement mis à genoux. Alors j'ai voulu discuter avec les créateurs de ce jeu de "rhythm violence" complètement fou.

Grosse fulgurance de violence de l'année dernière, Thumper sort aujourd'hui sur la console la plus mignonne du marché. Le moment de choper une Switch si vous voulez mon avis. Pour pouvoir jouer à Thumper partout et vous faire vibrer les mains à coups de hurlements de scarabée cosmique. Histoire de vous rappeler que ce jeu existe et à quel point il tue, voilà ce que ses deux créateurs Marc Flury et Brian Gibson – bassiste du groupe Lightning Bolt- nous avaient raconté au moment de sa sortie sur PS4.

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Marc, Brian, comme les lecteurs n'en ont probablement rien à foutre des éloges que je pourrais faire de Thumper, je me suis dit que ce serait mieux de vous faire parler du jeu…

Marc : C'est pas une mauvaise idée…

Pour commencer, je voulais savoir si vous aviez tous les deux atterri chez Harmonix par hasard à vos débuts, ou s'il s'agissait d'une volonté.

Brian : On a tous les deux un parcours assez différent. Pour moi, c'était clairement du hasard. Jamais je n'aurais pensé bosser dans le jeu vidéo, mais en 2001, j'ai croisé le directeur artistique de Harmonix et je lui ai dit que je cherchais du boulot. Il m'a proposé de passer au studio alors que je n'avais jamais touché à Photoshop et j'ai tout appris en bossant là-bas.

Marc : Ah ? Elle commence bien cette interview, même moi j'apprends des trucs. Non, moi c'était clairement une volonté. J'étais un gros joueur. J'étais plutôt bon en programmation, et ça m'intéressait vachement. C'est tout ce que je savais faire. Et j'adorais les jeux musicaux. Un pote m'a conseillé d'aller voir chez Harmonix. J'étais pas fan de leurs jeux, mais ils était assez cool et ils m'ont appris une tonne de trucs.

Qu'est-ce que vous avez tiré de votre expérience chez eux ? C'est lié à votre volonté de développer Thumper par la suite ?

Marc: Est-ce que mon boulot chez Harmonix a influencé Thumper ? C'est évident, mais je ne sais pas trop comment. Esthétiquement, le jeu est très différent des jeux Harmonix. Mais pour tout ce qui touche au travail sur la synchro, le rythme d'un jeu, évidemment, c'est à Harmonix que je le dois.

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Brian : Moi, perso, je ne connaissais pas les jeux musicaux quand j'ai commencé. D'ailleurs, le principe ne m'intéressait pas spécialement. Mais en bossant sur ces jeux, j'ai commencé à envisager la possibilité d'un jeu comme Thumper. Mais je ne veux pas donner l'impression de cracher dans la soupe, ces mecs m'ont appris tout ce que je connais en jeux vidéo.

A la base, vous avez eu l'idée de Thumper ensemble ?

Brian : Non, au tout début, c'était mon envie. J'avais assisté à un colloque de Keita Takahashi à la Game Developers Conference, où il disait que ce n'étaient pas les éditeurs qui faisaient les jeux, mais les artistes. Ça m'avait frappé. Je me souviens que j'en avais parlé à Marc. On commençait à s'emmerder chez Harmonix parce qu'on savait qu'on ne pourrait pas y développer un projet qui nous tiendrait à cœur. J'ai commencé à bosser sur le concept du jeu, un truc rythmique super minimaliste, mais il fallait que je fasse des vidéos pour le présenter, parce qu'on ne présente pas un jeu avec des mots. Si vous racontez une idée à 10 personnes, ils s'imagineront tous un truc différent. Il m'a fallu un peu de temps pour trouver Marc, et c'est à ce moment-là que le projet a commencé à avancer.

Qu'est-ce qu'il manquait aux jeux de rythme à votre avis quand vous avez commencé à bosser sérieusement sur le jeu ? Vous vouliez y apporter quoi ?

Marc : Pour commencer, on voulait y insuffler nos propres goûts. La grande majorité des jeux musicaux se basent sur la pop. J'ai rien contre, mais la musique ça peut être autre chose. Surtout dans un jeu vidéo, où vous la percevez différemment. Au fur et à mesure du développement, on a réalisé qu'il manquait des trucs aux jeux musicaux, notamment le sens de l'espace physique. On voulait vraiment faire ressentir ça au joueur, d'où le principe de « rhythm violence ». On s'est vachement inspirés de jeux qui n'étaient pas des jeux musicaux. Des jeux de baston, des jeux de course…

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Il y a aussi ce côté die & retry qu'on trouve dans pas mal de manic shooters, et plus récemment dans un jeu comme Hotline Miami qui est beaucoup plus présent que dans un jeu de rythme traditionnel…

Brian : Je voulais vraiment qu'on n'ait pas l'impression de jouer à un jeu musical quand on allumait Thumper. Ils se ressemblent tous, et surtout, quand vous y jouez, vous savez parfaitement où vous êtes. Pour moi, Thumper est un peu au jeu de rythme ce que The Witness est au puzzle game. Quand je joue, je veux me perdre dans un monde, quelle que soit l'expérience que le jeu propose et même parler de jeu de rythme, ça m'emmerde, parce que ça enferme l'expérience dans un genre.

Marc : J'ai 40 ans aujourd'hui. J'ai grandi avec Atari et Nintendo, et si vous regardez la plupart de leurs premiers jeux, il s'agissait déjà d'une expérience très musicale et rythmique. Mais on ne vous parlait pas de jeu de rythme. La relation entre la musique et le gameplay était beaucoup plus subtile, mais elle était essentielle. La musicalité de ces jeux est exemplaire. Parler de jeu de rythme, ça limite vachement l'appréhension qu'on se fait d'un jeu. C'est pour ça que j'aime bien l'expression « rhythm violence ».

Brian : Parce que ça indique qu'on va avoir affaire à du rythme, mais ça va aussi être violent. Mais au début, je me demandais même s'il fallait mettre le principe du rythme dans l'intitulé. C'est super excluant. Pour moi Thumper, c'est l'histoire de ce scarabée qui traverse l'espace et doit éviter des obstacles avant d'affronter une tête géante. Si je dois présenter le jeu aux joueurs, c'est comme ça que je veux qu'ils le prennent en main. Oubliez la musique.

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On oublie le « rhythm violence » donc ? C'est dommage, ça me plaisait bien…

Marc : Non, mais pour être honnête, à la base, c'était surtout une catch phrase. Un truc qui permettait de vendre le jeu. C'est super nul de réduire un jeu à un terme. En même temps, comme disait Brian, ça ressemblait quand même bien à ce qu'on voulait proposer.

Brian : Moi je suis super curieux de voir si le terme va inspirer certains développeurs et de voir ce qu'ils en feront. Mais non, on ne l'oublie pas. Si je devais définir le principe, c'est qu'il s'agit de construire une musique qui soit constituée des bruits présents dans l'univers que vous parcourez. C'est de là que le jeu tire son nom. Quand vous vous cognez la tête contre des murs, ça fait « thump, thump », un son percussif assez violent. Et c'est ce que vous ferez dans Thumper. Vous allez vous prendre beaucoup de murs.

Vous pensez qu'il faut violenter le joueur aujourd'hui ?

Brian : En tout cas, je suis content que Thumper apporte une contribution assez brutale au paysage. Je ne voudrais pas l'ériger comme un manifeste, tous les jeux ont le droit d'exister, mais c'est intéressant de proposer une telle expérience dans le paysage actuel. D'ailleurs, je ne pense pas que les joueurs auraient remarqué le jeu comme ils l'ont fait s'il ne se détachait pas à ce point de ce qui se fait actuellement.

Marc : En plus, je ne pense pas que Thumper soit si violent que ça, dans le sens où il n'est pas radicalement punitif. Il demande un certain investissement, mais une fois plongé dedans, il n'est pas aussi difficile qu'un Rhythm Paradise qui est clairement impardonnable.

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Vous n'allez pas échapper à la question des influences du jeu. Musicales et visuelles, quelles sont-elles ?

Marc : J'ai un pote, Mat Brinkman qui a été consultant sur le jeu au début. Je voulais faire un truc assez dark, éloigné de tout ce qui se faisait dans les jeux musicaux traditionnels. Et qui ait une vraie signature. Je ne voulais pas forcément que ça ressemble à un truc de science-fiction tel qu'on l'envisage normalement, mais à une représentation mentale, un truc bien cauchemardesque. On s'est aussi nourris de Robert Beatty. Il nous a fallu du temps pour en arriver à l'aspect définitif, mais j'ai compris à ce moment-là que je devais beaucoup de mes envies à mes souvenirs de 2001.

Ça semble évident. Chaque fin de niveau célèbre la victoire du joueur au son de la lumineuse musique de Shining

Marc : J'ai beaucoup pensé au concept d'horreur cosmique, un truc très lovecraftien. Le trip final de 2001, c'est un cauchemar. L'horreur ne vient pas d'un zombie ou d'un monstre mais simplement de la sensation de ne pas comprendre où on se trouve. L'horreur peut se trouver partout, et je ne sais pas si on peut vraiment considérer la fin de 2001 comme une vision d'horreur, mais je la rapproche de ce que j'imagine être l'horreur cosmique. Le truc qui vous fait sentir vraiment minuscule et insignifiant parce que ça vous dépasse complètement.

Dans Thumper, c'est la musique qui a guidé le visuel ou l'inverse ?

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Marc : Tout s'est construit ensemble, mais très progressivement, en ping pong. On a beaucoup travaillé sur le visuel au début, parce que c'était plus facilement identifiable. On est partis sur de la musique électronique à ce moment-là, mais ça m'a fait chier. J'ai rapidement compris qu'on arriverait à obtenir un objet vraiment singulier quand j'ai commencé à bosser avec de la musique dissonante et expérimentale. Mais ça a toujours progressé. Si on avait continué de bosser sur le jeu pendant un an, la musique aurait encore été différente.

Tetsuya Mizuguchi a comparé son jeu, Rez, à une simulation de rave. Vous compareriez Thumper à quoi, vous ? Un mauvais trip sous hayahuasca ?

Marc : Evidemment, tu n'es pas le premier à nous en parler, mais je t'avoue qu'on n'en a jamais pris, donc si ça ressemble vraiment à ça, comme on nous l'a dit, c'est plus lié aux références qu'on a utilisées qu'à notre propre expérience. J'ai rien contre la défonce, mais je suis trop vieux pour m'y mettre aujourd'hui je crois… On n'a pas essayé de recréer ces visuels mais plutôt d'offrir au joueur l'occasion de vivre une expérience psychédélique à part entière.

C'est particulièrement frappant en réalité virtuelle. Quand vous enfilez le casque, le jeu vous impose de prendre conscience de sa propre réalité et il est assez exigeant pour que vous ne puissiez pas y échapper.

Marc : C'était notre objectif.

Brian : beaucoup de joueurs nous ont dit qu'ils avaient sué en jouant, qu'ils avaient eu des palpitations, qu'ils grinçaient des dents… émotionnellement, on voulait que le jeu soit éprouvant, donc ces retours sont assez gratifiants.

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Un journaliste a expliqué qu'en jouant à Thumper en VR, il avait eu l'impression d'avoir eu des écouteurs sur les yeux. C'est quelque chose auquel vous avez réfléchi ?

Marc : pas vraiment, dans le sens où la VR est arrivée très tardivement dans le développement du jeu. On a eu la chance que le jeu s'y prête super bien, et c'est une assez bonne définition de ce que la VR lui apporte.

Brian : quand on s'est attaqué à la VR, on a essayé d'échapper à cette habitude que tout le monde prend dès qu'il décide de faire un jeu en VR, et qui pousse le joueur à regarder partout autour de lui. Vous pouvez regarder autour de vous dans Thumper en VR, mais le jeu défile devant vous, et il ne vous laisse pas beaucoup l'occasion de vous distraire. C'est une transposition stéréoscopique de ce que vous verrez sur votre moniteur, mais vous n'allez clairement pas vous amuser à regarder dans tous les sens.

Si vous aviez fait appel à des morceaux existants, comme dans n'importe quel Guitar Hero, vous vous seriez tournés vers qui pour illustrer Thumper ? Des trucs de Lightning Bolt ?

Brian : Oh non, c'est un projet très éloigné de ce que je fais avec Lightning Bolt…

Marc : Au début du développement, on faisait tourner du Terry Riley, des trucs très répétitifs. Esthétiquement, le jeu ne s'y prêtait pas forcément, mais mécaniquement, ça fonctionnait bien. Olivier Messiaen s'y serait bien prêté aussi. C'est super dynamique et évolutif. Throbbing Gristle aussi. Et la vidéo Super Seeeee !!! des Boredoms. Ça reflète bien l'état d'esprit du jeu je dirais. Contrairement à d'autres jeux de rythme, vous ne pourrez pas vous accrocher à une quantisation classique dans Thumper. C'est le jeu qui dicte ses propres codes et c'est au joueur de les comprendre.

Thumper sort en même temps que Rez ressort. C'est un honneur ou une malédiction ?

Marc : Bah, je trouve ça plutôt cool. Artistiquement, on s'en fout un peu. Financièrement, c'est pas comme si on essayait de gratter quoi que ce soit à quelqu'un d'autre. Le truc c'est que j'ai vachement joué à Rez quand j'étais ado. Mais la transe, c'est pas vraiment ma came. Enfin, à l'époque, le jeu était unique et il m'a super marqué, c'est évident. Il m'a permis de voir qu'on pouvait faire autre chose avec un jeu que ce qu'on me proposait à longueur de temps en boutiques. Si Thumper arrive à convaincre certains joueurs de ça, c'est le meilleur truc qu'on aura su tirer de Rez.