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Comment les comptes #fitspo me plongent dans un état dépressif (et vous aussi)

Suivre des filles qui affichent leurs abdos et leur taille de guêpe sur Instagram toute le journée ne vous "motivera" pas. Ça vous rendra dingue, voire même littéralement malade.

L'histoire que je vais vous raconter commence comme un conte de fées. Il était une fois une jeune fille mal dans sa peau qui passa plusieurs années à lutter contre ses troubles du comportement alimentaire (TCA). Un beau jour, cette maladie fut soignée. La jeune fille finit par reprendre du poil de la bête et ne plus compter ses os. Elle vécut heureuse et en bonne santé. Comme dans tous les contes de fées, cette histoire finit bien. Jusqu'à l'apparition des comptes #fitspo sur Instagram.

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Cette histoire est la mienne et je vis dans un état dépressif sous-jacent depuis que je me suis mise à suivre tous ces comptes prônant la forme, le fitness et les smoothies au chou kale. Pour des raisons que je ne m'explique pas, toutes ces photos de crossfit, de petits culs musclés et de tablettes de chocolat m'hypnotisent. Je peux passer une soirée entière à faire défiler, au gré des suggestions Instagram, des photos d'avant – après, de toasts d'avocat, de salades de pépins de pomme et de nanas ayant perdu 32 kilos en un an. De manière tout à fait objective, si je perds 32 kilos, il ne me restera que les os pour pleurer.

Petit cours de rattrapage, pour les absents d'Internet et les cancres du fitness : le fitspo est la contraction de « fit », qui signifie grosso modo « en forme », et d'inspiration. L'idée est de poster des photos de filles très musclées à qui on voudrait ressembler. Mieux encore, le fitspo nous abreuve de phrases supposément motivantes et pas du tout humiliantes de type « Winners never quit » ou « Life is too short to be a lazy looser » ou encore l'adage magnifique « Tu ne peux pas avoir le cul de tes rêves si tu restes assise dessus ». Une simple recherche du mot « fitspiration » sur Instagram révèle plus de 7 millions de résultats. Le fitspo prend la suite du thinspo, l'inspiration pour être maigre, qui a connu ses années de gloire pendant l'explosion de la mode des anorexiques, les « pro-ana». Alors que le thinspo nous montrait des meufs maigres, qui ne se nourrissaient jamais, le fitspo prône le healthy, le bien-être et le muscle à n'importe quel prix.

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J'ai un comportement d'addictive auto-destructeur. J'ai été accro à tellement de choses que je pourrais diriger seule le Betty Ford Center. Parmi les multiples troubles que j'ai développés, l'un d'eux s'appelle la dysmorphophobie : une obsession excessive concernant un défaut dans l'apparence – pour moi, c'était le poids. C'est donc sans réelle surprise que je suis fascinée par toutes ces filles qui exhibent leurs corps sculptés. Pour dissiper tout malentendu, il vous faut savoir que je fais moi-même plusieurs heures de danse par semaine et que je ne mange presque pas de féculents – pour la simple et unique raison que je ne comprends pas bien l'intérêt culinaire des pâtes et des pommes de terre. Mais je ne ferai jamais le Top Body Challenge, parce que bon, je n'ai pas signé pour ça, dans la vie.

La seule chose que je peux vous assurer, c'est que plus je regarde des comptes de fitspo en ligne, plus mon moral vacille et plus je vois poindre des vieux réflexes d'anorexique. Et plus je déprime.

Visiblement, je ne suis pas la seule. Dans une étude intitulée « Mobile exercising and tweeting the pounds away », des chercheurs ont demandé à 262 participants de répondre à un questionnaire en ligne incluant des questions sur leurs activités physiques et leurs habitudes alimentaires, mais aussi sur leur utilisation des blogs et réseaux sociaux comme Instagram. Sur ces 262 participants, 76% sont des filles entre 18 et 27 ans recrutées par les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram) en Californie avec un IMC moyen de 22,63. Le résultat est sans appel : le fitspo augmente considérablement les chances de développer des comportements compulsifs ainsi que des troubles alimentaires majeurs. Veronica Hefner, l'une des chercheuses à l'origine de cette étude, le souligne : « Il semblerait que le contenu 'inspirant' sur le fitness soit tout particulièrement lié à des comportements risqués comme l'exercice compulsif et à des symptômes de trouble alimentaire, notamment chez les jeunes qui utilisent fréquemment des applications mobiles. » L'étude montre que l'utilisation des applications mobiles, en particulier, serait liée à la fois à des troubles du comportement alimentaire et à la pratique compulsive du sport.

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Image via Wikimedia Commons

Internet étant un vaste vide-poches des dérives et obsessions du monde, on y trouve toute sorte de défis minceur à la con allant du « A4 challenge » au « défi du nombril ». Sur Tumblr aussi, les filles s'affichent tous abdos dehors. « Je ne regarde plus ces photos car j'ai l'impression d'être une baleine, ça me déprime. Le pire, c'est que les mecs espèrent que nous ressemblions à ça dans la vraie vie », confie Amandine*, une ancienne fan des comptes fitspo. Elle continue : « Si je me mets à mater ce genre de comptes sur Instagram, je vais vouloir perdre 10 kilos. Puis encore 10. Et je ne vais plus pouvoir m'arrêter. » Mais attention, les taulières de ce genre de comptes ne sont pas anorexiques : elles mangent « sain », jurent-elles ! La bouffe healthy est un rempart et une bonne réponse aux détracteurs qui les accuseraient de s'affamer. Un simple coup d'œil à certaines assiettes suffit pourtant à se convaincre que personne ne peut survivre avec des repas aussi faibles en calories. L'obsession du manger sain a aussi un nom : l'orthorexie. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, cette pratique est loin d'être bonne pour la santé et est reconnue comme étant un TCA.

Comment expliquer ces dérives ? L'étude explique que les comptes fitspo cultivent une concurrence virtuelle et de fait, un culte étrange du comparatif. Devons-nous paniquer à la vue de corps plus toniques que les nôtres ? Souvent, quand j'observe ces comptes, j'ai l'impression d'être dans The Truman Show. Ces personnes sont-elles réelles ? Existent-elles dans notre monde ? Si oui, à quoi ressemblent leurs vies ? Les réseaux sociaux ont déformé notre perception du réel. Au travers de ce prisme du parfait, il faut se rappeler le rôle initial de l'exercice physique. Le sport a de nombreux bénéfices : l'endurance, les endorphines et surtout être en bonne santé. Faire des burpees, des crunchs et des lunges ferait donc de nous quelqu'un en bonne santé. Et ça, nous pouvons le savoir au travers d'une simple photo postée sur Instagram. De fait, toute personne séduisante serait en bonne santé et les grosses seraient en mauvaise santé. CQDF.

Anaïs est diététicienne et s'interroge également sur « la fascination morbide » pour les comptes fitspo. Dans son métier, elle traite de nombreux patients souffrants de troubles du comportement alimentaire. « Effectivement, si on souffre de TCA, ce genre de comptes entretient un rapport néfaste avec son corps en se comparant sans cesse, en se dévalorisant », explique Anaïs. « Au contraire, afficher son corps sur les réseaux avec fierté est une chose difficile voire impossible pour quelqu'un qui souffre de TCA », conclut la spécialiste. Les réseaux sociaux flirteraient donc avec la pathologie. Un désir d'approbation dont Instagram serait le miroir et où la notion de normalité serait floue et inaccessible. Un conditionnement tristement classique et culpabilisant qui n'est pas sans rappeler les couvertures des magazines féminins prônant le bikini body 10 mois sur 12.

Comme chaque fable, celle ci a sa morale. Ne suivons plus ces comptes de #fitspo et recouvrons notre santé mentale et notre joie de vivre. Et pour l'heure, je vais manger un burger pour célébrer la fin de cet article.

*Tous les noms ont été modifiés pour des noms que j'aimais mieux.

Sarah est super fit sur Twitter : @rouletterousse