société

Comment organiser une fête non-oppressive ?

La plupart des lieux festifs sont surtout agréables pour les mecs. Voici un tour d’horizon de ce que les scènes alternatives proposent pour limiter les dégâts.
un festival
©AndyTierce / Esperanzah!

Tu as apporté ton pochon au concert d’acid-psy-trans-expérimentale parce que l’alcool ne passe pas la sécu. Mais le vigile t’attrape en pleine action, le vide par terre et écrase chaque caillou consciencieusement sous sa botte, juste après que ton amie a pris une main inconnue aux fesses. Tu craques pour une bière hors de prix et finis par te faire sortir, soûl, à coups de pompe dans le cul. Les survêts-baskets refoulés à l’entrée te regardent assis dans le caniveau et tu te dis que la prochaine fois, si c’est comme ça, tu essayeras de rentrer sans payer.

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« S’outiller pour savoir comment réagir » – Clémentine Squevin

Comme la plupart des lieux festifs, les festivals sont surtout agréables pour les mecs. Comme au Royaume-Uni ou en France, plus de 15% des filles belges de 16 à 24 ans sondées déclarent avoir subi du harcèlement ou une agression sexuels (attouchements, frottements dans la foule, abus de l’état d’ivresse, voyeurisme…) lors d’un festival. Là où la plupart des gros festivals répondent au problème par plus de caméras de surveillance et de coups de fil aux flics, le festival belge Esperanzah s’est laissé infiltré par des militantes féministes d’un autre genre.

En août 2018, les 37 000 festivaliers ont découvert un stand intitulé Sacha, pour « Safe attitude contre le harcèlement et les agressions ». Clémentine Squevin, l’une des coordinatrices, présente l'initiative – qui sera reconduite en 2019 – au Bruxelles Bondy Blog. Les militants proposent notamment de former les fêtards qui le souhaitent : « Ça veut dire (…) s’outiller pour savoir comment réagir en tant que témoin, comment réagir en tant que victime », mais aussi comprendre ce qui relève du harcèlement. L’ONG Plan International qui lutte contre les inégalités filles/garçons précise que jusqu’à 30 % des Belges sondés reconnaissent avoir été témoins en festival de harcèlement ou d’agression sexuelle – près de la moitié d’entre eux « se sont éloignés sans réagir ». Comme souvent, personne n’estime en revanche avoir harcelé qui que ce soit.

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« Je peux péter un câble et être soutenue sans que ma parole ne soit remise en question » – Laura

Depuis un énième épisode sexiste lors d’une soirée en boîte à l’automne, Laura* préfère les « teufs de gauchos » : « Dans certains milieux squats et autogérés, ce n’est pas qu’il ne peut pas y avoir de harceleur, pondère-t-elle pour VICE. Mais contrairement aux boîtes mainstream, je sens que si j’en rencontre un, je peux péter un câble et être soutenue, sans que ma parole ne soit remise en question. » L’étudiante de 24 ans aux cheveux roses s’est beaucoup impliquée dans l’initiative SACHA cet été et en tire les leçons : « Dans une fête informelle aussi, s’il y a une présence claire d’une réflexion sur le harcèlement – même de simples affiches – les filles comprennent qu’elles ont des alliés, et les harceleurs peuvent être découragés. »

Des centaines de kilomètres plus au sud, Anne-Cécile organise des festivals de musique du monde et de spectacle de rue au public familial, dans la Drôme. « On n’est pas des fumeurs de pétards ! Mais ok : on est des babacools », concède-t-elle à VICE en riant. « Les agents de sécurité professionnels sont en uniforme et répètent parfois des ordres agressifs sans explication », dénonce la quadragénaire. « Ils peuvent paradoxalement amener de la tension et de l’insécurité. »

À la Bizzart Nomade depuis 17 ans, une centaine de volontaires très soudés et impliqués dans l’événement gèrent une partie des questions de sécurité : contrôle des billets « avec le sourire », simples coups d’œil dans les sacs, accès filtré aux coulisses… L’alcool, les joints et « les mâchoires qui s’agitent dans tous les sens » impliquent tout de même une attention constante. Les bénévoles les plus motivés arpentent le site pour calmer le jeu entre les festivaliers quand le ton monte, ou pour expliquer les choix de l’équipe aux mécontents (sur l’heure de fermeture du site, notamment). « C’est comme d’organiser une soirée à la maison », glisse Anne-Cécile avec malice. « Plus l’espace est convivial et mieux on accueille les gens, moins ils ont envie de tout casser ». Les vigiles professionnels restent, selon elle, « nécessaires quand ça chauffe vraiment trop ».

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« Il est revenu défoncé avec un bâton pour se battre » – Henry

Cette position fait tiquer Henry*. Veilleur de nuit dans des hôtels de Saint-Michel, il observe les vigiles des pubs alentours et constate que « les agents ne réfléchissent pas. Ils ne savent que mettre dehors, et déplacer le problème ». À VICE, le jeune homme raconte en quoi les « questions de sécurité » sont les mêmes lors des soirées qu’il organise dans des squats franciliens que lors des gros événements militants, dès lors qu’on y fait face sans flics.

Durant le mouvement Nuit Debout, place de la République, une « commission sérénité » distillait des conseils à grands coups d’ateliers et de conférence. Savoir quand mettre la main sur l’épaule d’une personne pour l’apaiser ou quand lui laisser de l’espace, savoir s’il vaut mieux une femme ou un homme pour calmer le jeu en fonction de la situation… Mais aussi cours de self-défense. « Une fois, un copain en souffrance est parti de la place acheter de la drogue – la plus mauvaise parce qu’il n’avait pas un rond – et est revenu défoncé avec un bâton pour se battre avec les manifestants », se remémore Henry. « Il a fallu le maîtriser longtemps, jusqu’à ce qu’il se calme ».

« Personne n’est naturellement capable de réagir à ces situations », affirme-t-il encore. « J’ai grandi en cité, j’ai été exposé très jeune à la violence. En s’organisant, on peut apprendre à y faire face sans la reproduire ».

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« C’est vraiment bonne ambi là-bas »

D’une manière générale, les drogues - alcool et prods en tête - peuvent régulièrement être source de conflits et de violences, y compris pour les usagers eux-mêmes. « On ne juge pas les consommateurs », expose à VICE Morgane, la référente de Techno Plus à l’Ouest. « Chacun vient avec son passé, sa vie. Ça ne nous regarde pas ». L’association de réduction des risques est présente aussi bien en teknivals de 80 000 personnes qu’autour des scènes autogérées du milieu squat. Ses bénévoles informent les usagers sur les risques et distribuent du matériel propre (seringues à usage unique, « roule ta paille » et feuilles d’aluminium) pour éviter les complications médicales.

« La consommation [en milieu festif] est toujours cachée », croit savoir notre interlocutrice. Et d’évoquer les voitures sur le parking d’un mur de son en plein air… comme les toilettes d'un club, à même le nid de maladies que représente une cuvette de chiotte. Avec les risques sanitaires que ça représente. « La mise en place [dans les soirées] de lieux de consommation à moindre risque - propres et avec la possibilité d’échanger sur les pratiques – est impossible à cause du cadre législatif qui réprime l’usage de stupéfiants », poursuit-elle. Idéalement, « ils permettraient de prévenir certaines complications – même si le risque zéro n’existe pas ». Hors du milieu festif, le bilan de l’unique « salle de shoot » parisienne est si positif que ses horaires pourraient être étendus.

Le Chat Noir*, squat francilien de plusieurs étages qui organise ponctuellement des fêtes XL, prête attention au bien-être de ses invités cooptés. « C’est vraiment bonne ambi là-bas », lâche l’un d’eux, pourtant prompt à critiquer les soirées parisiennes. VICE a passé la porte fermée à double tour qui donne sur la rue et enjambé un ou deux chiens assoupis au milieu de la fosse. Dans une pièce légèrement à l’écart, des usagers échangent au calme les bonnes pratiques, sniffent et fument avant de retourner danser. Une ardoise de bistrot détournée indique quelque chose comme : « Par ici la drogue OKLM. Prenez soin de vous – cœur ».

* Certains prénoms et noms de lieux ont été modifiés.

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