10 jours de prison pour avoir manifesté en soutien aux migrants
Illustration: Davy Khau pour Vice FR

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Douce France

10 jours de prison pour avoir manifesté en soutien aux migrants

« Mes codétenus m’appelaient "le zadiste" »

Si j’ai accepté de raconter mon histoire, c’est pour que l’on réalise qu’aussi folle soit-elle, elle n’est rien, comparée à celles des migrants qu’on laisse mourir tous les jours, simplement parce qu’ils ne sont pas Européens.

J’ai 24 ans – 23, au moment des faits – je suis Suisse, né à Genève d’un père comédien et d’une mère assistante sociale. À partir de 18 ans, j’ai commencé à faire des voyages humanitaires pour m’ouvrir au monde. J’ai vécu un moment en France, en Ardèche, où j’étais artisan, avant de retourner à Genève pour travailler sur un projet agricole avec des amis. Je ne suis affilié à aucun parti politique et n’ai jamais eu d’ennui avec la justice suisse ou française.

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Au fond, mon implication dans cet imbroglio policier et judiciaire est fortuite. En avril dernier, je me suis rendu à Clavière, une ville-frontière entre la France et l’Italie. J’y suivais des amis, venus donner un coup de main dans un refuge pour migrants, improvisé dans la salle paroissiale de l’église de la commune. Avant cela, je n’étais pas spécialement impliqué dans la cause, ni dans aucune association du genre.

Le problème, c’est que ce week-end-là, je n’étais pas le seul être descendu dans les Alpes : le groupe d’extrême droite Génération Identitaire était venu y faire son grand coup de com de l’année en se postant dans les montagnes dans le but d’empêcher les migrants de passer en France. En réponse, une marche solidaire s’est spontanément mise en place, de Clavière à Briançon, de l’Italie à la France, donc. À la frontière, nous avons croisé un barrage policier. Je n’ai personnellement assisté à aucune confrontation. Et j’étais heureux d’avoir participé à cette marche riche de sens – et de constater que tout cela s’était fait dans la paix.

Mais comme je le disais plus haut, ma vie n’est pas en France, ni aux côtés des migrants, auprès desquels je n’étais pas plus engagé que cela. Ce 22 avril, mon but était ailleurs : j’avais un rendez-vous loin d’ici pour revendre une moto et j’étais censé commencer un nouveau travail quelques jours plus tard, en tant que maître-nageur à Genève.

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« Toi, tu fermes ta gueule ! » - un policier

Pour retrouver mon van, mon ami et moi, accompagnés d’autres marcheurs, nous sommes donc mis à traverser Briançon en sens inverse, passant notamment devant le commissariat de la ville. C’est là que les choses se sont gâtées. Une quinzaine de policiers nous ont arrêtés et amené sur le parking derrière le commissariat. Sans aucun motif explicité. Mains sur le mur, fouilles, cartes d’identité confisquées… J’ai alors fait l’erreur de faire un pas en avant, pour signifier que nous étions pressés et que n’ayant rien à nous reprocher, il était temps pour nous de partir. En réponse, on m’a violemment poussé contre un mur et envoyé un coup de genoux qui m’a coupé la respiration. « Toi, tu fermes ta gueule ! », m’a hurlé ce même policier. Mon ami a soupiré « Ha, la justice… ». Même tarif. Arrêtés, mon ami et moi faisons désormais partie de ceux qu’on appelle « les 7 de Briançon ».

Je me suis donc retrouvé en garde à vue… pour avoir participé à une manifestation pacifique. Alors que le même jour, à quelques kilomètres de là, une fraction d’extrême droite suréquipée bloquait des exilés – sans être inquiétée par les forces de l’ordre. La garde à vue, m’a-t-on assuré, ne durerai que le temps de vérifier nos papiers. Elle s’étendra sur 36 heures. J’ai ainsi passé la première nuit de ma vie en cellule. Une dizaine d’autres suivront.

« En garde à vue, c'est la déshumanisation soudaine est ce qui m’a le plus choqué »

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Privés de chaussures, de pull, filmé constamment, un néon clignant sans arrêt dans les yeux, j’ai dû gueuler pendant deux heures pour avoir le droit d’aller aux toilettes. Les policiers avaient à mon égard ce regard dur que l’on réserve aux criminels. Cette déshumanisation soudaine est ce qui m’a le plus choqué, dans toute cette histoire. Et encore, je ne suis pas un migrant ; et je suis blanc. Ce qui m’est arrivé n’est rien comparé à ce que l’on fait subir chaque jour à des familles entières, dont le seul crime est de venir d’ailleurs.

Dans la déposition que l’on a voulu nous faire signer, le transcripteur a fait certaines modifications de vocabulaire, sous-entendant une marche plus organisée qu’elle ne l’était réellement et dont nous serions les co-instigateurs. Le coup de téléphone réglementaire nous a été refusé. Et nous n’avons pas vu d’avocats, jusqu’à notre transfert, le 24 avril, au Tribunal d’instance de Gap. Sur la route, nous nous sommes mis à parler – et même à rigoler – avec les policiers. Alors que l’on attendait dans la souricière du Tribunal, un des agents de la paix est sorti nous acheter des sandwichs. À ce moment-là, je pensais encore pouvoir rentrer chez moi et vendre ma moto – bien qu’avec deux jours de retard.

Le procureur nous a informés que nous étions soupçonnés d’avoir profité de la manifestation pour faire passer des migrants en les mélangeant au cortège. Et que pour cela, il réclamera de la prison ferme. Le procès a été fixé au 31 mai, soit un mois plus tard. Mais pas question d’être placés sous contrôle judiciaire – nous étions Suisses et donc, susceptibles de nous échapper. Nous devions donc patienter en détention préventive. Nous avons donc été amenés à la prison de Gap sans plus attendre.

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« J’ai été surpris par la solidarité qui régnait entre les murs de la prison »

Le greffier de la prison nous a expliqué le fonctionnement de l’établissement aux 36 détenus pour 28 places. Et nous a alerté sur la règle n° 1 de l’établissement : aucun prisonnier ne dit pourquoi il est là. Une fois séparé de mon ami, je me suis retrouvé dans une cellule que je partagerai avec deux autres prisonniers - auprès desquels je briserai immédiatement la supposée règle ultime. Ce que j’ai bien fait de faire, car l’accueil a été très chaleureux. Nos compagnons de détention ont commencé à nous appeler « les zadistes », à nous aider à préparer à manger et à faire nos lits. J’ai été très surpris par la solidarité qui régnait entre ces murs.

Une précision cependant : si nous n’avons eu aucun problème avec nos codétenus durant nos séjours derrière les barreaux, c’est surtout grâce au fait que nous ne fumions pas, ni mon ami, ni moi. En prison tout ou presque, y compris les embrouilles, tourne autour du deal de cigarettes. Nous nous sommes donc cantonnés aux autres activités : ping-pong, muscu, jeux de dames, télévision…

« À côté des Baumettes, la prison de Gap est une colonie de vacances »

Mais puisque nous devions rester enfermés un moment et que la petite prison de Gap était déjà surbookée, on nous a transférés quelques jours plus tard dans un autre établissement. Et non des moindres. Aux Baumettes, à Marseille, l’une des plus grandes d’Europe. À côté, celle de Gap est une colonie de vacances. On y est restés une semaine.

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Une semaine durant laquelle nous sommes heureusement restés dans le quartier des « nouveaux arrivants ». La différence d’avec la prison de Gap s’est fait sentir dès la rencontre avec les matons, plus abrupts. La bouffe y était absolument dégueulasse – sorte de boîte de conserve ouverte trois jours avant d’être servie dans des barquettes en plastique à côté de notre baguette quotidienne. Si ne pas fumer nous a porté chance, être végétariens beaucoup moins. Pour ceux qui ne mangent pas de viande, le menu « steak haché-petits pois » devient « petits pois-petits pois »

« Des détenus ont fait passer des messages afin de nous protéger »

Aux Baumettes il y a principalement des détenus « longue durée », ce qui signifie qu’ils sont là pour des crimes plus graves. L’ambiance qui y règne est donc forcément différente, plus lourde. Mais encore une fois, nous n’étions pas les plus à plaindre. La plupart des détenus avaient entendu parler de nos cas particuliers et ici aussi, nous avons reçu pas mal de soutiens. Certains ont même fait passer des messages afin de nous protéger. Si quelqu’un nous a voulu du mal à un moment donné, ce n’est pas en prison que nous l’avons croisé.

La semaine passée, le droit nous a finalement accordé d’attendre le procès sous contrôle judiciaire. Dehors, donc. Aux portes de la prison, nous avons été accueillis par nos familles et nos amis, et aussi des nombreux soutiens. Le 31 mai, notre procès a été renvoyé – en attendant la réponse du Conseil Constitutionnel sur le « délit de solidarité ». Mais cette fois, nous étions libres de retourner en Suisse, pour patienter jusqu’au nouveau procès, fixé en novembre.

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J’ai commencé mon nouveau travail dès le lendemain matin. Malgré les élans de solidarité, les tribunes de soutiens et les rencontres que j’ai pu faire en prison, toute cette histoire me reste bien évidemment en travers de la gorge. D’avoir été emprisonné une dizaine de jours sans n’avoir rien fait et pour des raisons purement politiques – alors qu’aucune poursuite n’a été engagée contre Génération Identitaire.

« Me voilà désormais bien plus engagé qu’auparavant auprès des migrants »

Paradoxalement, c’est la médiatisation de nos cas qui me peine le plus. Comme si nous étions des héros sacrifiés. Un traitement de faveur injuste au regard de ce qui arrive tous les jours aux migrants qui essayent de passer cette même frontière, ou d’autres, en souffrant bien plus que nous et dont les cas particuliers n’intéressent personne. Ces gens aussi se font enfermer, que ce soit dans des prisons ou dans des camps, pour des périodes indéfinies. C’est la raison pour laquelle je ne souhaite ni donner mon nom, ni apparaître en photo.

À la base, je voulais juste apporter un soutien et aider à faire la bouffe un week-end durant. Moi, que l’on a fait passer pour un conspirateur et qui n’avait pourtant jamais été particulièrement actif sur ces questions-là, me voilà désormais bien plus engagé qu’auparavant auprès des migrants. Au fait, dans les Alpes, rien qu’au mois de mai, trois d’entre eux sont morts.