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Un like Facebook suffit à dévoiler votre personnalité

Cibler les internautes en fonction de leur personnalité est plus facile que jamais.
Image : Shutterstock. Montage : Louise Matsakis

L’élection de Donald Trump a choqué le monde. On peut le dire, c’était une surprise. Dans les semaines suivant la victoire du milliardaire, démocrates et experts se sont démenés pour trouver un responsable. Beaucoup ont désigné Cambridge Analytica, une entreprise de data analytics employée par la campagne du candidat républicain.

Cambridge Analytica affirme qu’elle a dressé des profils de personnalité basés sur plus de 5 000 data points pour tous les Américains. Cette mine d’information lui permettrait de faire du “ciblage psychographique”, c’est-à-dire de concevoir des publicités et des campagnes marketing adaptées à la personnalité de chacun.

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Pour certains, les méthodes de Cambridge Analytica ne sont rien de plus que de la manipulation : si Donald Trump a gagné, affirment-ils, c’est grâce aux techniques douteuses de l’entreprise.

La presse débat du rôle et de l’impact de Cambridge Analytica depuis plus d’un an. Pour les défenseurs de la vie privée sur Internet, les méthodes de l’entreprise annoncent un futur dans lequel personnalités politiques et entreprises exploitent nos failles à notre insu. Leurs craintes semblent désormais confirmées.

Une étude publiée le mois dernier dans le Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) indique que les techniques de ciblage psychographique sont incroyablement efficaces et facile à utiliser : des connaissances minimales en marketing suffisent.

Toute tentative de persuasion commence par l’élaboration d’un profil basé sur les informations que vous diffusez sur Internet : vos tweets, vos like Facebook, vos clichés Instagram. Plusieurs études ont déjà montré que les caractéristiques psychologiques d’un individu pouvaient être estimées avec précision à partir de son empreinte numérique.

Les responsables de l’étude ont mené trois expériences sur Facebook, Instagram et Audience Networks, un service de Facebook qui permet aux annonceurs d’atteindre leur cible sur d’autres applications. À chaque fois, ils ont prédit le type de personnalité d’un internaute à partir d’un seul de ses likes. Environ 3,5 millions de personnes ont été touchées.

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Les trois expériences ont montré que des publicités personnalisées “altéraient significativement” le comportement de clic et d’achat de leurs cibles. Leurs conclusions indiquent que le ciblage psychographique permet d’influencer les actes de grands groupes de personnes. L’étude montre qu’il est grand temps de penser à une manière de réguler la publicité numérique.

“Nous devons penser aux moments où nous voulons ou ne voulons pas utiliser ces techniques”, explique Sandra Matz, professeure adjointe à la Columbia Business School et auteure principale de l’étude, jointe par téléphone par Motherboard. Pour elle, l’article ne suffira pas à rendre illégal le ciblage psychographique. Elle espère néanmoins qu’il poussera des plateformes comme Facebook à réguler son utilisation.

“Je pense qu’il ne serait pas judicieux de faire disparaître cette technologie d’un coup”, ajoute Sandra Matz. Pour elle, mieux vaudrait interdire aux annonceurs d’exploiter la personnalité des internautes dans certaines circonstances. Pas question, par exemple, d’utiliser le ciblage psychographique pour convaincre le public de ne pas voter, ou de viser des individus sujets à l’addictions avec des publicités pour des jeux d’argent.

Matz estime que des règles claires doivent êtres proposées aux plateformes concernées, notamment Facebook, car ces sites ont déjà montré qu’ils avaient grand-peine à suivre ce qui se passe dans leur propre enceinte.

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Si nous ne contrôlons pas le ciblage psychologique, explique Matz, “Facebook aura besoin d’une division de milliers d’employés” pour réguler ces méthodes. “Ce n’est tout simplement pas possible.”

Facebook est l’une des entreprises les plus riches du monde, elle a les moyens d’encadrer les techniques de marketing psychologique. Matz indique que la tâche serait tout de même compliquée. Se déconnecter de Facebook et de ses semblables ne vous débarrassera pas du marketing psychologique, rappelle-t-elle : “Les données de carte de crédit et de smartphone permettent de s’introduire dans la vie des gens de la même manière.”

L’étude a été menée d’une manière bien particulière. Facebook ne permet pas aux annonceurs de cibler ses utilisateurs en fonction de leurs traits psychologiques, du moins pas directement. Cette mesure est malheureusement facile à contourner : les marketeux peuvent paramétrer leurs campagnes pour qu’elles n’atteignent que les personnes qui likent certaines pages. Pas besoin d’être expert en profilage psychologique pour comprendre que les milliers de personnes qui suivent des pages dédiées aux troubles anxieux souffrent d’anxiété.

Pour les deux premières expériences, les chercheurs ont cherché à cibler les internautes en fonction de deux traits de caractère : l’extraversion et l’ouverture aux nouvelles expériences. En écumant les like Facebook des individus ciblés, ils ont établi deux groupes. Le premier accueille les personnes identifiées comme hautement extraverties et ouvertes, le second les personnes plus introverties et fermées.

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Quel genre de pages aiment les individus extravertis ? Pour Matz et ses collègues, “Faire rire les gens” et le groupe Slightly Stoopid. Les introvertis préfèrent “Ordinateurs” et la série Stargate.

Dans la première expérience, deux campagnes de publicité pour une marque de maquillage britannique ont été diffusées sur Facebook pendant sept jours. La première visait les femmes extraverties, la seconde les intraverties. Les annonces ont été vues par plus de 3,1 millions de femmes, ont attiré plus de 10 000 clics et entraîné près de 400 ventes. Cette expérience a permis aux chercheurs de déduire que les utilisateurs touchés par une publicité personnalisée était 1,5 fois plus à même d’acheter, même après contrôle de l’âge.

“L’effet est fort, explique Matz. Mais vous n’allez pas pouvoir transformer un supporte de Clinton en supporter de Trump avec ça. Cela permet juste de vous orienter légèrement dans une direction particulière.”

Dans la deuxième expérience, des publicités pour une application de mots-croisés ont été adaptées en fonction d’un niveau d’ouverture des utilisateurs, c’est-à-dire de leur propension à tenter de nouvelles choses. Cette campagne a atteint 80 000 personnes et engendré plus de 1 000 clics. Grâce à elle, les chercheurs ont pu confirmer les résultats de la première expérience : même après contrôle de l’âge et du genre, les internautes touchés étaient 1,38 fois plus à même de cliquer sur une publicité si cette dernière avait été taillée pour eux. Pour la troisième expérience, les chercheurs ont fait dans la rétro-ingénierie. D’abord, ils ont sélectionné un segment façonné par des marketers pour un “bubble shooter” sur smartphone. Sans surprise, les individus concernés jouaient déjà à des jeux similaires : Farmville, Bubble Popp… En analysant leur personnalité, ils ont découvert qu’ils étaient hautement introvertis.

Ensuite, les chercheurs ont fait la promotion du jeu à l’aide d’un message adapté à la personnalité de leurs cibles. L’application avait déjà été promue à l’aide d’un message disant : “Prêt ? Feu ! Téléchargez le dernier puzzle shooter maintenant ! De l’action intense et des puzzles à vous retourner le cerveau !” Cette fois, le message était “Pfiou ! Sale journée ? Pourquoi ne pas se détendre avec un puzzle ?”

Les deux campagnes ont tourné sur Facebook pendant 7 jours. Elles ont été vues par 500 000 personnes. 1 387 ont téléchargé l’application. Les publicités conçues pour attirer les introvertis ont enregistré 20% à 30% de clics en plus (les chercheurs ont fait l’expérience deux fois).

Après tout, affirme Matz, il n’y a rien de très étonnant à ce que les gens répondent à des publicités conçues pour eux. “L’idée de base, c’est que les gens aux personnalités différentes se comportent différemment, rappelle-t-elle. C’est la première fois que nous identifions cela, c’est tout.”

Ce qui est surprenant, c’est à quel point cette méthode a été facile à exécuter. “Cette technologie est exploitable avec les plateformes déjà en place, explique Matz. Tout le monde peut faire tourner des publicités sur Facebook. C’est super simple, tout le propos est là.”