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harcèlement sexuel

Toutes les femmes connaissent un Weinstein

Comme beaucoup de mes amies, j'ai été victime d’abus sexuels à différentes étapes de ma vie.
Photo : Anthony Devlin/PA Archive/PA Images

Les nouvelles concernant Harvey Weinstein sont choquantes et ne le sont pas à la fois. Il est choquant qu'un être humain puisse faire toutes les choses qu'il a faites à d'autres êtres humains. Il n'est en revanche pas choquant de voir un millionnaire abuser de son pouvoir. Ce genre d'abus arrive tout le temps et est perpétré non seulement par des producteurs hollywoodiens, mais aussi par des directeurs de magasins, des employés de banque et des agresseurs agissant de la sorte dans leur propre foyer, vis-à-vis des gens qu'ils aiment.

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Le plus choquant, à mon sens, est le niveau de complicité des personnes directement ou indirectement liées à Weinstein, allant de la complicité vaguement pardonnable – « J'avais entendu des rumeurs » – à la complicité impardonnable : au mieux, laisser les femmes dans une situation que vous savez difficile ; au pire, être plus que conscient du grave traumatisme physique et mental susceptible d'être infligé à une personne.

Au cours de ma vie, j'ai été victime d'abus sexuels et/ou d'abus de pouvoir à quatre moments importants et à plusieurs autres moments « moins importants ». Tous ces incidents ont un point commun : le sentiment de vide que j'ai ressenti lorsque les personnes à qui j'ai demandé de l'aide ont choisi de m'ignorer, laissant les choses se faire sans intervenir, car il aurait été trop difficile pour elles de s'impliquer.

La lecture des allégations concernant Weinstein a fait ressurgir ma colère face à la complicité des proches dans ce que je considère comme étant la banalisation des expériences des jeunes femmes. Je lis tout ce que je peux trouver à propos des femmes qui ont eu affaire à lui. Et je retrouve des comportements similaires au sien dans mes propres expériences.

Ma mère, mes sœurs et moi avons subi des violences domestiques, des intimidations sexuelles et des abus psychologiques à la maison. Ma mère portait le poids de l'abus. Nous avons vu mon père lui planter une fourchette dans la main ; nous l'avons entendu la battre parce qu'elle n'avait pas réussi à rester éveillée jusqu'à son retour à 3 heures du matin. D'autres fois, nous l'avons vu la violer. Il était sujet à des crises de colère. Il ne respectait pas les femmes. Il abusait de son pouvoir.

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Mes sœurs ont subi un degré supérieur d'abus et d'intimidation. Elles étaient souvent traitées de « salopes », de « putes », de « moches » et de « grosses » par mon père. Il était oppressif et manipulateur avec elles. Quant à moi, j'étais incapable de les protéger quand il s'en prenait à elles. Je pouvais crier pour qu'il arrête, mais je n'ai jamais pu intervenir physiquement. Dans ces moments-là, je me sentais complice de ces abus. Je ne l'ai jamais arrêté. Je me suis protégée. J'avais peur.

J'ai été victime de moins d'abus que mes sœurs, ce qui me fait me sentir coupable à ce jour. Pendant l'adolescence, j'ai vu mon père se masturber beaucoup trop souvent – il n'essayait même pas de se cacher. Il m'écœurait et j'avais peur de descendre pour utiliser la salle de bains. Il me traitait souvent de « garce » et attrapait mes fesses lorsque je montais les escaliers.

Nous n'en avons jamais parlé à personne à l'époque.

La seule fois où j'ai pu le « confronter » a été le Noël qui a suivi la séparation de mes parents. Mon père a menacé de venir à la maison. Je lui ai dit que j'allais téléphoner à la police, ce que j'ai fait. Les policiers m'ont dit qu'à moins que quelque chose n'arrive réellement, ils ne pouvaient rien faire. J'ai tout de même fait croire à mon père qu'une voiture de police était garée devant la maison. C'était un mensonge. J'essayais d'être forte. Pour la première fois, j'ai refusé d'être réduite au silence et ça a payé. Mon père n'est jamais venu ce jour-là.

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Plusieurs années plus tard, j'ai demandé à mon père s'il regrettait de nous avoir traitées ainsi. Il a ri, marmonné quelque chose au sujet de la difficulté d'être père et changé de sujet. Je n'avais pas l'énergie pour le contester davantage. Aucune de nous ne l'a jamais vraiment défié.

Mes sœurs et moi avons pris nos distances avec lui, mais il reste notre père ; nous demandons toujours de ses nouvelles, nous lui rendons toujours visite. La distance temporelle et géographique nous a permis de prendre du recul sur ce qui se passait. J'ai depuis bénéficié d'un appui thérapeutique, ce qui m'a grandement aidée. Je suis plus forte à présent.

Le plus tragique dans tout ça est que ma mère porte toujours le fardeau de notre vie avec mon père. Sa famille n'a aucune idée de ce qu'elle a traversé pendant toutes ces années ; elle est devenue une experte pour ce qui est de se cacher. Elle était épuisée et n'avait plus la force de lutter. Je la comprends tout à fait, bien sûr, mais je n'arrive toujours pas à me libérer du sentiment de colère que je peux parfois éprouver en pensant au fait qu'elle a « autorisé » des abus sur ses propres enfants. Pourquoi ne nous a-t-elle pas protégées ? Pourquoi n'est-elle pas partie ? Cela fait-il d'elle la complice de nos abus ? Peut être. Mais je lui pardonne. Elle était réduite au silence, et complètement brisée.

J'ai parlé de ces abus à certains membres de la famille de mon père, ce à quoi l'on m'a rétorqué : « Oh, c'est juste X – tu sais bien comment il est. » Était-ce du déni ou de la complicité ? À l'époque, j'ai mis ça sur le compte du déni, mais récemment, l'un d'entre eux m'a demandé : « Il va beaucoup mieux maintenant, n'est-ce pas ? » Ce qui voulait bien dire que tous étaient au courant de ce qui se tramait. Était-ce de la complicité depuis le début ?

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« Il n'a pas été exclu de manière définitive, comme s'il y avait un doute sur la gravité de l'incident. Fallait-il que je sois violée pour qu'il soit exclu ? »

Adolescente, je travaillais dur à l'école. Je n'avais jamais d'ennuis. Je faisais partie des « filles sages ». Je n'avais pas du tout confiance en moi. J'essayais de faire profil bas.

Un jour, deux garçons plus âgés que moi sont montés dans mon bus. Ils se sont assis près de moi et m'ont sifflée. Ça a duré plusieurs semaines. Je l'ai mentionné aux enseignants de l'école, qui m'ont conseillé de les ignorer. J'ai essayé de les ignorer. Mais j'étais intimidée.

Un jour, alors que j'étais en retard, ils sont sortis de derrière un buisson. Ils ont commencé à me suivre en disant des obscénités. J'ai couru me réfugier dans le bâtiment de l'école. Il n'y avait personne. Ils m'ont rattrapée et m'ont traînée en bas des escaliers. J'ai senti beaucoup de mains sur moi. Ils m'ont touché les seins et ont réussi à enlever mes chaussures. Je n'arrivais pas à crier. J'essayais, mais rien ne sortait. C'était un véritable cauchemar. Je me souviens juste des mains, de beaucoup de mains, mais d'aucune voix.

Juste à ce moment-là, la cloche a sonné et des foules d'enfants ont envahi les couloirs. Les garçons se sont enfuis. J'ai raconté à mon école ce qui s'était passé. La police a enquêté. L'un des garçons a été envoyé vivre avec sa tante, loin d'ici. Les autres ont contesté toutes mes déclarations. Ils ont rétorqué que je portais une jupe « provocante ». La police m'a demandé si tel était le cas. La jupe faisait partie de l'uniforme scolaire standard.

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La police a heureusement donné une sorte de consigne au garçon : il n'avait pas le droit de s'approcher de moi pendant six mois. Ils m'ont aussi promis qu'après son exclusion temporaire, ils me prépareraient à son retour. Il n'a pas été exclu de manière définitive, comme s'il y avait un doute sur la gravité de l'incident. Fallait-il que je sois violée pour qu'il soit exclu ?

D'autant plus que l'école ne m'a jamais informée de son retour. En fait, j'ai découvert qu'il était revenu quand je l'ai vu, dans la cour de récréation, courir après une fille et lui agripper les seins. Je suis allée voir le professeur principal. L'école m'a présenté ses excuses, mais rien d'autre ne lui est arrivé.

Six mois plus tard, il s'est pointé et m'a menacée : « Tes six mois de répit sont écoulés. Fais gaffe ! » J'ai craqué. Quelques-uns de mes camarades l'ont suivi à l'extérieur. Je ne sais pas ce qui s'est passé après ça. Ils ne me l'ont jamais dit. Je n'ai plus jamais eu de nouvelles de lui.

Des années plus tard, alors que j'étais à l'université, ma mère m'a envoyé une coupure du journal local. Désormais âgé de 18 ans, il était accusé d'environ 13 viols et agressions sexuelles graves, et venait d'être condamné.

La justice avait de toute évidence attendu qu'il commette des actes criminels incroyablement violents pour que son comportement soit enfin pris au sérieux.

Passons à mes 23 ans. Je travaillais alors dans un célèbre fast-food le temps d'un été. Le personnel masculin passait toute la journée à harceler le personnel féminin et tout le monde semblait être d'accord avec ça. J'ai pris sur moi, jusqu'à ce qu'un mec commence à coincer l'une de mes collègues à chaque fois qu'elle allait dans la chambre froide, allant jusqu'à changer ses heures de boulot pour travailler de nuit avec elle. Il parlait de ses seins et de son cul à longueur de temps. J'ai décidé que ses agissements allaient bien au-delà de la simple plaisanterie. Je lui ai demandé si elle voulait faire quelque chose à ce sujet. Elle avait peur de perdre son emploi mais a accepté mon aide. J'en ai parlé au gérant, qui m'a répondu : « Tous les hommes le font, vous les femmes, vous aimez ça – c'est flatteur. »

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Après ça, j'ai commencé à recueillir des témoignages auprès de mes collègues. Du moins, j'ai essayé. Peu de femmes voulaient en parler. Elles ne voulaient pas « s'attirer des ennuis ». Elles ne voulaient pas perdre leur emploi.

J'ai fini par présenter quelques témoignages assez dilués au gérant. C'était suffisant pour que le coupable reçoive un avertissement, mais pas assez pour qu'il perde son travail. J'ai donné ma démission.

« J'ai montré cette tentative d'intimidation au directeur. Deux semaines plus tard, j'ai été licenciée. Je ne pense pas que ce soit une coïncidence. »

Ma dernière expérience remonte à mes 27 ans, lorsque je travaillais dans le bureau central d'une chaîne de restaurants. J'assistais à une réunion du conseil d'administration quand deux hommes de plus de 50 ans ont commencé à parler de mes seins. J'ai baissé le regard, en attendant qu'ils arrêtent. C'était mortifiant et dégradant. Il y avait au moins cinq autres hommes dans la pièce, aucune femme. Au bout de quelques minutes, le directeur général leur a finalement dit de « passer à autre chose ».

La semaine suivante, les deux hommes faisaient toujours une fixette sur mes seins. J'ai fait part de mes préoccupations en personne au directeur général. Il a dû les rappeler à l'ordre, car ils me sont tombés dessus et m'ont dit qu'ils rendraient ma vie difficile si je disais quoi que ce soit d'autre. Cette même semaine, j'ai reçu un panier contenant de l'alcool et de la nourriture de la part d'un des hommes avec un mot qui disait : « Merci pour ton dur labeur. »

J'ai montré cette tentative d'intimidation au directeur. Deux semaines plus tard, j'ai été licenciée. Je ne pense pas que ce soit une coïncidence.

Malheureusement, mon histoire est bien trop commune. En discutant avec mes amis, je me suis rendu compte que la majorité des femmes et certains hommes avaient déjà subi des intimidations sexuelles, des jeux de pouvoir, des abus. Je sais que j'ai de la chance, d'une certaine façon ; beaucoup d'histoires sont malheureusement bien pires que la mienne.

Qu'ai-je appris de tout cela ? Que les gens se protègent, pour le meilleur ou pour le pire, souvent pour le pire. Que les gens n'aiment pas être confrontés à des sujets difficiles et préfèrent fuir. En règle générale, les choses doivent être décuplées pour que les femmes soient entendues ou que tout homme ou femme maltraité(e) soit « pris au sérieux » à la suite d'un premier incident. Que des incidents comme ceux-ci se produisent fréquemment, avec beaucoup de femmes et dans beaucoup de milieux.

Le fait de dire les choses à haute voix peut parfois les rendre triviales, même si elles ne le sont pas. Si telle ou telle chose semble mal, c'est souvent qu'elle l'est. Nous avons tous la responsabilité de mettre fin à la violence, d'en parler, mais aussi d'écouter. De demander aux gens s'ils vont vraiment bien. D'après mon expérience personnelle et ce que j'ai pu lire au sujet de Weinstein, il s'avère que même lorsqu'une personne raconte son histoire, son entourage refuse d'entendre ou de voir ce qu'il se passe réellement.

J'espère que ces horribles révélations sur Weinstein donneront lieu à d'importants changements sur le marché du travail, et ce, à l'échelle mondiale. Que les femmes, et plus généralement toutes les victimes d'abus ou d'intimidation sexuelle, aient la force de demander l'aide dont elles ont besoin.