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Pourquoi des gens achètent-ils encore des revues et des DVD porno en 2016 ?

Malgré les transformations de l'industrie du divertissement pour adultes et l'explosion du porn sur Internet, certains préfèrent toujours le porno à l'ancienne.

Quand Playboy a annoncé, en octobre dernier, que le magazine ne publierait plus de photos dénudées, ses dirigeants ont laissé entendre que le dernier vrai bastion de l'obscénité old school (c'est-à-dire analogique) avait été vaincu par Internet.

« Désormais, il suffit d'un clic pour accéder à n'importe quel type d'acte sexuel, gratuitement, expliquait alors Scott Flanders, le PDG du groupe. Nous appartenons désormais au passé. »

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Flanders a sans doute raison. Mais pourtant, malgré les innombrables t gratuits qui peuplent le net – des sites qui permettent à n'importe qui d'uploader des vidéos sans se soucier d'en avertir les auteurs et les propriétaires – et les sites payants qui ont transformé le porno analogique en anachronisme, quelques publications coquines figurent encore et toujours sur les étagères des kiosques et des stations service. Mais alors, qui les achète ?

En fait, c'est à la fois une question de nostalgie, d'accès limité à Internet, de besoin d'intimité, et d'exigence de qualité.

Les gens qui achètent du porno sous forme physique sont à la fois plus vieux et moins riches que les autres, selon Mike Stabile, un réalisateur de documentaires spécialisé dans la pornographie qui occupe également le poste de directeur de la communication au sein de la Free Speech Coalition, un groupe qui représente l'industrie du divertissement pour adultes. Nous avons parfois tendance à penser que tout le monde possède un ordinateur et un smartphone, et pourtant, 15% des Américains n'ont pas utilisé Internet en 2015 en raison de leur âge ou de leur incompréhension du médium. Et parmi tous ceux qui ont utilisé Internet, beaucoup ne possédaient pas de connexion privée ou de moyens de regarder du porno en toute intimité et en toute sécurité.

"Je suis gay, et je peux vous dire que si j'avais grandi dans une maison sans avoir mon propre ordinateur, je n'aurais jamais pris le risque de chercher des vidéos gays sur Internet"

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C'est d'autant plus problématique pour ceux qui ne peuvent pas consommer ouvertement des contenus pornographiques en raison de leur sexualité, qu'elle soit "particulière" ou stigmatisée (par exemple, le porno gay ou le BDSM), ou parce qu'ils vivent au sein de communautés très intolérantes à cet égard. Pour eux, le porno sous forme physique offre une certaine intimité qui leur manque sur Internet.

« Vous pouvez facilement planquer un DVD porno dans un tiroir, un placard ou n'importe où. Alors que si vous allez sur un site, il se retrouvera dans votre historique, dans vos cookies, et même dans des fenêtres pop-up, explique Stabile. Vous ne risquez pas grand-chose non plus avec un magazine, que vous pouvez cacher et qui ne laissera aucune trace. Je suis gay, et je peux vous dire que si j'avais grandi dans une maison sans avoir mon propre ordinateur, je n'aurais jamais pris le risque de chercher des vidéos gays sur Internet. J'aurais préféré quelque chose de plus concret, comme un magazine. »

Acheter du porn sous forme physique peut aussi coûter moins cher sur le long terme. Une connexion Internet coûte cher, alors qu'un lecteur de DVD coûte aujourd'hui à peine 20$ et qu'on peut trouver des DVD pour 1$. En théorie, on peut donc se constituer une collection de films et de magazines suffisamment importante pour durer toute une vie, sans débourser une petite fortune chaque mois pour avoir accès à Internet.

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On peut comprendre que cette option ne plaise pas à tout le monde. Mais certains préfèrent aussi la pornographie analogique pour sa qualité, explique Stabile : ils savent qu'avec un DVD acheté dans le commerce, ils sont sûrs d'avoir une vidéo non coupée et de bonne qualité, qu'ils peuvent revoir autant qu'ils le souhaitent. Sur les tubes, les vidéos sont souvent floues et ont de bonnes chances d'être supprimées sans avertissement.

Le porno analogique, qu'on pourrait presque qualifier de « vintage » aujourd'hui, flatte aussi la nostalgie de ceux qui ont découvert les joies de l'onanisme avant l'avènement de PornHub, selon la sexologue Carol Queen. D'après elle, beaucoup de clients trouvent que le support physique offre une connexion tangible avec le contenu, ce qui n'est pas le cas des versions digitales.

« On peut pas tout résumer au fait de regarder des gens en train de faire l'amour ; il y a un plaisir particulier à faire ça "à l'ancienne", comme la première fois où vous êtes tombé sur ce genre de choses. C'est le même genre d'émotions que l'on ressent quand on écoute une chanson qui nous a marqué à l'adolescence », explique-t-elle.

Il y a aussi quelque chose d'excitant dans le fait de rechercher du porno par soi-même, en se rendant par exemple dans un sexshop, éventuellement avec un(e) partenaire, avec l'espoir d'y trouver quelque chose qui corresponde à un fantasme précis.

« Acheter des films, ça faisait un peu partie des préliminaires, affirme Queen. Pour certains, ce processus était très érotique en lui-même. »

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Malgré ces irréductibles, le marché des DVD pornos est clairement en recul. Le PDG de Vivid Entertainement, Steven Hirsch, estime ainsi que les ventes de DVD de son entreprise ont chuté de 80% en cinq ans. Quant à Mike Stabile, il affirme que de nombreuses sources au sein du secteur lui ont confié que 2016 verrait la mort du marché du DVD pour adultes.

« Tant que des magasins achèteront des DVD par lots, il y aura des compagnies pour les produire, mais le volume de ces commandes ne cesse de décroître, et bientôt ils n'en achèteront plus », prédit-il.

Ce n'est pas une bonne nouvelle pour les acteurs, étant donné que les ventes de DVD ou de magazines constituent une source de revenus non négligeable pour eux. Alors que la plupart des consommateurs de porno se sont tournés vers le piratage, l'industrie connaît un déclin important : 80% des entreprises du secteur sont en difficulté ou proches de la la faillite.

Mais il y aura toujours une place pour les supports physiques, affirme Sarah Forbes, ex-conservatrice du Musée du Sexe de New York. Elle prédit même un retour en grâce du porno analogique, à la manière du retour du vinyle ces dernières années.

« En lisant un numéro de Playboy des années 70, vous avez un peu le sentiment d'être transporté à une autre époque, à un autre âge du sexe et de la sexualité, dit-elle. J'ai une vraie tendresse pour ce genre de documents, et il est important de les préserver, même s'ils peuvent paraître archaïques. Dans quelque temps, ils témoigneront de notre histoire collective. »